Glaces, par Martin Dedron, photographe
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Martin Dedron, photographe français installé à Copenhague nous propose de revivre au fil des clichés qu'il partage avec nous et du texte qui les accompagne, ces journées de février où l'hiver a pris ses quartiers au Danemark, où les glaces se sont emparées de Copenhague.
Et même si le blanc, le gel, le froid sont le thème de ces photos, c'est bel et bien la lumière, les teintes orangées qui sont le fil conducteur du récit de Martin.
Qui êtes-vous Martin Dedron ?
Je m’appelle Martin Dedron et suis arrivé à Copenhague pour finir mon bachelor de design graphique et direction artistique à l’Académie Royale des Beaux-Arts du Danemark pile-poil pour en apprendre plus sur une certaine pandémie mondiale arrivée un petit mois après moi. La photographie est pour moi plus qu’un outil, c’est une démarche. C’est ce qui m’a amené à suivre ces études, c’est l’idée même de cueillir ce que la vie a de plus beau pour l’offrir à ceux qui m’entourent.

Le thème des photos que vous nous présentez : Copenhague glacée
En février 2021, les glaces se sont emparées des eaux d’une Copenhague déjà figée. Tous les commerces et établissements recevant du public étant déjà fermés, cette froideur franche eu lieu de lever de rideau pour un spectacle que je n’avais encore jamais vu auparavant, qui en a attiré plus d’un et que je vous invite à voir ou revoir au fil des clichés retraçant mes aventures en trois endroits.

Amager Strand
Cinq heures et demi : réveil. Le temps d’un grand café, d’une douche et de ficeler le trépied sur le sac ; et l’on part aussitôt. Il faut dire que ma petite amie Sara et moi habitons à l’opposé d’Amager et qu’il fait très froid. Les températures sont négatives depuis plus d’une semaine, le vent est glacial et l’entreprise de cette aventure matinale est d’apercevoir une mer gelée entre le Danemark et la Suède. Nous parcourons la ville à l’aube et arrivons sur le ponton central de la plage d’Amager Strand, totalement gelés et donnant sur une étendue d’eau dont les pains de glace ont fondu et se sont fracturés.

Leur mouvement est une hypnose inattendue. Bien que le froid engourdisse chaque mouvement (je manipule l’appareil sans gants et le vent s’invite dans mes manches), l’extase est totale. Le temps passe lentement et on voit poindre un orange vif au-delà de l’Øresund. Les doux mouvements de l’eau causent une friction délicate entre les glaces et quelques gerbes d’eaux viennent animer le paysage paralysé.

Je recrée le Yin et le Yang à l’aide de ce ponton puis capture Sara sous le soleil oblique. Après une contemplation semblant avoir duré quelques minutes mais s’étant prolongée durant des heures nous allons en ville en passant chez un ami. Un dernier regard se porte sur la plage et ses silhouettes douces et lentes se délectant de la beauté simple et saisissante d’une brise trop froide pour ne pas sembler chaleureuse.



Svanemøllen
Après cette longue matinée, j’abandonne Sara à sa sieste et garde en moi l’espoir de parcourir une mer aussi gelée que les lacs et d’autant plus impressionnante, comme j’ai cru l’apercevoir hier au nord de Copenhague près du petit port de plaisance de Svanemøllen.

Directement accueilli par les glaces mon espoir est comblé. Le jour s’incline dans les tranchants des reliefs sur lesquels flânent des familles, parfois jusqu’à quelques centaines de mètres de la rive. Si je ne m’aventure pas aussi loin, je profite pleinement de l’état solide de la baie pour prendre un cliché qui est à ce jour un de mes favoris tant par la texture craquelée et bleutée de la mer que pour le souvenir d’y avoir marché.
J’écoute Walking on the water des Golliwogs mais mon regard pense à Pink Floyd devant cette majestueuse usine. C’est l’un de mes bâtiments préférés à Copenhague, un ami dit qu’il lui rappelle surtout le générique de Twin Peaks : que de bonnes refs.

L’épopée continue sur la promenade du port où certains bateaux ne semblent pas prêts de voguer. Le soleil se couche et ses reflets parent de douces couleurs les accrocs de ces pins de glace qui ne bougent même plus, piégés dans l’enclave d’une solidité qui s’étend à perte de vue.



En toute fin de journée, j’observe deux grenouilles fluorescentes et criardes en forme d’humains. C’est sûrement la fatigue ? Non, elles sont bien réelles et sont l’attirail charmeur de plongeurs-sauveteurs qui je l’espère, ne faisaient que s’exercer.
Je n’ai entendu parler d’aucun drame mais en ce même endroit le lendemain, mes ex-colocataires se verront joyeusement offrir l’opportunité de contribuer au Trésor Danois à hauteur de mille-cinq cents couronnes, l’épaisseur de la glace n’étant pas réglementaire. Rien ne l’ayant indiqué, on ne peut pas dire qu’ils soient tombés dans le panneau.

Utterslev Mose
Après une bonne nuit de repos, nous repartons explorer la nature non loin de Nørrebro, aux lacs d’Utterslev Mose à quelques minutes de vélo vers le nord-ouest. Le soleil est franc, mais on est bien loin des tropiques : les couleurs pâles des abords du lac témoignent d’un astre d’hiver, faiblard et bas dans son ciel. Il imprègne la végétation de teintes blanc cassé dont l’éclat nous parvient en quasi-totalité, les nuages et la pluie ayant laissé leur place à ce temps aussi clair que glacial.

Nous découvrons un lac presque intégralement gelé où les enfants font des glissades et les adultes du hockey. Niveau ratio « temps passé à jouer dehors » ceux qui s’adonnent à ce sport doivent être servis ! On peut voir des matches sur les lacs centraux comme ici ou ailleurs, vers les lacs de Christiana.
Le soleil est orangé et la vision de cette blancheur horizontale est une expérience singulière en matière de calme et de relaxation. Où que l’on regarde, tout est parfait.

Grands absents des photographies précédentes, nous retrouvons nos amis ! En effet si l’on vient au lac c’est le plus souvent pour y voir des cygnes, des canards ou des hérons. L’emprise des glaces sur leur habitat les attroupe en espace restreint, la proportion d’eau encore liquide étant bien minoritaire après plus d’une dizaine de jours en températures négatives.
Ce froid ne fait pas que les regrouper, il les tue. Le spectacle d’un cygne n’ayant pas résisté aux conditions n’a rien d’exceptionnel et l’on entend parler en ville de différentes manières de signaler à la mairie les volatiles piégés par les glaces afin de les secourir… Un service qui ne semble pas bénéficier à tous. Loin de moi l’idée de vouloir choquer avec cette seconde image, je constatais qu’avec un rayon de soleil comme un Baudelaire Une Charogne peut briller.


Progresser sur la glace est après quelques jours toujours une nouveauté. Entre les hockeyeurs intrépides, les glissades fanfaronnes et les gamins qui sautent où trouve quand même la place d’y loger un petit fond de doute : et si ça craque ??

Je ne vais pas vous cacher que ma meilleure expérience de ces glaces était d’avoir patiné avec des amis au coucher de soleil sur les lacs de Christiana, sans ma caméra cette fois. Si ces eaux saumâtres ont pu supporter un gaillard avec son sac en train de dompter sa rouille, et je ne parle pas de ma chevelure mais des dix ans écoulés sans avoir touché à un patin ; j’en déduis que l’eau douce tiendra. Et elle a tenu : jusqu’à ce pont, qui marquera la fin de notre balade et sous lequel le soleil nous glissera un dernier regard, à nous, à cet inconnu et son vélo.


Il nous aura offert la chaleur de ses teintes sans rien nous prendre des glaces.

Pour contacter Martin Dedron : martindedron@gmail.com.
Pour découvrir davantage de ses photos, la page Instagram : martindedron.
Un grand merci à Martin d'avoir partagé avec nous son expérience et ses photos de Copenhague glacée. Un hiver magique et poétique !
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