Les exportations d’artisanats thaïlandais devraient augmenter de 20% en 2021. Si certaines entreprises en bénéficient, des villages d’artisans comme Baan Tawai à Chiang Mai sont désertés.
Alors que les exportations d’artisanat thaïlandais devraient augmenter de près de 20% en 2021 grâce à la reprise économique mondiale et à une demande mondiale plus élevée, 40% des vendeurs du village d’artisans Baan Tawai à Chiang Mai ont fermé leur porte.
“Nous sommes dans une situation blanche et noire”, commente d’emblée Jean-Charles Chappuis, conseiller pour Currey and Company, une entreprise américaine de décorations et luminaires. ”Nous avons d’un côté un succès accéléré pour les entreprises qui étaient déjà tournées vers l’international et un effondrement des artisans ou revendeurs sur un marché plus local”, ajoute le Français qui a commencé à exporter de l’artisanat thaïlandais en 1981 avec sa compagnie Asiatides.
Euphorie économique
Les confinements successifs dus à l’épidémie du coronavirus dans le monde ont forcé les gens à rester chez eux, mettant l’univers de la maison dans les priorités des dépenses.
“Le Covid-19 a été une chance extraordinaire pour l’univers de la maison, c’est le seul secteur à avoir enregistré une progression phénoménale. Les gens ne se sont plus habillés, ne sont plus sortis, n’ont plus voyagé. Ils ont considéré leur maison comme leur havre suprême. Il y a également eu une désaffectation des villes pour la périphérie ou la campagne, le télétravail facilitant beaucoup de choses. Certaines personnes sont ainsi passées d’un appartement de 200 mètres carrés à 500 ou 1.000 mètres carrés! Donc il y a eu des besoins”, ajoute le septuagénaire installé à Chiang Mai.
Face à cet intérêt mondial pour la décoration et l’univers de la maison, la Thaïlande s’est retrouvée embarquée dans la vague. Au cours des sept premiers mois de 2021, les expéditions sortantes d’artisanat thaïlandais ont enregistré une croissance de 18,4% par rapport à la même période l'année dernière avec 146,72 milliards de bahts (3,74 milliards d’euros) de recettes, selon le Bangkok Post.
Pour Pornpon Akathaporn, directeur général par intérim du Sustainable Arts and Crafts Institute of Thailand (SACIT), les perspectives d'exportation des produits d'art et d'artisanat thaïlandais au cours de l'année à venir sont également prometteuses.
Les plus grands marchés d’exportation pour les produits artisanaux sont les États-Unis (47,9 milliards de bahts), le Japon (10,5 milliards de bahts), l’Allemagne (10,4 milliards de bahts), Hong Kong (6,98 milliards de bahts), le Royaume-Uni (6,27 milliards de bahts) et la Chine (5,9 milliards de bahts).
Les produits les plus exportés sont l’artisanat à base d’argent, d’or ou de bronze, ainsi que les meubles, les sculptures en bois, les céramiques ou les tissus.
Pour autant cette croissance ne se répercute pas de la même manière partout.
“Les sociétés d’artisanat qui étaient déjà ouvertes sur l’international enregistrent aujourd’hui des bénéfices prodigieux. Souvent ce sont des usines assez peu connues du grand public : des usines de bronze cachées à Thonburi, des fabricants de céramique à Lampang qui fournissent des marques comme Ikea, ou encore des verriers dans le centre de la Thaïlande qui alimentent les magasins Habitat”, détaille Jean-Charles Chappuis tout en précisant qu’au cours de l’année écoulée, il a exporté pour 8 millions de bahts (204.000 euros) d’artisanat thaïlandais.
Marasme à Baan Tawai
A l’inverse, les boutiques intermédiaires, mi-fabricants mi-revendeurs, notamment sur des sites comme Baan Tawai au sud de Chiang Mai subissent le revers de la médaille.
Pendant des décennies, Baan Tawai a prospéré avec plusieurs générations de villageois ayant vendu des produits d’artisanat et de design à des acheteurs du monde entier. En août, le président de la l’Association d’artisanat de Baan Tawai, Wasan Dechakan, confiait au magazine anglophone Chiang Mai Citylife que près de 400 vendeurs avaient fermé leur boutique définitivement ou temporairement. Avant le Covid-19, Baan Tawai comptait près de 1.000 artisans-revendeurs.
Le revenu annuel de Baan Tawai était estimé à 1 milliard de bahts (25,5 millions €) avant l’épidémie. En 2020, ce revenu était de 300-400 millions, en baisse de plus de 60%.
“Avant le Covid-19, des acheteurs du monde entier venaient avec 25.000 dollars en poche, ils achetaient des pièces à Baan Tawai pour remplir un container. Ces acheteurs sont un peu ce que l’on appelle des ‘hippies’, ils viennent en Thaïlande, font des stocks qu’ils vendent dans des boutiques à Ibiza ou à Juan-les-Pins pendant l’été. Avant, à Baan Tawai, il y avait une dizaine de ces acheteurs par semaine. L’endroit souffre de l’absence de ces acheteurs qui, tels les ruisseaux qui font les grandes rivières, irriguaient le village d’un business extraordinaire”, précise Jean-Charles Chappuis.
Pour rebondir, plusieurs commerces de Baan Tawai se sont lancés dans la vente en ligne alors que la fréquentation du nombre de visiteurs a chuté de 90%.
Le gouvernement, avec le soutien de la SACIT et du CEA (Creative Economy Agency) a mis en place des subventions et des programmes de formations à l’e-commerce pour les artisans. Baan Tawai a été sélectionné comme l’une des 41 communautés en Thaïlande pouvant bénéficier de ces subventions pour enseigner à ses membres à se tourner vers le commerce en ligne. “Un canal de survie indispensable en cette période”, estime Wasan Dechakan.
Marchandises peu chères pénalisées
Si la reprise économique mondiale a des effets positifs sur les exportations thaïlandaises, elle pénalise également l’artisanat ou les marchandises peu chères comme les meubles en rotin ou les ombrelles fabriquées à Chiang Mai à cause d’une capacité de transport insuffisante. Le prix des containers est ainsi passé de 8.000 dollars à 17.000 dollars.
“La Thaïlande a de la chance d’exporter principalement du haut de gamme, il est donc possible de rester dans une marge de transport de 40%. Par contre, les marchandises peu chères sont pénalisées", souligne Jean-Charles Chappuis.
Le Français pointe dès lors l’intérêt de se tourner également vers des pièces uniques sur lesquelles il est plus facile de contrôler le prix de vente pour le consommateur et donc la marge bénéficiaire de l’exportateur.
“J’ai découvert un artiste sur le marché aux fleurs de Chiang Mai qui crée des sculptures en terre cuite absolument divine. Je lui ai commandé pour 800.000 bahts”, s’enthousiasme le chasseur de têtes.