Édition internationale

L’Histoire méconnue des églises de Dubaï racontée par Dr Khawla Almarri

Chercheuse émirienne et experte en histoire culturelle du Golfe, Dr Khawla Almarri s’est penchée sur un sujet aussi rare que fascinant : la présence chrétienne aux Émirats arabes unis. Dans un article publié par le Fiker Institute, elle retrace l’évolution des églises de Dubaï, depuis les premiers monastères antiques jusqu’à l’édification de Church Street à Jebel Ali. Rencontre avec une intellectuelle passionnée, qui plaide pour une meilleure compréhension de l’histoire spirituelle et multiculturelle de son pays.

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Écrit par Marie-Jeanne Acquaviva
Publié le 6 septembre 2025, mis à jour le 8 septembre 2025

Dr Khala Almarri est une chercheuse universitaire de renom, qui publie fréquemment sur l’histoire culturelle des Émirats. Elle s'intéresse particulièrement à l'histoire du Golfe Persique, à son patrimoine culturel et à son identité. À ce titre elle a récemment écrit un article passionnant et surprenant sur la présence chrétienne aux Émirats et l’histoire des églises de Dubaï, où elle détaille et analyse cette présence à travers le temps, depuis les premiers monastères, en passant par l’édification de St Mary et jusqu’à la construction de « Church Street » au sommet de Jebel Ali. Nous avons eu la chance de la rencontrer pour une conversation riche et éclairante.

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Qu’est-ce qui vous a poussée à faire des recherches dans ce sujet spécifique ?

Ce qui me passionne c’est d’étudier notre identité culturelle, j’ai même un diplôme qui sanctionne mes études portant sur notre héritage, ce que veut dire être une personne arabe originaire du Golfe. J’ai remarqué qu’il existait un manque dans les recherches consacrées à ce sujet, qu’il était très faiblement documenté. Bien entendu c’est quelque chose qui se retrouve souvent du fait que nous n’avons pas de culture de la documentation écrite, ni de descriptions détaillées de la vie quotidienne du passé par exemple. Or j’ai aussi étudié les systèmes d’éducations universitaires, et comment développer un système de recherches (ndlr : Dr Al Marri est également la fondatrice d'Eduqate, un laboratoire de recherche consacré à la documentation de l'histoire du Golfe arabe, de la culture khaleeji, de l'identité et de l'intégration sociale dans le CCG). Ce type d’études pour moi combine mes deux centres d’intérêt : si j’écris c’est aussi pour devenir à mon tour une ressource pour de futurs étudiants, ou un point de départ pour de futurs chercheurs. Boucler la boucle en quelque sorte.

 

Vous vous êtes penchée sur quelle période ?

J’ai étudié ce qu’on appelle les années « pre-oil » (avant le pétrole) jusqu’à nos jours, mais j’ai découvert en chemin qu’il existe une histoire très ancienne de la présence Chrétienne aux Émirats, où l’on retrouve des traces archéologiques de présence monastique sur les iles en face d’Abu Dhabi et d’Umm al Qwain. On pense que cette présence s’explique par le fait que nous étions sur le chemin de la Route de la Soie, entre l’Inde et Jérusalem.

 

Donc la présence chrétienne, et le fait qu’elle ait été acceptée par les habitants de cette région est même bien antérieure à la volonté de Sheikh Rashid bin Saeed Al Maktoum?

Oui : c’est fascinant de comprendre que ces gens simples, qui vivaient en bédouins, ont eu une vision de l’avenir en quelque sorte et ont offert un morceau de leur terre, permettant à ces hommes de foi de s’y installer, et d’y créer une communauté, de ne plus être simplement « de passage ». S’il est vrai que l’on peut prier n’importe où, le fait de pouvoir le faire ouvertement et de rassembler une communauté autour d’une foi partagée change tout.

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Qu’avez-vous découvert dans vos recherches sur ce moment clé, aussi du point de vue de la pratique religieuse dans cette région ?

Le début de la recherche puis de l’exploitation du pétrole dès les années 1930/1940 marque comme chacun sait un tournant important dans la vie des Émirats. On sait bien aujourd’hui que Sheikh Rashid bin Saeed Al Maktoum avait une intention très claire d’accueillir la population anglophone arrivée avec la recherche et l’exploitation du pétrole dans les meilleures conditions possibles. Et cela bien entendu incluait le fait qu’ils puissent pratiquer leur foi en paix et dans des structures adaptées. Savez-vous par exemple qu’il est allé jusqu’à offrir les cloches des églises ? Il y a tout un processus d’intégration et de tolérance qui se met en place à ce moment-là, et une intention très nette de favoriser ces  deux valeurs sur le long terme.

Aujourd’hui comment pensez-vous que cela a impacté le tissus social des Emirats ?

La solidité et la richesse de la communauté qui a été construite dans ces conditions particulières, uniques à notre région, est très palpable aujourd’hui à travers Dubaï et les Émirats. On peut dire que la confluence d’un certain état de fait naturel et d’une volonté performative des leaders des Émirats ont modelé les UAE telles qu’elles sont aujourd’hui, telles qu’elles ont toujours été : un carrefour de commerce et un point de rencontre et de tolérance. Et c’est bien ce que nous sommes aujourd’hui, je trouve cela très fort et très vrai : nous sommes un point de rencontre, dans tous les sens du terme.

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L’anecdote que vous notez dans votre article et qui fait référence à Rahma Al Nahdi, cette femme Émirienne qui a grandi en tant que musulmane dans une école catholique tenue par des bonnes-sœurs, est je trouve particulièrement représentative de cette notion de rencontre :

Oui j’ai beaucoup échangé avec elle, son anglais est parfait, et effectivement elle a fait toutes ses études dans une école britannique tenue par des sœurs chrétiennes. Cela s’explique en partie parce qu’à cette époque (les années 70) il n’existait pas encore de choix en termes de curriculum, si l’on souhaitait suivre un curriculum britannique, il n’existait que cette école. Mais ce n’est pas la seule raison : les sœurs jouissaient d’une excellente réputation, celles d’êtres de bonnes enseignantes et surtout d’être particulièrement justes et de ne faire absolument aucune différence entre les élèves, quelle que soit leur origine ou leur foi. Elles avaient vraiment à cœur de faire progresser tout le monde. J’ajouterai aussi que la tolérance et le respect des valeurs mutuelles se pratiquait de manière naturelle et fluide : bien entendu les élèves. Musulmans n’assistaient pas à la messe, mais tous les élèves se retrouvaient dans la cour pour chanter des chants de Noel à l’unisson. C’est ce « vivre ensemble » qui fonde notre constitution.

Des valeurs qu’il est à la fois difficile et important de rappeler aujourd’hui ?

Le monde tel qu’il est très imparfait, et parce qu’il est en proie aux guerres et aux souffrances il est important d’entrainer son regard à ne pas y voir que l’obscurité mais aussi la lumières et les fleurs qui y naissent. Je suis profondément persuadée que l’humanité est capable de vivre en paix et en sécurité, nous avons pu le faire autrefois et nous y parviendrons de nouveau. Cette fleur, ce rayon de lumière dans le noir c’est notre capacite à ne pas se différencier les uns des autres. C’est aussi justement parce que je ne suis pas catholique mais musulmane que je me suis intéressée à cette recherche, parce que ce qui m’intéresse c’est l’humain, et ce qui nous lie.

C’est aussi doublement riche de sens parce que vous êtes Émirienne :

Oui je pense qu’il est important que nous nous appropriions notre propre histoire, en particulier celle des religions et croyances, et en particulier celle qui remonte aux siècles passés. Ce sont les fondations d’une diplomatie intelligente, celle qu’on appelle le « soft power », fondée sur une culture nourrie de recherches approfondies. La culture, et la connaissance de sa propre culture, tout comme l’art, sont à mes yeux le seul réel pouvoir.

L’article en anglais se trouve ici publié auprès du Fiker Institute

 

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