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VIVRE À DAKAR – Témoignage de Delphine, galeriste

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Stéphane Tourné
Écrit par Lepetitjournal Dakar
Publié le 16 novembre 2023

Avant de poser ses valises à Dakar, il y a cinq mois, Delphine vivait à Paris ou elle a grandi et fait une partie de ses études en histoire de l’art. Après un passage de deux ans à Edimbourg puis à Londres pour son master, elle reviens à Paris et commence à travailler comme assistante d’artistes et dans des centres d’art, tout en écrivant sur l’art contemporain pour la presse spécialisée et en développant des projets d’exposition avec de jeunes artistes.

 

Alors que l’art africain est en vogue sur le marché de l’art, ouvrir une galerie et poursuivre son développement sur le continent prend tout son sens

 

Quand et pour quelle raison es-tu venue au Sénégal, la première fois ?

 

Mon premier contact avec le Sénégal s’est fait via l’art contemporain justement. C’était en 2012, j’étais en stage auprès de la Biennale de Dakar dont je venais de découvrir l’existence lors d’un cours dédié à l’art africain contemporain que je suivais à l’université. Alors qu’on nous parlait le plus souvent des grandes places de l’art contemporain comme Venise ou Basel, une géographie de l’art qui oubliait souvent « les Suds », j’ai été stupéfaite de découvrir qu’une ville comme Dakar avait elle aussi une biennale, et qui plus est ambitieuse dans ses idées ! Étant métisse d’une mère française et d’un père sénégalais, c’était aussi l’occasion de découvrir la ville où mon père a grandi.

 

Delphine-Lopez
Photo Stéphane Tourné

 

Parle nous de ton travail.

 

Je dirige le nouvel espace de la Galerie Cécile Fakhoury à Dakar. Cécile Fakhoury a créé sa galerie à Abidjan en Côte d’Ivoire en 2012 en concrétisant sa vision engagée de promouvoir et soutenir les artistes et la création contemporaine africaine depuis le continent africain.

Lorsque Cécile m’a parlé de son projet d’ouvrir une seconde galerie à Dakar, j’ai tout de suite été séduite. Être artiste en Afrique n’est pas simple, de nombreux paramètres sociaux et économiques font souvent obstacle au développement de leur carrière et la plupart des artistes contemporains africains reconnus aujourd’hui ont quitté le continent pour pouvoir continuer à créer. Alors que l’art africain est en vogue sur le marché de l’art, ouvrir une galerie et poursuivre son développement sur le continent prend tout son sens.

 

Il me semble qu’en réalité tout est affaire d’esprit positif

 

Comment s’est passée ton arrivée au Sénégal ?

 

Mon arrivée au Sénégal a été disons… Intense ! Il fallait ouvrir la galerie pour la Biennale de Dakar tout en prenant mes marques sur le plan personnel. J’ai aussi découvert un pays où l’administratif est encore plus complexe qu’en France ! (rires). Les journées étaient bien remplies, pourtant je me suis assez vite sentie à l’aise, en grande partie grâce à mon oncle qui m’a offert un soutien sans limite, mais aussi grâce à l’hospitalité des gens : la fameuse Teranga sénégalaise est bien réelle ! Il me semble qu’en réalité tout est affaire d’esprit positif. Si l’on reste ouvert, les gens y sont sensibles et alors tout le monde est prêt à donner un coup de main quand il faut.

 

Je trouve qu’il y a ici une capacité à inventer ce qu’on ne sait pas faire, à contourner les obstacles et à créer, ce qui est remarquable

 

Qu'aimes tu particulièrement au Sénégal ?

 

Je suis fascinée par cette faculté qu’ont les Sénégalais de rendre tout possible. Quand je me suis installée ici avec l’objectif de développer l’activité de la galerie, j’ai eu quelques retours plutôt négatifs de gens installés ici depuis un certain temps qui me disaient qu’il serait très difficile voire impossible de faire certaines choses - bien sûr ouvrir une galerie d’art contemporain en faisait partie. À vrai dire, je ne suis plus sûre qu’on parlait du même pays à ce moment-là ! Je trouve au contraire qu’il y a ici une capacité à inventer ce qu’on ne sait pas faire, à contourner les obstacles et à créer, ce qui est remarquable. Je le vois au quotidien avec les gens avec qui je travaille à la galerie. Evidemment tout n’est pas simple, loin de là, mais il y a énormément à apprendre des ressources de l’informel pour un esprit cartésien comme le mien. D’ailleurs, cela se ressent aussi dans la vie culturelle bouillonnante du moment avec de nouveaux projets d’artistes, des collectifs de mode, des designers qui se créent, parfois à partir de peu, mais dont le développement n’a rien envié à d’autres.

 

Quels sont les principaux défis auxquels tu as été confrontée au Sénégal ?

 

Le facteur temps en est un, si ce n’est le plus grand défi auquel je suis confrontée. Récemment, Wasis Diop, le frère du réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambety expliquait dans une interview que la temporalité africaine ne s’inscrivait pas dans la linéarité mais qu’au contraire, elle était cyclique. L’avenir existe mais la vie se vit aujourd’hui. J’ai pris un peu de temps pour comprendre ça, et parfois, il y a encore quelques ratés ! Ceci dit, c’est très intéressant d’essayer d’embrasser cette conception qui est ouverte de manière égale au passé, au présent et à l’avenir ; en particulier dans mon domaine de l’histoire de l’art. Cela permet de reconnecter et de faire dialoguer des générations d’artistes entre eux, et pourquoi pas écrire peu à peu une histoire de l’art africain avec des concepts propres à l’Afrique. Pour le reste, il s’agit de sans cesse trouver l’équilibre dynamique entre l’instant présent et la suite pour continuer à avancer. Je crois que de nombreux enjeux sont là, il n’est pas toujours simple de résister aux miroitements du profit rapide et sans avenir.

 

Quel est ton endroit préféré à Dakar ?

 

J’adore l’hôtel Le Sokhamon sur la corniche. J’ai découvert cet endroit pendant la Biennale de Dakar car la galerie y exposait trois artistes, Dalila Dalléas Bouzar, Jems Koko Bi et Kassou Seydou (actuellement exposés à la galerie d’Abidjan ndlr). C’est un lieu complètement atypique à l’architecture rocambolesque, à la fois mystérieuse et chaleureuse. Le bar offre une vue imprenable sur les îles de la Madeleine et la courbe de la Corniche vers le Nord. Dans la journée, c’est un havre de paix dans la frénésie de la ville, mais le soir, c’est aussi souvent un bon repère pour les âmes festives.

 

Delphine-Lopez
Photo Stéphane Tourné

 

Est-ce que tu planifies d’y rester encore un bon bout de temps ? Combien ? Pourquoi ?

 

Je reste encore un moment au Sénégal. Je vais continuer à développer les activités de la galerie de Dakar avec notamment l’objectif de toucher la population locale afin de l’amener à venir voir de l’art contemporain et à s’approprier un patrimoine d’aujourd’hui qui lui appartient bel et bien. Il s’agit aussi de toucher et d’intéresser une nouvelle génération de collectionneurs.  Le rôle et les enjeux de la galerie d’art sont encore méconnus en Afrique de l’Ouest. L’objectif est de poursuivre notre développement sur le marché de l’art international mais aussi de contribuer à un marché local, jeune, en développement et prometteur. Cela passe notamment par un programme d’expositions diversifié: après l’exposition des peintures d’Armand Boua (jusqu’au 28 septembre 2018, ndlr), la galerie se transformera en boîte noire pour faire découvrir de l’art vidéo à la fin octobre. Parallèlement, nous préparons à Abidjan une exposition des dernières oeuvres de l’artiste ivoirien Ouattara Watts, un contemporain de Jean-Michel Basquiat. L’enjeu est important, il s’agit de la première exposition personnelle de cet artiste de renommée internationale en Côte d’Ivoire. Enfin, les mois à venir s’annoncent palpitants pour la vie culturelle à Dakar avec l’ouverture du musée des Civilisations Noires qui promet d’être intéressante et la 7ème édition du Partcours pour l’art contemporain à laquelle nous espérons participer en décembre.

 

Quels conseils donnerais-tu à des femmes nouvellement arrivées ou qui souhaitent se lancer dans la vie active au Sénégal ?

 

Prenez un peu le temps d’observer les règles du jeu, entourez-vous de gens en qui vous avez confiance et foncez !

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