Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 2
  • 0

Brix, le joyau caché de la cheffe Carmen Rueda Hernandez

Derrière une discrète devanture vert sauge, au cœur du port de Jumeirah 2, se cache l'un des secrets les mieux gardés de Dubaï : Brix. Ce nom intrigant, évoquant à la fois le craquement d'un mille-feuille et l'unité de mesure du sucre en pâtisserie, est bien plus qu'un simple restaurant. Chef Carmen Rueda Hernandez y tisse des récits culinaires autour de desserts aussi étonnants que délicats. Dans cette enclave unique, entre pêcheurs, hipsters et fins gourmets, Brix se distingue comme un bar à expériences sucrées, l'un des rares au monde à offrir un tel voyage gastronomique.

Cheffe Carmen Rueda HernandezCheffe Carmen Rueda Hernandez
Écrit par Marie-Jeanne Acquaviva
Publié le 9 septembre 2024, mis à jour le 9 octobre 2024

 

Brix, un drôle de petit nom qui sonne comme une onomatopée ou le bruit d’un mille-feuille que l’on croque - c’est en fait l'unité utilisée en pâtisserie pour compter le niveau de sucre une fois dissous... Derrière une devanture vert sauge sur le port de Jumeirah 2, souvent mystérieusement close d’un panneau « experience in progress » (expérience en cours) se cache le secret le mieux gardé de Dubaï. Au cœur de ce petit quartier unique en son genre qui sait mélanger les pêcheurs qui partent sur leur dhows relever leurs nasses, la foule des hipster et des gourmets clients du fameux 3Fils, les gens du coin qui viennent pour un café le matin ou ceux qui rentrent d’une sortie en mer et font griller leurs prises sur le quai… Ici se cache donc la Cheffe Carmen Rueda Hernandez et ses contes à déguster (et rêver) debout, dans sa sobre caverne d’Ali Baba où les joyaux fondent sous la langue et les surprises culinaires se jouent de vous et vous enchantent. Suivez-nous pour écouter son histoire et découvrir Brix, un bar à expériences culinaires autour des desserts, dont il n’existe que 10 autres modèles à travers le monde.

 

Lepetitjournal.com/dubaï : Comment définir Brix ? Peut-être commencer parce que ce n’est pas ?

Carmen Rueda Hernandez: Lorsque l’on dit que Brix est un restaurant de desserts, si vous n’avez jamais entendu parler de ce concept ou ne l’avez jamais essayé dans l’un des 10 autres restaurants qui dans le monde proposent ce type d’expérience … évidemment cela surprend (sourire). Oui, on peut commencer par expliquer ce que nous ne faisons pas : ce n’est pas une pâtisserie, ou un salon de thé, je ne propose pas une « farandole de desserts » ou de mignardises… le concept est réellement celui de fusionner les codes et la méthodologie de deux univers : le menu de restaurant classique (c’est-à-dire entrée, plat, fromages, desserts…) avec le monde du dessert. Mais….

 

Je savais qu’il y avait un « mais » !

Oui, et il est capital (rire) : Mais, il ne faut pas du tout s’attendre à une avalanche de sucre, de beurre, de farine, et de crème… que nous n’utilisons presque pas, ou dans des quantités infimes – de l’ordre d’un dixième des recettes classiques. Mon travail, ma passion, c’est la recherche et la mise en valeur d’un goût simple, complexe dans sa réalisation. Donc je travaille les ingrédients sans discrimination : il n’y a rien que je m’interdise d’utiliser si cela fait du sens et si le résultat en bouche est réussi… et ce que je propose est une succession de plats qui racontent une histoire, et que vous allez (je l’espère) expérimenter à travers tous vos sens.

 

Je ne veux pas gâcher la surprise, et après avoir eu la chance de découvrir une des expériences de Brix, je peux affirmer avec enthousiasme qu’il faut à tout prix se lancer – même à l’aveuglette - et se laisser séduire : mais quelques mots encore pour éclairer (un peu) nos lecteurs ?

Les menus à thèmes que nous proposons varient avec les saisons et mon inspiration : nous avons un nouveau menu intitulé « Route de la Soie », un autre « Escapade », et nous terminons celui intitulé « Saisons » justement. Je travaille aussi sur une version qui utilise tous les parfums, les saveurs, les traditions oubliées et les goûts qui définissent les Émirats, bien plus riches et intéressants qu’on ne l’imagine : je me réjouis de le proposer bientôt ! Il y a en permanence deux menus à choisir, composés chacun de cinq desserts différents et accompagnés d'une dégustation de cocktails sans alcool qui fonctionnent comme un « wine pairing » (accord mets-vin) dans un restaurant classique. Nous disposons d'une cuisine de production en propre où nous fabriquons tous les différents desserts pour tous nos établissements (c’est-à-dire aussi pour le Café Brix et pour le restaurant 3Fils) et où les plats de l’expérience Brix sont concoctés à la minute. L’expérience se déroule ensuite en ma compagnie…mais pour en savoir plus sur les histoires que je vais vous raconter, il faut venir ! (sourire).

 

La cuisine trop conceptuelle a parfois eu mauvaise réputation : trop d’idée, trop de complication et pas assez de goût ou quantité quasi-inexistante dans l’assiette… Or l’expérience de Brix est bien loin de cette image justement, les plats sont généreux, les bouchées complexes il est vrai, mais à la fois très franches et très satisfaisantes… Qu’avez-vous en tête lorsque vous créez un plat ?

 

brix dubai

C’est plus fort que moi : je vais toujours vers ce qui est réputé impossible ! Mais je veux que ma pâtisserie ait une saveur et une texture intéressantes, et j’aime tous les ingrédients que je choisis : je veux qu’ils soient parfaits, et parfaitement mis en valeur. Et je veux que le résultat final raconte une histoire, qu’elle vous touche et évoque en vous un écho de mon histoire, de mes souvenirs… Quoi de plus fort qu’un goût de son enfance dont on retrouve la trace au détour d’une bouchée, et qui vous surprend ?! J'aime mettre l'accent sur les saveurs de ce que je mange, je n'aime pas perturber la saveur du cœur du plat. La saveur centrale du plat doit avoir le même goût que l'ingrédient principal. Après la construction peut être complexe, mais la saveur doit rester simple.

 

C’est comme une synesthésie plus qu’une simple dégustation… et oui : ce que vous racontez dans le plat « Automne » c’est exactement ça, des échos de votre enfance qui répondent à celui qui y goûte : des histoires de chocolat chaud et de noix épluchées devant la cheminée en rentrant de forêt ! En quoi votre jeunesse a fait de vous le chef que vous êtes aujourd’hui ?

Je suis née en 1983 dans une toute petite ville près de Salamanque, encaissée dans les montagnes au fin fond de l’Espagne. J’y ai vécu une enfance merveilleuse où je donnais libre cours à une énergie débordante : passionnée par plein de sujets, courant la campagne, jouant de la musique, goûtant à tout…à la vie tout simplement ! À peine majeure je rêve de plus grand, du reste du monde, et ce sera à travers la cuisine : j’étais censée faire des études d’économie mais à la dernière minute je change : il faut croire que je ne pouvais pas m’imaginer passer toute ma vie derrière un bureau (sourire). J’aimais cuisiner alors pourquoi pas Chef ?... La pâtisserie n’est pas encore du tout entrée dans mon champ de vision : je veux être Chef, je choisis donc les arts culinaires à l'École Supérieure d'Hôtellerie et de Tourisme de Madrid, et je comprends vite que le Chef ne connait absolument rien à un tiers du menu, à savoir la pâtisserie. Je m’y intéresse donc parce que je pense qu’un chef doit connaître toute la progression de ce qu’il sert à sa table, et ne peut pas déléguer toute la partie dessert au chef pâtisserie sans savoir ce qui s’y passe…. Je pars à Barcelone, parce qu’à l’époque la culture de la pâtisserie y est plus développée et plus présente : pas de repas du dimanche sans pâtisserie, comme en France, toute proche ! Je vais alors chez Oriol Balaguer où je tombe complètement amoureuse du chocolat (rire) ! Le reste de ma carrière suivra…

 

Vous êtes modeste : vous allez être deux fois vice-championne du monde lors des prestigieux World Chocolate Masters, travailler avec des légendes de la cuisine contemporaine… Olivier Bajard à Paris, Heston Blumenthal au Fat Duck, Mateu Casañas au mythique El Bulli, et Jannice Wong à 2AM à Singapour… Des artistes ultra innovants et des cuisiniers hors-pairs! Qu’est-ce qui vous a attiré à Dubaï ?

Sans hésiter : Brix ! L’opportunité de créer à ma manière sans devoir m’aligner sur l’esprit et la ligne directrice d’un restaurant, diriger l’un des dix endroits dans le monde où l’on travaille les desserts de cette façon, et d’avoir carte blanche, dans une mégapole aussi dynamique et passionnante que Dubaï : qui pouvait dire non ? En plus j’adore le soleil… ici je suis servie (sourire). Dubaï est particulière aussi puisqu’elle est un melting-pot ultra tolérant, ce qui veut dire que mille cultures se côtoient ici et s’imprègnent les unes les autres, c’est une chance incroyable d’avoir accès à des ingrédients qui sont monnaie courante ici et « exotiques » ailleurs - non seulement exotiques dans le sens difficile à se procurer, mais aussi difficile à faire apprécier… Ici j’ai l’occasion de surprendre encore plus de monde en détournant encore plus de produits (rires) : par exemple j’ai découvert ici le fenugrec que je ne connaissais pas, et utilisé récemment de la feuille de curry dans un dessert… des clients indiens l’ont goûté sans arriver à l’identifier, et une fois le secret révélé ont tous adoré ce que j’en avais fait : c’est ce genre de rencontre et de dialogue que j’adore, et Dubaï en est riche.

 

Qu’est-ce que vous rêveriez d’essayer et que vous n’avez pas encore testé ?

Bon je dois aussi prendre en compte ma clientèle et ses goûts, donc il y a une limite à ce que j’expérimente, même si j’aime toujours la repousser : par exemple j’ai travaillé le cheese cake avec un fromage fumé mais le goût était trop prononcé pour ici, j’ai revu ma copie. J’adore intégrer des légumes comme le fenouil, le cèleri, la betterave, le maïs… Pourquoi avoir en tête des a priori : ces végétaux sont très parfumés, frais, sucrés, pas de raison de les cantonner au salé ! Et puis c’est aussi une question de culture : par exemple j’ai eu une collègue coréenne qui lors de ses premières expériences professionnelles en Europe restait bouche bée sur l’utilisation que nous faisons de la tomate, car pour elle c’est à 100% un fruit dédié aux desserts !…

Le monde est un jardin extraordinaire, et je pense que l’on n’a jamais terminé de l’explorer… J’ai découvert en Afrique du Sud une plante, le buchu : une sorte d’herbe, de buisson à fleurs, qu’on ne trouve que dans une certaine région, et nulle part ailleurs. Sa saveur rare est inexplicable, totalement unique ! (C’est un buisson aromatique dont le parfum des fleurs évoque la réglisse - ndlr). C’est évidemment un défi ultra excitant à chaque fois, comme de découvrir un nouveau jeu… Will Goldfarb qui s’occupe de Room 4 Dessert à Ubud (Bali) m’a raconté qu’il expérimente en ce moment avec la feuille du cacaotier : incroyable non ?! (Lorsqu’elle raconte ces expériences et ces découvertes les yeux de Carmen pétillent, et on voit toute la passion et l’enthousiasme illuminer son visage)

 

- Brix a été sélectionné en 2024 par le prestigieux prix La Liste avec un « Hidden Gem Award » (prix du joyau caché).

Comment réserver votre aventure culinaire, uniquement les Jeudi, Vendredi et Samedi, par ici 

IMG_3988
Publié le 9 septembre 2024, mis à jour le 9 octobre 2024

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions