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AMAURY TREMBLAY – Le chef pâtissier et boulanger de Spinneys

Amaury TremblayAmaury Tremblay
Écrit par Marie-Jeanne Acquaviva
Publié le 14 juillet 2019, mis à jour le 22 juillet 2019

Amaury est le charismatique chef pâtissier et boulanger à la tête du département des pains et gâteaux de la grande enseigne d’origine anglo-saxonne Spinneys… Eh oui, tout le monde ne le sait pas, c’est un boulanger français traditionnel et très respectueux des matières premières et des recettes authentiques qui est derrière le rayon pains de ce supermarché. Nous l’avons rencontré pour en savoir plus sur son parcours et ses recettes, en particulier le mythique et mystérieux « honey cake », leurs délicieux pains au levain, et puis pour se pencher ensemble sur l’éternel débat… « où trouver une vraie baguette parisienne à Dubaï ?! » (ne ratez pas notre astuce magique en fin d’article !)

 

Amaury Tremblay spinneys dubai

 

Lepetitjournal.com/dubaï : On m’a dit que votre parcours mêlant expatriations, artisanat et entreprise était franchement atypique, alors racontez nous : comment êtes-vous devenu boulanger, et pourquoi à Dubaï ?

 

Amaury Tremblay : Je suis arrivé à Dubaï il n’y a pas très longtemps, après 15 ans en Russie et Europe de l’Est (Kazakhstan, Ukraine, Géorgie….). J’arrive en Russie en 98, peu de temps après la Perestroïka, Pourquoi? Parce que le pays m’a toujours fasciné, depuis l’enfance, alors je décide de partir sur un coup de tête, comme dans les films (rires) : je prends un billet, et je me lance, je veux aller voir comment c’est… J’arrive en pleine nuit vers 2h du matin à Sheremetyevo, à l’époque les rues ne sont pas éclairées, il fait nuit noire. Un taxi (non officiel bien sûr) me fait monter, et fonce a 180 km/h sur l’autoroute, toujours dans le noir complet, je ne suis pas certain d’arriver entier, mais finalement si !… Je fais le check-in à mon hôtel et comme je n’arrive pas à dormir je ressors me promener vers la Place Rouge, encore déserte, et là je vois un énorme soleil flamboyant se lever sur la cathédrale St Sauveur… une scène magnifique, une beauté à couper le souffle, tellement lyrique ! L’émotion est plus forte, et je me dis, allez, ça vaut le coup de tenter sa chance ici ! C’est comme ça que j’ai démarré, avec l’idée d’ouvrir un vrai bistrot français, un « bouchon lyonnais », une brasserie. Il n’y avait rien encore, pas du tout d’alternative aux restaurants soit disant de grand luxe et surtout hors de prix, et ça a très bien marché : sans même parler des tournois de pétanque que j’organisais sur le terrain attenant ! Oui Le Paname c’était vraiment le « petit coin de Paris » où se retrouvait une grosse partie de la communauté française, se côtoyant au coude à coude ou partageant un pastis (rires).

 

Mais comment arriver du petit Paris moscovite à la boulangerie à Dubaï ?

 

En fait j’ai un parcours peu « français » pour le coup, disons pas très classique : la pension d’abord, puis une scolarité aux Etats Unis de 13 à 20 ans, assorti d’un diplôme commercial pour faire plaisir à mes parents - qui ont eu l’intelligence de me pousser à devenir bilingue, et qui m’ont toujours dit que je pouvais « faire ce que je voulais mais après avoir obtenu un diplôme universitaire »... Bref, une fois ce fameux diplôme en poche je veux rentrer en France et je ne veux qu’une chose : devenir boulanger pâtissier.

 

Plus qu’un métier c’est une vraie passion : d’où vient-elle ?

 

J’ai grandi élevé par une grand mère que j’adorais, toujours en train de cuisinier : je savais faire la tarte au pomme à trois ans. Nous vivions dans un tout petit village en pleine campagne, dont le coeur était pour moi la boutique de Monsieur Barré, le boulanger. Il ne faut pas chercher bien loin, ma passion vient de là : j’allais seul chercher le pain, chaque jour, et j’aimais tout : les parfums, la chaleur, la bienveillance de sa femme qui me faisait goûter gâteaux et bonbons, le pain frais craquant et chaud sorti du four…Mr Barré pour moi c’était Dieu le père en manches de chemise !!! (rires). Bref me voilà rentré en France à 20 ans, en essayant de faire un apprentissage et en me faisant copieusement claquer les portes au nez, voire me faisant même accuser de vouloir faire de l’espionnage industriel au profit des américains ! Grâce à mon père - je suis d’une famille d’agriculteurs - qui avait des contacts dans la minoterie, j’entends parler de « l’école Bannette » une école très dure, qui formait des gens en reconversion professionnelle (quand ce n’était pas du tout à la mode). Je me retrouve donc avec un ancien marin pêcheur qui a vendu ses bateaux, un ancien directeur financier, un ancien photographe… plus de 2000 candidats, seul 8 selectionnnés par an, et à peine 3 finalistes : les autres abandonnent en route. Oui la formation est très dure, vraiment intense, mais très efficace : on maîtrise toutes les bases de boulangerie mais aussi la gestion des fournils et d’une boutique. C’est une sorte de « boot camp » militaire de la boulange : zéro distraction, zéro béquille, quand on en sort on est indépendant, on sait tout faire dans le domaine.

 

Et donc c’est là que vous vous lancez en Russie ?

 

Non, là je pars au Chili (rires) !!! J’avais un ami installé là-bas qui était enthousiaste et qui y voyait un gros potentiel, donc je pars, et à nous deux nous lançons une première boulangerie, puis d’autres, puis des restaurants, des bars. Ça marche très bien et j’adore ça, mais je dois rentrer en catastrophe en France pour des raisons familiales. Du jour au lendemain je quitte tout, et je dois m’installer à Paris où je travaille pour les enseignes Paul qui démarrent : j’apprends beaucoup, et je me retrouve à ouvrir leurs nouvelles boutiques partout dans la capitale. Puis pendant un moment je vais vivre à cheval entre les deux pays (Russie et France). D’un coté je fais du consulting de l’autre je veux construire, donc je rachète des boulangeries. Mais c’est un système qui a ses limites : ce n’est pas une nouvelle, il n’est pas simple d’être employeur en France….

 

Et puis c’est Dubaï qui vous appelle ?

 

Tout simplement recruté par un chasseur de tête qui a réussi à me convaincre de lâcher mon statut de consultant ou de patron pour redevenir salarié, sachant que j’ai une liberté totale d’exécution dans mon travail pour Spinneys, ce qui était une condition vitale pour moi… Ça, et le fait que j’ai été recruté au printemps, et que le nième mois de Mars russe dans le froid et la gadoue n’a pas pesé très lourd face au printemps à Dubaï, les pieds dans l’eau sous les palmiers et le ciel bleu (rires)… Le 5 mai 2015 c’était mon premier jour de travail ici.

 

Justement quelle est votre ligne de conduite dans votre travail pour cette grande enseigne ? Comment choisissez-vous vos recettes ? Qu’est-ce que vous souhaitez proposer ?

 

En arrivant j’ai refait toute la gamme, les pains et la pâtisserie, avec une ligne directrice très claire : aucune graisse animale ou végétale hydrogénée (les fameux trans-fat), des colorants, des exhausteurs de goût ou des améliorants tous strictement d’origine naturelle que l’on fait venir d’Europe - comme une grosse majorité de nos ingrédients.

 

Alors pour le néophyte qu’est-ce que ça veut dire ? Car on entend « exhausteur de goût »  et on a du mal à y associer le mot « naturel » ?...

 

Pas du tout : le sel et le sucre sont des exhausteurs de goût ! Cela désigne tout simplement les saveurs ou les goûts justement que l’on va donner au pain en choisissant céréales ou farines qui le composent. Par exemple : si je veux faire une « baguette tradition » je vais rechercher un parfum de noisette et un léger goût malté. Ce goût très précis, je vais l’obtenir grâce à une préparation à base d’orge grillé réduit en farine fine, que je vais incorporer à la pâte. Evidemment vous trouvez aussi une solution chimique synthétique équivalente, mais le goût, la qualité et le résultat sont incomparables.

 

Vos critères de qualité sont donc très sévères ?

 

Oui, il faut savoir par exemple que pour obtenir le label "organic" (bio) aux Etats-Unis et dans une grande partie du monde, il vous suffit de 70% d’ingrédients d’origine biologique. En France, comme dans les pains que je produis ici, l’étiquette « organic » signale plus de 98,5% d’ingrédients certifiés biologiques. La même chose pour les pains protéinés, ou les pains riches en fibres. Nous allons en sortir un qui m’a demandé près de deux ans de travail, avec près de 12% de fibres dans une mie blanche et dense, un vrai défi ! Sachant que les pains de supermarché étiquetés « fibres » culminent en général à 6%, ce qui ne veut pas dire grand chose… Pareil pour nos pains au levain : une nouvelle recette là encore, avec un pain blanc 100% levain (donc zéro levure !) presque 600 grammes en poids après cuisson, une merveille ! Et bien entendu j’essaie au maximum de conserver tous mes produits dans une fourchette de prix très abordable. Par exemple, ce fameux nouveau pain tout levain devrait être proposé en dessous des 15 drh…

 

Comment conciliez-vous la multi-culturalité de votre clientèle ? Un pain pour chaque nationalité ? Ou un pain pour tous ?

 

Alors je vais vous raconter l’histoire du honey cake et de la baguette parisienne…

 

On dirait le titre d’un conte pour enfants !

Hahaha : pourquoi pas ! Donc le Honey Cake c’est un gâteau russe bien sûr, c’est le traditionnel Medovic ! Pourtant beaucoup de gens sont convaincus que c’est un gâteau traditionnel arabe revisité, mais pas du tout…et c’est une de nos meilleures ventes, qui plaît vraiment à tout le monde. Pour avoir un produit d’une telle qualité je fais venir la crème aigre (la sour cream) de Lituanie, de loin la meilleure de toutes. Pour la crème fraîche c’est l’Ukraine, mes purées de fruits sont sans sucre ajouté… bref : je vise vraiment une pureté de goût et un grand respect des ingrédients, et cela touche - je crois - tout le monde. Mais revenons à la baguette : une vraie baguette parisienne, qu’est-ce qui la caractérise ? Avant tout le fait qu’elle est bonne mangée dans l’heure - or ici personne ne fait ça : le temps de rentrer chez vous ou d’attendre la livraison entre la chaleur et l’humidité c’est déjà du papier mâché…, et puis c’est son goût, l’odeur, oui mais ce n’est pas tout…

 

Le bruit de la croûte ? Ça craque ?

 

Oui c’est ça, comme dans Ratatouille (rires) !!! Et c’est là qu’est le dilemme car en fait, contrairement à la croyance populaire, ce ne sont pas les français les plus grands amateurs de baguette à Dubaï : notre plus grosse clientèle est surtout asiatique, indienne, émiratie… mais pour eux, si le pain craque, c’est un message culturel diamétralement opposé : cela veut dire qu’il est trop vieux, qu’il a séché et durci et est immangeable ! Impossible de forcer cet apriori… donc nos baguettes ne « craquent » pas…. Car sinon nous ne les vendrions pas ! En tout cas, pas assez. Ceci dit, leur confection est rigoureusement la même, ce n’est qu’une question de cuisson : donc je vais vous donner une petite astuce miraculeuse, il suffit de les enfourner à 220-240, 2 ou 3 minutes pas plus, en ayant jeté quelques gouttes d’eau dans le four du bout des doigts c’est encore mieux, et voilà abracadabra, vous avez votre vraie parisienne !

 

Donc pour répondre à votre question : le goût des choses de grande qualité, bonnes et vraies, c’est universel. Mais il faut aussi respecter les traditions et les habitudes alimentaires de chacun, tout en proposant et montrant qu’on peut essayer autre chose, du moment que la qualité est présente. Et les gens sont curieux, avides de nouvelles expériences, avides d’apprendre aussi : la preuve par exemple avec le concours des Master Bakers (Richemont Masterbaker Pastry & Baking Championships 2018 - ndlr) auquel je viens de participer en tant que juge : il y a une vraie curiosité, de vrais talents, et j’aimerais bien emporter l’année prochaine une équipe émiratie - pourquoi pas - aux championnats du monde !

 

Sur cette belle perspective, le mot de la fin : votre Dubaï ?

 

J’adore la mer, la voile et en particulier le catamaran, dès que je peux m’échapper, c’est là que vous me trouverez… le bord de mer en général : le marché au poisson de Jumeirah, où j’achète des palourdes extras qui me rappellent celles que je ramassais enfant en Normandie, les crevettes tigre fantastiques… J’adore cuisiner, et quand je sors du travail je ne suis pas du genre à raccrocher mes ustensiles : j’aime cuisiner pour mes amis, dont beaucoup sont chefs aussi d’ailleurs, j’aime rencontrer les gens, le melting pot de Dubaï me fascine, mais j’aime les vraies rencontres et je fuis les mondanités : 4, 5 amis qui bavardent, un bon repas… et voilà !

 

 

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Publié le 14 juillet 2019, mis à jour le 22 juillet 2019

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