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Un homme en colère : Papis Bakary Coly, Président de la FAAS

Un homme en colère : Papis Bakary Coly, Président de la FAASUn homme en colère : Papis Bakary Coly, Président de la FAAS
Écrit par Irène Idrisse
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 6 janvier 2021

Un homme en colère : Papis Bakary Coly, Président de la Fédération autonome des aviculteurs du Sénégal 

 

Colère chez les aviculteurs sénégalais. La raison ? L’ouverture du marché en 2020 décidée par leur ministère de tutelle.

Craignant que l’arrivée des entreprises externalisées telles que Zalar et Doux ne vienne annihiler leur gagne-pain, les aviculteurs se mobilisent. Et ont décidé de communiquer quant au fait de protéger cette filière employant majoritairement des jeunes. Entretien avec Papis Bakary Coly, jeune Sénégalais revenu de « la tentation de l’émigration» et résolu à s’investir dans son pays.  Constitué en tout et pour tout de 30 poussins, son petit poulailler de naguère voit passer à ce jour 20 000 poulets de chair par an et compte environ 4500 pondeuses en activité. Echanges avec un homme dont la profession de foi est : « Je suis aviculteur et je veux rester aviculteur », un homme qui  nous livre quelques chiffres édifiants relatifs à cette filière à fort taux de croissance.

Pouvez-vous vous présenter ?

Papis Bakary Coly, président de la Fédération autonome des aviculteurs du Sénégal Faas JOM agir pour l’agriculture.  Et chargé de communication du CODIFAS (collectif pour la défense de la filière avicole sénégalaise) qui regroupe en son sein plusieurs associations dont AVIS (association des aviculteurs indépendants du Sénégal... Quatre  associations d’envergure nationale se sont réunies pour mettre en place le CODIFAS dont je suis le chargé de communication.

  Vous êtes un homme en colère. Pourquoi ?

Oui, je suis en colère et je ne suis pas le seul. Tous les aviculteurs du Sénégal conscients de  leur futur sort sont dans la même situation que moi. Parce que les décisions étatiques auxquelles nous faisons face  n’arrangent pas les aviculteurs et n’aident pas les  jeunes à s’insérer dans le tissu avicole sénégalais. 

 

2020 c’est déjà demain 

Pouvez-vous nous lister les mesures et décisions qui impactent concrètement votre filière ?

Les décisions reposent sur l’implantation d’acteurs étrangers dans la filière avicole sénégalaise.   Ces acteurs viennent majoritairement de deux pays : le Maroc et la France. Pour le cas du Maroc, c’est le groupe Zalar l’un des plus grands groupes, sinon le plus grand groupe marocain qui va s’implanter au Sénégal sur 180 ha à Sandiara ; c’est déjà visible: ils ont déjà eu le terrain. Ils vont venir avec une production moyenne de 500.000 poulets/semaine. C’est cela qui nous met en colère. Comme si nous Sénégalais, ne pouvons pas satisfaire le marché sénégalais.  Il y a un autre groupe qui s’appelle Doux*, qui est dans des difficultés en France et qui veut se faire une santé en se redéployant en Afrique, précisément, au Sénégal.

Pour le moment, les autorités disent qu’elles sont encore sur les mesures interdisant les produits avicoles donc on s’en tient pour le moment à ça. Mais je rappelle que la date line qui nous a été donnée c’est 2020. 2020 c’est déjà demain donc on s’attend à aller encore en discussion, en négociation pour voir ce qui sera fait et quelles sont les mesures qui, concrètement, seront prises par les autorités étatiques.

La mondialisation représente donc un réel danger pour vous ?

Les autorités disent qu’elles sont encore sur les mesures interdisant l’importation mais les nouvelles mesures sont effectives, nous, on le sait déjà. Allez à Sindiara, vous verrez l’implantation dont je vous ai parlé et le groupe français qui arrive ; eux, visent le centre du Sénégal pour pouvoir faire le dispatching de leurs produits une fois installés. Nous, petits producteurs entre guillemets, nous sommes inquiets de cela parce que notre sort, notre avenir est en danger. Raison pour laquelle aujourd’hui, nous parlons à la presse, nous parlons avec tout le monde, nous parlons avec les autorités qui peuvent éventuellement essayer de voir, ce qu’on peut voir pour freiner  cet élan. Parce qu’en fait c’est une filière porteuse, une filière qui emploie beaucoup de  jeunes au Sénégal, qui nourrit beaucoup de familles donc pour nous, c’est une filière à protéger, c’est une filière à secourir pour qu’elle puisse continuer à nourrir les citoyens sénégalais.

 

… le fait de promouvoir les produits locaux est déjà un pas pour l’émergence de ce pays 

Ces mesures impactent-elles également le secteur agricole ? Vous nous aviez parlé de la pomme de terre.

Oui. On a vu ce qui s’est passé avec la pomme de terre… Avec une entreprise indienne installée au Sénégal à qui on a donné 1000 hectares pour produire de la pomme de terre. Le Ministre avait pris les mesures qu’il fallait pour garantir l’écoulement de la production des Sénégalais sur le marché national. Aujourd’hui, on voit avec la surproduction de  la pomme de terre sur le marché national : les producteurs locaux se retrouvent avec la production indienne sur les marchés, donc surproduction de pommes de terre,  résultat, la pomme de terre est bradée à un prix dérisoire et non rentable pour les producteurs locaux qui ne s’y retrouvent pas. Cela n’encourage pas les jeunes Sénégalais à s’intégrer dans le secteur agricole sénégalais.  Il faut protéger le marché, il faut pousser les jeunes Sénégalais à produire encore d’avantage.  Et aussi, mettre des barrières protectionnistes pour qu’une fois leurs produits mis sur le marché, ils puissent s’écouler correctement. C’est cela, l’aimant qui va attirer les jeunes vers  l’agriculture. On n’a pas besoin de faire de la publicité mais le fait de promouvoir les produits locaux est déjà un pas pour l’émergence de ce pays.

 

Aviculteurs en colère

 

Pouvez-vous nous éclairer sur le poids de l’aviculture sur l’économie au Sénégal ? Combien d’aviculteurs répertoriés le pays compte t’il ?

Nous partirons sur les chiffres qui ont été donnés par le Ministère de tutelle. Je prends juste 2005 : c’est une année de référence parce que c’est en cette année que  la mesure d’interdiction d’importation des produits avicoles et matériaux usagés est entrée en vigueur. Donc en 2005 le Sénégal produisait entre 4 et 5 millions de poussins par an. Aujourd’hui, nous sommes à une production qui tourne autour de 50 à 60 millions par an.  Ce qui veut dire que la filière a fait un grand boom, passant de 7000 emplois directs et indirects  à aujourd’hui, 50.000 emplois directs et indirects.  Et nous, producteurs, nous disons même plus parce que ces chiffres datent. Passant ainsi d’un chiffre d’affaires qui tournait autour de 40 et quelques milliards à aujourd’hui 160 milliards : cela veut dire que la filière a fait un grand bond. Aujourd’hui, au Sénégal, on verra difficilement une filière faire des bonds aussi spectaculaires que la filière avicole sénégalaise.

Donc c’est une filière  de référence, une filière qu’il faut soutenir et appuyer parce que chaque année  que Dieu fait,  cette filière continue de nous émerveiller de par ses chiffres, de par le nombre d’empois  et la qualité des produits offerts aux consommateurs. 

 

Vous  savez qu’on ne peut pas être patriote avec les poches trouées 

Selon vous, que deviendront tous ces jeunes s’ils se retrouvent au chômage ? Leur frustration  ne risque t’elle pas de les conduire à des comportements désespérés ?

Vous  savez qu’on ne peut pas être patriote avec les poches trouées.  On ne peut pas être patriote si l’on ne peut pas vraiment nourrir son ventre. La filière avicole, c’est un investissement à court terme - pour ceux qui font dans la gamme poulets de chair c’est juste 30 à 40 jours  - donc ça permet à l’ensemble des personnes qui s’y activent, d’avoir en un court laps de temps, un gagne-pain. 

 

L’Europe n’est plus ce qu’elle était auparavant,  donc moi, je compte rester dans mon pays, servir mon pays et je crois que c’est ici que je gagnerai ma vie 

Vous même avez tenté l’aventure de l’émigration puis êtes revenu vous investir dans votre pays. Que ferez-vous si vous ne pouvez plus exercer votre métier d’aviculteur, repartirez-vous à l’étranger ?

Repartir à l’étranger, c’est la dernière des choses à laquelle je pense,  je ne pense plus retourner pour rester en Europe. Je peux y aller pour revenir mais aller encore en émigration, je ne le souhaite pas.  Je vois bon nombre de Sénégalais qui reviennent de l’émigration… L’Europe n’est plus ce qu’elle était auparavant, donc moi, je compte rester dans mon pays, servir mon pays et je crois que c’est ici que je gagnerai ma vie. Le mythe européen est déjà sorti de ma tête, j’y ai vécu pendant trois ans [en France Ndlr] et je sais ce que ça représente. Donc pour moi, la seule activité que j’ai est celle que je pratique actuellement : l’aviculture. Et je ne souhaite pas qu’on la prenne entre mes mains. Je suis aviculteur et je veux rester aviculteur.   L’aviculture c’est ma vie, j’y ai consacré 15 ans de mon existence, donc je ne vois pas la raison pour laquelle je laisserai cette activité. Raison pour laquelle nous nous battons pour sauvegarder notre activité et je crois que cela relève de nos droits : personne ne doit nous empêcher de le faire. Certains sont revenus de l’émigration pour la pratiquer et vivre dignement dans leur pays.

 

Le gouvernement doit protéger un secteur aussi émergent que le secteur avicole 

Pensez vous que le votre gouvernement doive opter pour des mesures plus protectionnistes ?

Oui. Le gouvernement doit protéger un secteur aussi émergent que le secteur avicole. Quand on parle de Sénégal émergent, c’est le secteur de référence, que tout le monde doit pouvoir appuyer et montrer en référence pour que les gens sachent que ce secteur est en train de faire des bonds extraordinaires.

 

Aviculture

 

Le futur de l’aviculture au Sénégal ?

Aujourd’hui, très sombre. Si je peux m’exprimer ainsi. Mais nous osons espérer que le gouvernement va revenir en arrière et permettre aux Sénégalais de produire pour nourrir les Sénégalais.

Croyez vous que votre parole sera entendue ?

Oui, parce qu’on parle avec respect. Vous savez, dans ce pays le droit d’association est accordé aux citoyens. Nous pourrions bruler des pneus etc mais nous croyons à la construction du pays et à notre  participation à cette construction. Donc nous ne nous autorisons pas à aller jeter des pierres, bruler des pneus etc. Nous croyons que de personne à personne, d’intellectuel à intellectuel, les autorités pourront comprendre ce que nous réclamons, c’est notre droit d’avoir du travail, c’est notre droit de revendiquer ce qui nous appartient, c’est notre droit aussi de défendre l’économie de notre pays.

 

*En difficulté, la société Doux est en liquidation judiciaire en France mais est autorisée à continuer ses activités jusqu’au 31 mai 2018, ce, à partir du 4 avril 2018.

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