Fah Talai Jone, Krachai khao, Jan Ta Leela, Cannabis, autant de plantes médicinales dans le collimateur des services de santé en Thaïlande pour soigner le Covid-19, même dans ses formes longues
À deux pas du marché de Warorot dans le quartier chinois de Chiang Mai, des pharmaciens s’affairent dans une partie de l’officine Jip Ang Tueng Osot afin de concocter des traitements à base de plantes médicinales. Depuis le début de la troisième vague en avril 2021, le docteur Sheng Zhong Wang a mis au point une infusion composée de six plantes afin de renforcer son système immunitaire face au Covid-19.
“Nous en vendons vraiment beaucoup et encore plus depuis le début du mois d’octobre suite à la découverte de nouveaux foyers d’infection et l’explosion de cas de coronavirus à Chiang Mai”, commente Dr Wang, spécialiste en médecine chinoise et acupuncture.
Selon le médecin, la combinaison des différentes herbes permettrait de renforcer le système respiratoire, cardiaque et digestif, préviendrait des refroidissements, soulagerait les gorges irritées. Vendue au prix de 50 bahts le mélange, cette infusion est avant tout une préparation maison, combinant les effets de plusieurs plantes connues depuis des générations pour leurs vertus. Mais aucune information scientifique ne permet de valider ou d’assurer ses bénéfices pour prévenir l’apparition du Covid-19.
Savoir ancestral face au besoin de reconnaissance scientifique
Depuis sa création en 1989, le Département des médecines traditionnelles et alternatives thaïlandaises, qui dépend du Ministère de la Santé, a pour objectif de combler l’absence d’études cliniques et de preuves scientifiques sur les effets des plantes médicinales.
“Nous avons d’une part des connaissances ancestrales acceptées par la population locale, les médecins et les pharmaciens”, explique le docteur Thiti Sawaengtham, directeur adjoint du Département des médecines traditionnelles et alternatives thaïlandaises (DTAM) à Lepetitjournal.com. “D’autre part, il y a une vision ‘occidentale’ qui demande de prouver scientifiquement, avec des études randomisées et des données cliniques, les bénéfices des plantes dans les traitements des maladies”, ajoute le docteur Sawaengtham.
Dès le début de l’épidémie du Sars-Cov-2, sous la supervision du Ministère de la Santé, le DTAM ainsi que la faculté de médecine de l’hôpital Siriraj, l’institut de recherche de Chulaborn, le département des sciences médicales et l’organisation pharmaceutique ont entamé des recherches cliniques sur les effets des plantes pour soigner le Covid-19.
La prévention reste plus délicate à prouver selon le directeur adjoint du DTAM : “Nous avons des informations sur les plantes pour renforcer le système immunitaire de manière générale, mais nous manquons d’études spécifiquement sur le Covid-19. C’est assez compliqué parce que nous aurions besoin de 1.000 patients et surtout, beaucoup de ces plantes ne peuvent être prescrites que sur une durée déterminée au risque d’avoir des effets indésirables, or le coronavirus est avec nous depuis 2 ans!”
Le Dr Wang recommande en effet de ne consommer son infusion que pour une période de 7 à 10 jours, de faire une pause d’une semaine avant d’en reprendre.
Fah Talai Jone, une plante prometteuse
Parmi les plantes les plus prometteuses pour soigner le Covid-19, on trouve le Fah Talai Jone. Le Fah Talai Jone (ฟ้าทะลายโจร) ou chirette verte en français, l’Andrographis paniculata, de son nom botanique, est une plante utilisée en médecine traditionnelle chinoise contre les états grippaux pour ses effets anti-inflammatoires, immunostimulants et fébrifuges. Son utilisation pour traiter certaines infections respiratoires est reconnue par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), mais pas pour soigner le Covid-19.
Néanmoins, depuis le mois d’août 2021, le Département du contrôle des maladies a inscrit le Fah Talai Jone dans son protocole de soins pour les patients atteints du Covid-19. Cette plante est préconisée pour les personnes asymptomatiques ou présentant des symptômes légers tandis que les cas symptomatiques modérés se voient prescrire du Favipiravir qui est préconisé en première intention depuis le 28 janvier 2021 à la place de la chloroquine pour soigner le Covid-19. Par contre, le Fah Talai Jone ne peut être associé à des antiviraux.
Plusieurs études ont déjà été menées sur le Fah Talai Jone, il a également été prescrit à plus large échelle dans les hôpitaux de campagne et dans les prisons. Les résultats indiquent que la plante est efficace pour tuer le virus qui provoque le Covid-19 et pour prévenir la multiplication des cellules virales, par contre, elle n’aurait aucun effet à titre préventif.
“Actuellement, nous sommes en train d’étudier, en suivant des procédures similaires aux médicaments chimiques, la prescription randomisée du Fah Talai Jone auprès de 500 patients. Ces résultats devraient être connus d’ici le début de l’année 2022 et devraient être déterminants. Je peux déjà dire que les résultats préliminaires indiquent que le Fah Talai Jone n’est pas inférieur au Faviripavir”, affirme le Dr Sawaengtham.
Les espoirs du Krachai Khao ou curcuma rond
Loin de se concentrer uniquement sur le Fah Talai Jone, le Département des médecines traditionnelles et alternatives thaïlandaises a travaillé depuis le début de l’épidémie sur plus d’une centaine de plantes. Parmi elles, le krachai khao (กระชายขาว), curcuma rond en français, Boesenbergia rotunda de son nom botanique suscite des espoirs.
“Nous avons isolé des substances dans le Krachai Khao qui permettent de ralentir, voire d’arrêter la propagation du virus dans les cellules du corps. Nous nous apprêtons à démarrer une première phase d’essais dans les prochaines semaines afin de confirmer que le Krachai Khao permettrait de lutter contre le virus. Les études précliniques sont très encourageantes!”, déclare le Dr Sawaengtham en précisant qu’il faudra encore attendre plusieurs mois avant de connaître les résultats et d’envisager des essais à plus grande échelle.
Covid long
Selon le Département des services médicaux (DoMS), 10 à 20% des malades du Covid-19 souffrent de ce que l’on appelle le Covid long. Certaines personnes souffrent de séquelles à long terme engendrées par la maladie du Covid-19, même après une période de convalescence typique. Les symptômes les plus fréquents sont une fatigue anormale, des troubles du sommeil, maux de tête, faiblesse musculaire, perte de goût ou d’odorat.
Pour tenter d’aider les personnes souffrants de syndromes du Covid long, le DTAM étudie les effets et bénéfices de l’huile de cannabis ainsi que du Jan Ta Leela (จันทน์ลีลา), une plante médicinale pour faire baisser la fièvre et soulager les maux de tête.
“En Thaïlande, il y a encore peu d’études et d’informations sur le nombre de personnes souffrant du Covid long, mais cela pourrait concerner plus de 200.000 personnes, dès lors les plantes médicinales peuvent offrir une alternative pour soulager certains symptômes”, conclut le Dr Sawaengtham.