Depuis plusieurs années, Chiang Mai fait partie des meilleures villes du monde pour les nomades digitaux. A cause du Covid-19, cette communauté se modifie pour faire place à des expatriés digitaux.
Voyager autour du monde tout en travaillant, telle est la définition courte que l’on pourrait donner à la communauté de nomades numérique. On retrouve parmi eux des programmeurs, des graphistes, des professeurs de langues, des spécialistes en marketing ou en e-commerce. Tous les deux ou trois mois voire plus, ils changent de destinations en fonctions du climat, de la beauté des lieux ou pour rencontrer d’autres personnes qui ont fait le même choix de mode de vie.
Pour beaucoup, Chiang Mai est l’une des destinations incontournables depuis 6-7 ans, en particulier à la belle saison entre novembre et février. Selon une étude réalisée en avril 2020 par Carphone Warehouse, Chiang Mai se classe en deuxième position, juste après Austin au États-Unis, en termes de meilleures destinations dans le monde pour les travailleurs free-lance. Le site Nomadlist place Chiang Mai en cinquième position après Lisbonne, Canggu (Bali), Mexico et Berlin.
Pourtant avec l’apparition du Covid-19 au mois de mars, la fermeture des frontières et l’absence de liaisons aériennes vers certains pays, de nombreux nomades des temps modernes ont dû revoir leurs envies de voyages à la baisse et s’installer pour une plus longue période.
“Personne ne pensait qu’un jour nous ne serions plus libres de voyager”, commente d’emblée Brittnee Bond, consultante en travail à distance. Actuellement à Koh Phangan depuis le début de la saison des brûlis qui a correspondu avec le début de l’épidémie du Covid-19, elle prévoit de revenir à Chiang Mai en octobre ou novembre. “Il y a en ce moment entre 500 et 1.000 travailleurs nomades à Koh Phangan, beaucoup envisagent de revenir à Chiang Mai à la fin de la saison des pluies”, ajoute la jeune américaine.
Absence de chiffres
L’attrait de Chiang Mai auprès des nomades digitaux s’explique par une qualité de vie bon marché, de nombreux espaces partagés de travail, une connexion internet de qualité et une large couverture internet mobile (4G), des ateliers et conférences et un climat agréable entre les mois de novembre et février. À partir du mois de mars, chaque année, la ville voit une partie de ces nomades partir en transhumance pour d’autres contrées où la qualité de l’air est plus pure. La période des brûlis et les indices de pollution parfois catastrophiques qui en résulte en font fuir plus d’un.
À la question de savoir combien de personnes compte la communauté de nomades digitaux, les réponses manquent et il est seulement possible de faire des estimations, comme l’explique Lily Bruns, directrice de Draper Startup House, un espace de coworking, hôtel et incubateur de start-up. “Il est difficile d’avoir des chiffres, car beaucoup viennent avec un visa de tourisme. Je dirais qu’habituellement pendant la haute saison, il doit y avoir un millier de nomades. En ce moment-ci, il y a zéro Digital Nomad! Plus personne ne peut voyager et ceux qui étaient avec un visa de tourisme ont dû se tourner vers des visas à long termes, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne travaillent plus en ligne, mais ils ne sont plus nomades,” commente la jeune entrepreneur.
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Entre août et novembre 2019, Chiang Mai Entrepreneurship Association et la faculté d’économie de l’université de Chiang Mai ont réalisé un sondage pour estimer la population de ces travailleurs connectés, au total l’étude a récolté les réponses de 372 participants, parmi eux, 86% confirment qu’ils sont en Thaïlande avec un visa touristique. Absents des radars ! De fait, l’immigration de Chiang Mai n’a aucun chiffre sur cette communauté.
Installé depuis plusieurs années à Chiang Mai, Stefan King anime chaque semaine des ateliers sur les cryptomonnaies. “Actuellement, je pense qu’il y a à peine 10% de nomades digitaux par rapport à la haute saison. La plupart étaient venus avec un visa de touriste et, avec le Covid-19, beaucoup ont décidé de rentrer chez eux”, confie le jeune quarantenaire.
Se fier à la fréquentation des espaces partagés de travail ne permet pas non plus de se faire une idée globale. Selon Pongsatorn Raktin, directeur de Punspace depuis 2013, à peine 10% des nomades digitaux fréquentent ces lieux. “En décembre 2019, nous avions un peu plus de 150 membres, sans compter ceux qui venaient à la journée. Un chiffre qui était déjà en baisse par rapport aux années précédentes”, explique Pongsatorn.
Coworking
Désertés, de nombreux espaces de coworking peinent à atteindre entre 10 et 30% de taux d’occupation. Certains n’ont eu d’autre choix que de fermer, ceux qui sont ouverts proposent des tarifs réduits allant jusqu’à 50%, Draper Startup House a même ouvert ses portes au 1er septembre, laissant espérer un futur optimiste.
“La période est clairement un défi, comment faire de l’argent quand il n’y a pas de touristes?”, se lamente la directrice. “Les gens qui sont restés ici, ils ont un bureau chez eux, une connexion internet, ils n’ont pas vraiment besoin de venir dans un espace de travail. À nous de proposer d’autres services, de créer une communauté en proposant un accompagnement dans la création d’une start-up, des programmes de mentor, un support au niveau des visas et de l’enregistrement d’une compagnie en Thaïlande”, ajoute Lily Bruns.
Ouvert depuis le mois de janvier, Coco Kala a connu un bon démarrage grâce au Nomad Summit qui s’est tenu le 17 janvier à Chiang Mai, un rendez-vous qui attire en moyenne plus de 400 nomades originaires du monde entier. Après ce bon coup de publicité, le mois de février ne s'est pas trop mal passé, jusqu’au mois de mars quand l’établissement a dû fermer. “En un sens nous étions préparés”, se souvient la propriétaire de Coco Kala, Weerakan Khunteevit. “Avec l’arrivée de la période des brûlis nous nous étions préparés à avoir moins de clients à partir du mois de mars et, finalement, c’est le Covid-19 qui nous a forcés à fermer jusqu’au 1er juillet. Avant le Covid-19 nous avions entre 20 et 30 personnes par jour, en juillet nous étions entre 8 et 10, en août et septembre c’est encore moins, il y a des jours où nous n’avons personne!” confie la jeune femme.
Incubateur d’entreprise, spécialisé dans la blockchain et les cryptomonnaies, l’espace de coworking Yellow a ouvert au mois de janvier 2020. Conseillère en innovation et technologie pour Yellow, Patricia Yellow continue de croire au potentiel de Chiang Mai. “Avoir un très bon service, c’est la clé pour attirer les personnes à venir à Yellow”, explique Patricia Yellow.
Pour l’ensemble de ces espaces, la période actuelle n’est pas propice à faire des bénéfices, mais plutôt à limiter les pertes ou à investir en attendant des jours meilleurs. Coco Kala a décidé de diversifier un peu ses activités en proposant son espace qui dispose d’une piscine à la location pour des événements, des soirées d’anniversaires, etc. Yellow continue d’investir dans du matériel, que ce soit des sièges de bureau plus ergonomiques ou des purificateurs d’air et filtreurs de bactéries de haute qualité. Draper Start-up House cherche à créer une communauté autour de son espace à travers des rendez-vous de réseautage, des cours de yoga et surtout un accompagnement dans la création de start-ups.
Du nomade digital à l’expat digital
Avec la fermeture des frontières en Thaïlande et les restrictions de voyages, de nombreux nomades se retrouvent à ne plus pouvoir voyager et à prendre le statut d’expatrié ou de résident. Pour Brittnee Bond, il y a deux grandes tendances qui s’annoncent pour le futur : “Nous sommes sans doute partis pour une période entre un et trois ans où le Covid-19 aura des effets sur notre façon de voyager. Pour le moment, il y a deux choses qui sont en train de se passer. Premièrement, le télétravail va continuer à augmenter. Durant ces derniers mois, de nombreuses compagnies ont réalisé les avantages du travail à distance, que c’était une manière de diminuer les coûts. Deuxièmement, les nomades digitaux ne vont pas s’arrêter de voyager, mais ils vont plutôt rester sur leur continent, voyager dans leur région plus qu’à travers le monde entier. On voit aussi apparaître un “slow nomadisme", les gens reviennent aux transports en commun, aux voyages en train, etc.”.
Une tendance que confirme Santtu Säävälä, chef du marketing chez Iglu, un réseau de compagnies internationales et de professionnels digitaux fondé à Chiang Mai en 2010. “La tendance du télétravail va continuer à croître. De nombreuses entreprises qui ne proposaient pas de télétravail avant à leurs employés ont pu réaliser les avantages de ce mode de travail pour les employés mais aussi pour trouver de nouveaux talents, car d’un coup cela ouvre la possibilité de recruter dans le monde entier. Si pour le moment la période est difficile pour les espaces de coworking, dans quelques mois, ils vont de nouveau connaître une croissance”, analyse le Finnois.
Selon Patricia Yellow, “nous sommes dans un glissement de nomades à télétravailleurs. Des pays comme l’Estonie, la Géorgie commencent à offrir des visas pour les nomades digitaux dans l’idée que les gens restent plus longtemps dans le pays”.
Les acteurs de Chiang Mai continue de croire que la ville gardera sa place de leader auprès de la communauté de travailleurs digitaux. “Chiang Mai reste une ville idéale pour démarrer une carrière qui allie voyage et travail en ligne. Il y a des ressources, des talents, une communauté d’entrepreneurs, quand les frontières vont rouvrir, les gens vont revenir”, annonce Lily Bruns.
“Chiang Mai est un endroit idéal pour démarrer en tant que nomade parce que le coût de la vie est là et qu’il y a des communautés en fonction des intérêts que ce soit pour les cryptomonnaies, les développeurs, etc.”, confirme Stefan King.
Un visa nomade en Thaïlande ?
Avec la fin de l'amnistie pour les visas le 26 septembre, de nombreux nomades ont dû soit trouver d’autres solutions pour pouvoir rester en obtenant un visa de volontaire ou d’étudiant, soit se retrouvent à devoir quitter la Thaïlande faute de solution adaptée à leur mode de vie.
“Pour que Chiang Mai continue d’attirer les nomades, il faut trouver une solution pour les visas”, commente la propriétaire de Coco Kala. “Pour le moment, le gouvernement ne prévoit rien en ce sens alors qu’on sent que d’autres pays sont prêts à accueillir ce public : le Vietnam, Bali, l’Estonie, la Géorgie, etc. Et pour ne rien arranger, Chiang Mai souffre aussi d’une mauvaise réputation à cause de la pollution”, précise-t-elle.
À travers l’association des entrepreneurs de Chiang Mai cofondée par Britnee Bond et Lily Bruns, les deux femmes essaient depuis près de deux ans de discuter avec les autorités pour les convaincre des avantages d’offrir un visa spécifique pour les nomades digitaux. “Je suis toujours en discussion avec les autorités, ils semblent plus ouverts en ce moment, mais c’est toujours en pourparler et je n’ai aucune idée de quand cela pourrait voir le jour. J’ai encore un rendez-vous de prévu avec des personnes du gouvernement la semaine prochaine, croisons les doigts!” confie Brittnee Bond.