Allier le plus vieux métier du monde - nous parlons de l’Agriculture - aux nouvelles technologies, c’est le pari de Souleymane Agne qui a délaissé ses études de droit pour embrasser la carrière d’agriculteur. Initiateur de la fraise bio cultivée et transformée au Sénégal, le jeune homme navigue loin des sentiers battus, innovant à tout va et déjà multi récompensé quant à son audace. Nominé aux African digital Awards, le voila encore dans les starting blocks. De son grand-père cultivateur décoré par De Gaulle et Senghor, à son combat pour le bio, entretien avec un jeune homme pour qui le bio est un devoir « car j’ai non seulement un compte à rendre aux générations à venir mais aussi à mère nature ».
Lors de la deuxième guerre mondiale, mon grand-père offrait, après chaque campagne la moitié de ses récoltes aux troupes de l’armée française composée en grande partie de tirailleurs sénégalais
Vous faites partie des nominés des African digital Awards votre impression ?
Pour moi c’est un immense plaisir de figurer sur la liste des nominés. J’ai remporté pas mal de prix dans ma vie*. Mais qu’on m’annonce un bon matin que je suis nominé pour le African Digital Awards pour le travail abattu jusque-là dans l’Agriculture est une grande première pour moi et est largement suffisant comme encouragement. Cela prouve tout simplement que je suis sur le bon chemin et que je dois persévérer.
Quel représente ce prix et en quoi consiste-t-il ?
Les ADA, Les African Digital Awards, sont la reconnaissance des 10 startups tech/PME les plus innovantes dans 7 pays africains (Côte d'Ivoire, Burkina Faso, Sénégal, Ghana, Rwanda, Bénin et Togo).
Le prestigieux Golden Tulip le diplomate, hôtel international 4 étoiles, accueillera cette cérémonie pour récompenser ces 10 lauréats le samedi 16 Juin à partir de 20 heures, à Cotonou en République du Bénin.
Il y a 10 catégories et moi je suis nominé pour la catégorie Startup agro, Environnement, Elevage. Et dans chaque catégorie il y aura au final un lauréat suite à des votes en ligne et évaluation du jury jusqu’au 30 Avril. Si vous pensez que je mérite ce prix je vous invite à voter pour Souleymane Agne ici
Pouvez-vous nous parler de votre grand-père et ce qu’il représente pour vous ?
Il est l’homme qui a fait de moi ce que je suis devenu aujourd’hui. La quasi-totalité de mon inspiration pour innover dans le domaine agricole, me vient de lui.
Il fut le premier Imam ratib et juge coutumier de la région de Tambacounda. Mouhadame de Elhadji Malick SY et fidèle de Cheikh Ahmadou Bamba, il a consacré toute sa vie à des œuvres sociales. A l’époque, il disposait de plus de 300 000 ha de surface cultivable qu’il exploitait à leur juste valeur et partageait ses récoltes avec la population locale. Lors de la deuxième guerre mondiale, il offrait après chaque campagne la moitié de ses récoltes aux troupes de l’armée française composée en grande partie de tirailleurs sénégalais. C’était une façon pour lui de participer à la guerre et aider ses frères de sang qui manquaient de temps à autre de denrées alimentaires. À la fin de la guerre, pour saluer ses actions, le Général De Gaulle lui décerne trois médailles dont la légion d’honneur et le classe au rang d’un citoyen français. Suite à ces différentes distinctions, le président de la république du Sénégal à l’époque Léopold Sédar Senghor lui décerne le titre du chevalier de l’ordre national du lion.
Je me suis révolté après avoir pris connaissance de cette histoire : pourquoi n’est-elle pas connue de tous ? Pourquoi, juste après une génération, est-elle tombée dans l’oubli ? Qu’en est-il du message qu’il voulait faire passer à travers ses gestes et distinctions reçus ? C’est pour donner réponse à toutes ces questions que j’ai décidé d’abandonner mes études en droit et me suis lancé dans l’Agriculture. J’ai compris que la fac de droit n’était pas le chemin à suivre et que mon destin était de suivre les pas de mon grand-père. Je me suis donc lancé dans l’Agriculture par passion, mais aussi par mission, avec une vision et une conviction et surtout, pour faire connaitre l’histoire de mon grand-père à travers ma personne.
l’Agriculture biologique ou raisonnée occupait une place dans ces pratiques ancestrales. Nos grands-parents faisaient de l’Agriculture bio s’en sans rendre compte
L’amour de la terre est donc une histoire de famille et patrimoniale ?
Oui, c’est avant tout une histoire de famille. J’ai tout hérité de mon grand-père même si je ne l’ai jamais connu. Lorsque j’avais 7 ans, mon père avait une plantation de bananes, de jujubiers, de manguiers et des espèces florales dans la maison. J’étais en contact permanant avec les plantes, elles faisaient partie de mes compagnons de jeux à cet âge. Je me rappelle encore en train de courir dans la plantation, chuchoter, discuter avec les plantes et offrir des pains à manger à ces dernières comme si elles comprenaient ce que je disais. Et c’est même à l’âge de 8 ans que j’ai découvert la technique de conservation et de maturation de la banane par le centre avec mon père. A cette époque j’étais loin de me douter que je deviendrai paysan, pour ne pas dire agronome. C’est quand je me rappelle de ces moments que je me rends compte que mon destin était déjà tracé.
Vous considérez vous comme un agriculteur classique ?
A moitié, oui, je me considère en partie comme un agriculteur classique. Mais je me positionne plutôt au juste milieu, entre agriculteur classique et moderne.
Classique, parce que je tiens toujours à certaines pratiques culturales de nos grands-parents qui respectaient l’environnement et cela bien avant la guerre. En effet, l’Agriculture biologique ou raisonnée occupait une place dans ces pratiques ancestrales. Nos grands-parents faisaient de l’Agriculture bio s’en sans rendre compte, en l’absence de tout pesticide ou engrais chimique qui n’existaient pas à l’époque. Leur plus grand allié pour réussir leur campagne agricole était la nature. Et c’est ce que je cherche à faire.
Moderne, parce que j’aime la technologie. Pour moi le moyen par excellence pour booster l’Agriculture africaine c’est de l’associer à la technologie et aux objets connectés. C’est pourquoi je cherche à tout prix dans mes innovations à toujours donner une place aux TICs. C’est un outil exceptionnel que nous devons utiliser pour révolutionner notre Agriculture.
Vous ambitionnez de révolutionner l’agriculture ? Comment ?
Mon ambition pour révolutionner l’Agriculture n’a pas de limite. Mon premier défi c’est d’orienter tout le monde vers le bio. Certes une mission difficile mais pas impossible. Nous parlons tous de développement de l’Agriculture, mais est ce qu’on s’est posé la question de savoir si on peut vraiment parler de développement durable étant donné que notre pratique actuelle dépend des pesticides et engrais chimiques ? Non. On connaitra pour quelques années une augmentation des rendements mais qui aura ensuite comme conséquence l’appauvrissement de nos terres. Qu’allons-nous laisser comme héritage aux générations futures ? C’est pourquoi c’est important pour moi de rester vert. Car j’ai non seulement un compte à rendre aux générations à venir mais aussi à la mère nature.
Pour moi, il est bien possible de rester bio avec la technologie. Je travaille actuellement sur pas mal de projets dans ce sens pour révolutionner l’Agriculture verte par l’usage des drones, des objets connectés, des applications mobiles etc. Ainsi, grâce à ces innovations, d’ici quelques années, l’Agriculture bio occupera une place considérable dans la pratique des agriculteurs que nous accompagnons. L’idée c’est de former les agriculteurs à penser bio, conscientiser les consommateurs à manger bio et protéger les terres africaines en produisant bio.
Fraises bios made in Sénégal : le pays des lions bientôt parmi les premiers producteurs de fraise en Afrique ?
Que cultivez-vous ?
Nous travaillons sur tout ce qui est culture rare. Nous produisons des agrumes comme limkawt, kumkawt, nous faisons des expérimentations sur l’ail et certaines variétés de laitues, de pomme de terres, de cacao etc. Mais présentement nous nous concentrons surtout sur la production de fraise bio au Sénégal.
Depuis combien de temps cultivez-vous de la fraise bio ?
Personnellement je fais mes recherches sur cette culture depuis 2011. Et à l’époque ce n’était pas des fraises bios. C’était juste un moyen pour moi de tester si c’est possible de mener la culture au Sénégal. Mais c’est en 2016 que nous nous sommes investis à fond sur la production de la fraise. Donc officiellement, nous y travaillons depuis 2 ans.
En cette presque mi année 2018 quel est le constat relatif à la culture de la fraise bio au Sénégal ?
La fraise commence à occuper une place dans les habitudes alimentaires des Sénégalais. Depuis toujours elle était considérée comme un fruit de luxe donc inaccessible à tous... Au vu de la forte demande, certains producteurs s’intéressent de plus en plus à cette culture. Par ailleurs, d’autres passionnés cherchent aussi les moyens de se lancer dans la culture de la fraise, même s’ils ne choisissent pas forcément le bio. Je pense qu’à ce rythme, le Sénégal est bien parti pour se positionner parmi les premiers pays producteurs de fraise en Afrique. Par contre c’est très rare de trouver des producteurs de fraise bio au Sénégal, car c’est une affaire assez complexe qui demande beaucoup de maitrise.
Nous sommes fortement sollicités au Sénégal mais aussi dans la sous-région, dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Cameroun, le Ghana etc
Arrivez-vous à écouler toute votre production ?
La question n’est pas : « est-ce que nous arrivons à écouler nos produits » mais plutôt : « est-ce nous arrivons à satisfaire la demande ». Nous sommes fortement sollicités au Sénégal mais aussi dans la sous-région, dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Cameroun, le Ghana etc. Et nous n’avons même pas encore démarché les professionnels. Nous nous limitons juste à répondre aux besoins des particuliers et j’avoue que nous y arrivons très difficilement car la demande est supérieure à notre offre. Actuellement nous cherchons à travailler sur comment accroitre la production pour répondre à la demande.
Lesdites fraises sont- elles aussi gouteuses que les fraises importées ?
Un jour après avoir gouté à notre fraise, un client m’a demandé « est ce que ces fraises sont réellement cultivées au Sénégal ? Mais comment ça se fait que ce soit plus sucré que les fraises importées ? ». Et quand vous avez aussi un Ndeye Absa Ningue de JEADER et ABC qui dans une vidéo d’Agribusiness Tv parlant de la fraise tient ces propos : « Je dois dire que je ne suis pas vraiment amatrice de fraise à l’origine, j’aime beaucoup tout ce qui est mangue et fruits du terroir mais je ne pensais pas qu’on pouvait cultiver de la fraise au Sénégal. Quand j’ai rencontré Souleymane et qu’il m’a parlé de ses fraises, qui plus est, bios, je me suis dit pourquoi pas ! En les essayant je suis tombée sous le charme puisqu’elles sont sucrées et juteuses. J’ai tellement aimé que j’en ai pris quelques plants qui sont aujourd’hui chez moi et que je cultive avec ma mère pour faciliter la consommation locale de nos fraises. » Ces témoignages prouvent que nos fraises sont bien gouteuses.
Mais ce n’est pas à moi de juger la qualité de nos fraises, je préfère laisser l’appréciation à nos clients. Mais une chose est sûre, nous nous sommes donnés à fond pour disposer de fraises bios, sucrées et parfumées et qui n’ont rien à envier aux fraises importées. Si vous n’aimez pas la fraise à l’origine, réfléchissez deux fois avant de gouter aux « Fraises Délices ». Car vous risqueriez d’être accro après ça.
Travaillez-vous avec certains supermarchés, hôtels ou vous limitez-vous aux particuliers ?
Nos cibles pour le moment sont les particuliers. En effet nous mettons un nouveau produit sur le marché et c’est important pour nous d’avoir le feedback direct du client final pour parfaire notre produit. Nous cherchons les critiques, nous cherchons à connaitre et découvrir les exigences de nos clients. C’est l’ensemble de ces informations reçus des consommateurs directs qui nous permet de produire et mettre à terme ce produit parfait tant recherché. Après avoir bien huilé tout notre processus, nous nous orienterons vers les professionnels, les supermarchés etc.
Quelles sont la ou les saisons de la fraise au Sénégal ?
Les rares agriculteurs qui cultivent la fraise le font entre Novembre et Février. Ce qui coïncide à la période de froid au Sénégal. Mais pour cette année, nous avons lancé la production vers octobre, période de forte chaleur au Sénégal avec 33°C. Et nous comptons l’expérimenter durant la période hivernale aussi. En d’autres termes, pour nous, la culture de la fraise n’a pas de période. Il faut juste trouver les bonnes pratiques culturales pour l’adapter au climat présent.
Cultivez-vous sous serre ou en plein air ?
Pour cette année non. Nous avons lancé la culture de la fraise en plein air. C’est une façon pour nous de voir comment se comportent les fraisiers en l’absence de toutes ces infrastructures. Car ces dernières ne sont pas toujours à la portée de tous les agriculteurs. Et notre ambition à terme est de fédérer tous les producteurs de fraise afin d’organiser la filière. C’est pourquoi il est important pour nous d’expérimenter la fraise en plein air pour mieux appréhender les problèmes et y apporter des solutions des maintenant.
Quel est le profil de vos clients ?
Les clients sont majoritairement des particuliers qui peuvent être approchés individuellement ou via leurs entreprises (en particulier les grandes entreprises) et les glaciers/pâtissiers. Nos produits sont accessibles et sont à la portée de celui qui veut. Nous vendons aussi bien en ville qu’en banlieue. Toute personne de n’importe quelle classe sociale peut se payer nos produits que se soient les fraises de premier choix (en barquette ou en vrac) ou de la confiture de fraise faite à partir des fraises de deuxième choix.
Les initiatives bios vont-elles grandissant ou constatez vous une lassitude dans cette filière ?
Les Sénégalais font de plus en plus attention à ce qu’ils mangent donc les agriculteurs ont tout intérêt à changer de pratique culturale et plus s’orienter vers le bio. De nos jours, il est difficile d’avoir une espérance de vie qui dépasse les 70 ans. En effet, nous sommes naturellement empoisonnés et nous demeurons « des cadavres ambulants » parce que notre organisme est désormais un magasin de stockage de tous ces produits chimiques utilisés dans la production agricole. Ce problème attire l’attention de certains acteurs du secteur. Ainsi nous notons de plus en plus de pesticides et engrais bios sur le marché, mais aussi la création de structure et de fédération, de producteurs spécialisés dans le bio.
Dites vous qu’avec cette pratique au bout de 5 ans, vous aurez des terres épuisées et presque impraticables…
Existe t-il une plateforme sur le net où toute personnes désireuse de s’investir dans le bio peut se rendre et avoir accès aux différentes offres proposées ?
Non il n’existe pas à ma connaissance une plateforme qui accompagne toute personne désireuse de s’investir dans le bio. Mais il existe une plateforme web du nom de BAYSEDDO que nous avons lancé récemment qui met en relation les agriculteurs en besoin de financement et disposant des terres et des investisseurs, des individuels etc en capacité de financement et ne disposant pas de terre afin de lever des fonds et financer des campagnes agricoles.
Agriculture bio versus agriculture classique: quelle est celle offrant le plus fort taux de rendement ?
Présentement l’Agriculture classique offre le plus de rendement. Car il s’agit de doper la terre pour la pousser à produire plus et dépasser le seuil normal de production. Mais une chose est sûre : c’est une pratique qui n’est pas durable. Dites-vous qu’avec cette pratique au bout de 5 ans vous aurez des terres épuisées et presque impraticables. Contrairement à l’Agriculture bio qui préserve la qualité, la structure et la texture du sol et nous offre les rendements mérités tout en nous maintenant en bonne santé. Et retenez qu’il est possible avec l’Agriculture bio d’offrir plus de taux de rendement si nous disposons des intrants de qualité et que nous respectons les bonnes pratiques culturales.
À combien vendez vous vos fraises ?
Nous vendons nos barquettes de fraises de 200g à 1000Fcfa, nos fraises en vrac à 4500Fcfa et nos confitures de fraise à 1500Fcfa.
Hormis la fraise, comptez-vous vous essayer à d’autres fruits non corrélés au sol africain ?
Oui nous sommes en train de réfléchir sur la culture de la pomme au Sénégal et d’autres fruits pas trop connu comme le kumkawt, limkawt, la figue etc
Enfin, quel est votre pus grand souhait concernant l’agriculture ?
Mon plus grand souhait c’est de voir l’Afrique gagner sa place de première puissance mondiale grâce à sa richesse première qui est la Terre.
Préférences De Souleymane Agne
Fruit préféré : Fraise
Saison préférée : Fraiche
Instrument d’agriculture préféré : Drone
Type de terre préféré (sablonneuse, marécageuse ou autre) :Sablo-argileux
Arbre préféré : Baobab
Culture préférée : Fraise
Liste des prix REMPORTÉS par Souleymane Agne
- Prix entrepreneurship is Great organisé par l’ambassade de la Grande Bretagne en collaboration avec le British Council et la Sonatel en 2013 au Sénégal
- Prix promesse Sénégal organisé par Synapse Center en 2013 au Sénégal
- Prix « compétition Business startup » organisé par GIVE1PROJECT en 2013 au Sénégal
- Prixinter école de la meilleure idée de projet organisé par CESAG en 2013 au Sénégal
- Prix GREAT ENTREPRENEUR organisé par le British council, l’ambassade de la Grande Bretagne en collaboration avec la RTS1 et le NESCAFE en 2014 au Sénégal
- Prix Saga Hub Africa organisé par CJD en 2016 à Casablanca
- Prix Falling Wall 2014 organisé par la Fondation Naumann au Sénégal en 2014
- Prix Forum Jeunesse Sénégal organisé par l’Ambassade de la France en 2017 au Sénégal
- Prix Agrihack organisé par le CTA en 2017 à Abidjan
- Prix de la reconnaissance de BAYDUNDEE par JEADER