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Ramon Llonch, fondateur de Artlantic

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Écrit par Irène Idrisse
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 6 janvier 2021

 

Il n'y a pas beaucoup de choses qui différent les humains des autres animaux : le sens de l'humour est l’une d’elles, l’autre est l’art

« Quelque chose entre artiste et designer, mais je ne suis pas sûr». C’est ainsi que se définit Ramon Llonch, Espagnol qui voue un profond amour et respect à l’Afrique et l’art qui y foisonne.

Une effervescence artistique qu’il met à l’honneur lors de workshops mettant en présence Européens et artisans sénégalais. Par les mers et flots, les œuvres ainsi créées partent ailleurs, portées par cet  ambassadeur itinérant, qui fait bénéficier de villes et pays lointains des objets issus de cette lecture particulière du design qui allie le vieux au jeune,  le rustre au moderne, inscrivant l’artisanat africain dans ce circuit du Beau que sont les galeries d’art et autres expositions ; écrins de prestige pour des œuvres épurées, riches en esthétique, en signification et en histoire. Entretien Ramon, entretien avec un homme rare. 

Ramon Llonch

 « Mon nom est  Ramon Llonch, je suis né à Barcelone et j'ai passé la plus grande partie de ma carrière professionnelle à l'étranger. Je dois être quelque chose entre artiste et designer, mais je ne suis pas sûr »...

 

Depuis quand vous intéressez vous à l’art en général ?

La créativité a été l'une des plus fidèles constantes de ma vie et de ma carrière. Tout d'abord, j'ai appris que cela pouvait être un outil pour créer des produits. Plus tard j'ai compris que cela pouvait être une clé pour transformer la vie des gens et faire du monde un meilleur endroit pour vivre.  Il n'y a pas beaucoup de choses qui différent les humains des autres animaux: le sens de l'humour est l’une d’elles, l’autre est l’art.

 

Ramon Llonch

 

Mon premier voyage à vélo fut au Pays Dogon, au cœur du Mali 

Vous dites que votre cœur est africain. Quel est votre lien avec l’Afrique en général et le Sénégal en particulier ?

Mon premier voyage à vélo fut au Pays Dogon, au cœur du Mali. A cette époque je ne savais toujours pas combien l'Afrique allait changer ma vie. Ne me demandez pas pourquoi… La beauté de la nature qui, dans de nombreux endroits, reste intacte et rend aisé à imaginer comment fut celle-ci avant la venue de l’être humain, le sens de la spiritualité des Africains qui imprègne de nombreux aspects de la vie quotidienne que nous Européens, avons presque oublié, le dialogue étroit avec la nature et le respect des personnes âgées... C'est un mélange de sentiments qui ne peut être traduit par les mots. Chaque fois que j'y vais, je pense que je reçois beaucoup plus que ce que je donne et cela me rend reconnaissant. De ces voyages aventureux en Afrique, je pensais qu'il était temps de faire quelque chose de moins contemplatif : j’ai donc songé à commencer une activité  quelque part en Afrique. J'ai trouvé la plupart des ingrédients au Sénégal: l’idée, les artisans et le talent.

Quand vous êtes vous rendu au Sénégal pour la première fois ?

Ma première fois au Sénégal était autour de 2010 avec mon vélo. Les rues de Dakar étaient  bondées et chaotiques à cause de l'inauguration du Monument de la Renaissance. Puis je me suis déplacé lentement à Saint Louis et je suis allé très tôt chaque matin capturer le moment où les bateaux de pèche arrivaient au port. Ce fut le début d'un futur projet.

Quels sont les autres pays d’Afrique que vous avez parcouru ?

Je pense que je garde dans ma mémoire chaque jour que j'ai passé sur ce continent, chaque kilomètre parcouru, chaque montagne que j'ai escaladée et le sourire des gens que j'ai rencontrés au Kenya, Tanzanie, Afrique du Sud, Maroc, Togo, Bénin, Ghana, Mali ou Côte d'Ivoire.

Vous rendez-vous souvent en Afrique encore aujourd’hui ?

Rester loin de l'Afrique pour longtemps n'est pas bon pour ma santé.

De quand date l’idée de lier Arts et Afrique ?

Je ne suis pas en mesure de vous dire quand. Cela a été un processus. J’ai passé une longue période de ma carrière professionnelle dans les pays d'Extrême-Orient à l'époque où la Chine est rapidement devenue le moteur du monde. Nous étions des fournisseurs mondiaux, j’étais là. Gros volumes, productivité, marché de masse... Un jour, j’ai senti que quelque chose manquait à ma carrière professionnelle.

 Je pensais que le Design ne consistait pas qu’à créer du nouveau et de nouveaux produits et les mettre sur le marché. J'ai donc décidé de m'éloigner des grandes entreprises, de m'éloigner de la copie et de revenir en arrière, à l'authentique, au réel. Je me suis donc éloigné de la production de masse informatisée et ai utilisé mes mains. Je cherche quelque chose de plus significatif, pour donner un sens à la profession. Ce jour-là, en regardant la beauté de ces bateaux de pêche dans le port de Saint-Louis, j'ai eu une idée. Pourquoi ne pas vivre plus d'une vie? Pourquoi ne pas incarner l'histoire de ce bois et parler de la vie de ces sculptures flottantes avec des milliers de miles nautiques dangereux navigués dans l'océan Atlantique ?

 

L'idée était de concevoir et fabriquer du design contemporain à partir du bois des bateaux de pêche

 

Artlantique

 

Pouvez-vous nous parler de votre entreprise ? Quand est-elle née, sa philosophie et vision ?

La nuit, dans le port de Yoff, au nord de Dakar, des centaines de bateaux affluent sur la plage en formant une mosaïque colorée. Formant leurs figures géométriques composées par d’énigmatiques figures qui parlent des histoires de la mer, de leurs peurs et espoirs, des familles des pêcheurs, de leurs religions et traditions. Donc, ma matière première n'était pas le bois, mais un témoignage de la vie des pêcheurs ouest-africains. Cela était si attrayant pour moi. J’aimais les blessures du bois, les tons de l'époque, les textures délavées et les dessins mystérieux sur les flancs… Donc dans mes voyages successifs, ma recherche de vieilles embarcations abandonnées s’est intensifiée et les idées ont commencé à prendre forme. Je rejoignis une équipe de talentueux artisans et en ce jour de 2010, ARTLANTIQUE est né. L'idée était de concevoir et fabriquer du design contemporain à partir du bois des bateaux de pêche.

Combien êtes-vous dans cette entreprise ?

La plupart des artisans sont sénégalais et  nous coopérons avec des enseignants et des étudiants d’universités européennes. L’entreprise a bougé dans divers ateliers à Dakar et Thies, essayant d’asseoir la bonne équipe et les bonnes machines car il est difficile de transformer les embarcations en meubles.

Dans quels pays vendez vous ces œuvres ?

Nos pièces fabriquées en Afrique ont plusieurs destinations : San Diego, Bahamas, Tokyo et de nombreux pays européens,  aussi des pays africains comme la Côte d'Ivoire, le Nigeria et bien sûr : le Sénégal lui-même.

 

…Nous ne montrons nos produits que dans les galeries d’art et les expositions 

Artlantique

Avez-vous des showrooms ?

Comme nous ne voulons pas que nos pièces soient considérées comme des meubles, mais comme des pièces de design et d'art, nous nous éloignons de la distribution traditionnelle et ne montrons nos produits que dans les galeries d'art et les expositions.

 

Pour moi, l'Afrique est la dernière porte du monde à demeurer ouverte

 

Constatez-vous une croissance de la demande des œuvres de ce genre en Europe ?

Je pense que si les marchés internationaux sont de plus en plus attirés par l'Afrique, ce continent est encore loin d'être bien représenté. Premièrement, il existe toujours cette vieille perception de l’art africain qui est relayé au tribal ou au rituel mais heureusement, il y a une nouvelle génération d'entrepreneurs, de penseurs, de professionnels et de designers qui transforment rapidement cette vieille perception de l’Afrique, induisant une nouvelle perception, une nouvelle ère pour l'Afrique. Cela prendra du temps mais il n'y a plus de retour en arrière possible.

A quoi attribuez-vous ce fait ?

Il y a beaucoup de faits qui se sont produits simultanément en ce début du 21ème siècle. Après des siècles d'isolement, d'esclavage et de colonisation, l’Afrique avance surement vers la prospérité. Les changements économiques et politiques énormes dans le continent, les chiffres macroéconomiques attirent les investisseurs ; les technologies brisent les distances et permettent aux voix africaines d'être entendues partout dans le monde et ce,  pour la première fois. Les défis restent immenses mais avec plus d'un milliard de personnes - dont plus d'un demi-milliard ayant moins de 20 ans (on estime que cela représente le ¼ de la population mondiale en 2015 !) - l’Afrique  n'est plus l'avenir du monde, il est son présent ! Pour moi, l'Afrique est la dernière porte du monde à demeurer ouverte.

 

Artlantique

 

Vos œuvres sont-elles créées et finalisées au Sénégal ?

La matière première et la fabrication sont faites en Afrique. Le processus du design est un peu plus complexe car nous devons écouter les tendances internationales et nous y adapter. Nous devons ainsi explorer les limites d'un bois qui ne vient pas d'un arbre mais d'un bateau.

Quel est le cheminement que prend une œuvre sitôt qu’elle est réalisée au Sénégal ?

Depuis le port de Yoff jusqu'à la destination finale, l'histoire est longue, de nombreuses personnes, des pêcheurs, des voyageurs aux différents ports, en passant par le bon matériel, le port, les charpentiers, les finisseurs, le traitement antiparasitaire, les problèmes d'expédition et la réception à Barcelone pour le dernier contrôle.

Comment qualifieriez-vous votre lien avec le Sénégal ?

Chaque fois que je viens au Sénégal, je rentre à la maison... Le Sénégal est un petit pays si vous le comparez avec les pays africains mais concentre la plupart du caractère africain, pourrait être chaotique, moderne, traditionnel, riche, pauvre, sacré, sage et drôle. Je ne peux plus imaginer ma vie sans le Sénégal.

Enfin, qu’est ce que l’Art apporte à votre vie d’artiste ?

Je ne sais pas si je suis un artiste, mais l'art est pour moi comme une autre langue, sans mots, sans grammaire, que j'utilise pour exprimer mes sentiments et plus spécialement pour m'aider à admirer et respecter ceux, qui eux, sont vraiment des artistes.

 

Préférences de Ramon Llonch

Genre artistique : Les bonnes idées en général. Il ya des artistes qui ne sont ni peintres ou, écrivains ou musiciens. Ils sont juste artistes dans la vie et quelquefois ils ne savent pas : j'aime à découvrir ces gens.

Mot : partager

Emotion : se perdre n’importe où dans le monde

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Couleur : les tons d’ombre et de couleur difficiles à classifier

Mot pour dire « bye bye » : « fins aviat » qui signifie «  à bientôt » en catalan

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