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Choisir un prénom en Inde : traditions, controverses et décisions judiciaires

En Inde, le choix d’un prénom pour son enfant est bien plus qu’une formalité. Entre croyances malheureuses, désaccords entre les parents et recommandations de l’astrologue familial, les tribunaux sont parfois amenés à statuer sur des cas inattendus.

nouveau ne - Subham Majumder - Pexelsnouveau ne - Subham Majumder - Pexels
Écrit par Liliam Boti Llanes
Publié le 15 juillet 2024, mis à jour le 15 juillet 2024

En Inde, une bonne éducation débute par le choix d’un bon prénom

Les parents savent combien choisir un prénom pour son enfant est important, et parfois difficile. Mon mari et moi avons privé notre fille de prénom pendant deux jours, le temps de mûrir nos idées, et nous n’en sommes pas fiers. Étant originaires de pays, cultures et religions différentes, nous avons dû prendre le temps nécessaire pour finalement opter pour un prénom inspiré de la mythologie grecque.

Et en Inde, comment les prénoms sont-ils choisis ? 

Les tribunaux indiens ont tendance à adopter une attitude paternaliste envers les plaignants dans les affaires civiles. C'est ainsi qu'en septembre 2023, le juge Velmurugan de la Haute Cour de Madras a rappelé aux parents plaidant une affaire devant son tribunal : 

Après avoir donné naissance à un enfant, vous avez le devoir moral d'assurer sa bonne éducation.

En Inde, le début de cette éducation commence par le choix du prénom.

 

La cérémonie du Naamkaran : quand l’enfant reçoit son nom

Le choix d'un prénom revêt une grande importance en Inde, et il est souvent influencé par l'horoscope et la numérologie. Traditionnellement, l’enfant reçoit son nom lors de la cérémonie du Naamkaran. C'est à ce moment que le prénom du nouveau-né est officiellement choisi, et que la naissance est célébrée avec la famille et les amis.

Selon les traditions hindoues, la cérémonie du Naamakaran a généralement lieu quelques semaines après la naissance du bébé. Le onzième ou douzième jour après la naissance est considéré comme le plus propice pour cette cérémonie, mais elle peut aussi être fêtée plus tard, l’important étant l’état de santé de la mère et du nouveau-né. 

Le déroulement du Naamkaran dépend des préférences de la famille et de la communauté. Certains organisent une cérémonie à la maison, tandis que d'autres se rendent dans un temple. Il y a ceux qui préfèrent une cérémonie intime en famille, tandis que pour d'autres, le Naamakaran se doit d’être somptueux.

Mais que se passe-t-il lorsque le choix du prénom ne se déroule pas comme prévu ?

 

Dans le Kerala, une grand-mère s’apprête à murmurer trois fois son nom à l’oreille d’un nouveau-né lors de la cérémonie du nom. Photo : Sandeepndas - CC
Dans le Kerala, une grand-mère s’apprête à murmurer trois fois son nom à l’oreille d’un nouveau-né lors de la cérémonie du nom. Photo : Sandeepndas - CC

 

Lorsque des parents déçus donnent un prénom dégradant à leur fille non désirée

Dans de nombreuses familles indiennes, la naissance d'un fils est souvent considérée comme la réalisation du rêve de ses parents. Ainsi, lorsque la nature leur donne une fille, certains couples font leur possible pour montrer leur désapprobation. Et cela commence par le choix du prénom.

Dans l'État du Maharashtra, malgré un ratio désastreux entre les naissances de filles et de garçons (910 filles pour 1000 garçons, bien en deçà de la déjà préoccupante moyenne nationale de 940 pour 1000), de nombreux parents choisissent des prénoms blessants pour leurs filles non désirées.

C'est ainsi qu'on peut trouver dans cet état des centaines de filles portant des prénoms tels que Phaisbai (trompeuse), Nakoshi (indésirable), Phaswari (fraude), entre autres prénoms dégradants. Les parents pensent que donner ces prénoms à leurs filles éloignera le mauvais œil et assurera la naissance d'un enfant de sexe masculin.

En 2011, le ministère de la Santé avait mené une enquête visant à identifier les filles portant des prénoms offensants, et avait contacté leurs familles pour les persuader de modifier le prénom. Ce travail avait nécessité l'intervention de conseillers spécialisés et un gros effort de persuasion de la part des autorités, car tous les parents n'étaient pas disposés à accepter ce changement. En fin de compte, une cérémonie publique avait été organisée pour célébrer ces changements de prénom.

Dix ans plus tard, le problème est loin d’être résolu. Mais beaucoup de ces filles qui ont été renommées, désormais dans leur vingtaine, sont devenues des porte-étendards de la lutte contre cette pratique dégradante, qui persiste dans de nombreux districts de l'État. Elles s'organisent activement pour l'éradiquer. Elles plaident pour l'élaboration d'une politique gouvernementale cohérente pour l'identification et le changement de nom des filles concernées dans les plus brefs délais, et militent pour faire évoluer la législation en ce sens. Nous ne pouvons que les encourager.

 

Photo : Tom Maisey, CC
Photo : Tom Maisey, CC


Lorsque le prénom d’un enfant reflète un peu trop l’ambition de ses parents 

C'est le cas d'un enseignant particulièrement déterminé de la ville de Solapur, dans l'État du Maharashtra. Monsieur Dattatray Choudhari avait décidé, en accord avec son épouse, de prénommer son deuxième fils, né en 2022, "Pantpradhan", après avoir nommé son aîné, né en 2020, "Rashtrapati". À première vue, ces prénoms ne nous disent pas grand-chose, mais ils signifient en fait "Premier ministre" pour le cadet et "Président" pour l'aîné.

Alors que les parents n'ont eu aucun problème lors de l'enregistrement du prénom "Président", le Centre de santé du district, l'entité responsable de l'enregistrement des naissances, a rejeté leur demande concernant le prénom "Premier ministre". Mais c'était sans compter sur la détermination du père, qui, après trois mois de démarches, a obtenu la reconnaissance du prénom et la délivrance d'un acte de naissance portant le prénom choisi.


Les délais dans l'administration judiciaire indienne

 

Quant à la question de savoir ce qui les a poussés à choisir ces prénoms, leur réponse est tout aussi déroutante : "Les gens souhaitent que leurs enfants grandissent pour devenir médecins, ingénieurs, et embrasser les meilleures professions. Je veux que mes enfants grandissent et poursuivent une autre voie”. À l’évidence, devenir médecin ou ingénieur ne suffit pas, ils aspirent à avoir un Premier ministre dans la famille.

 

Lorsque les parents ne s’entendent pas sur le prénom de leur enfant

Très récemment, en septembre 2023 dans le Kerala, des parents ont mis tellement de temps à choisir le prénom de leur fille que l’affaire a fini par être portée devant la Haute Cour de l’État du Kerala.

À quel point cette période de réflexion était-elle devenue trop longue ? La petite fille est restée sans prénom pendant… des années ! Jusqu'à ce qu'elle doive entamer sa scolarité. Ce sont les autorités scolaires qui ont insisté pour obtenir un prénom et ont refusé d'accepter un acte de naissance avec la case du prénom vide.

À la demande du greffier, la mère avait tenté d'enregistrer le prénom de son choix. Mais en Inde, l'enregistrement exige la présence des deux parents. Et comme les parents n’étaient pas parvenus à s’entendre, et que la fille ne pouvait pas être inscrite à l'école, le tribunal a été contraint d'utiliser la doctrine parens patriae pour choisir un prénom.

Selon le droit indien, parens patriae est la doctrine qui reconnaît l'État comme le protecteur de tous les citoyens et lui permet d’engager une action en justice au nom de l’un d’eux, en particulier lorsque ce dernier en est juridiquement incapable, comme c'était le cas pour cette enfant mineure dont les droits avaient été bafoués par des parents irresponsables.

La Cour a justifié sa décision de donner un nom à la jeune fille en arguant que l'absence de prénom devenait préjudiciable à son bien-être et contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le nom choisi par la Cour, basé sur des considérations culturelles, l'intérêt de l'enfant et les normes sociales, a finalement été Punya Balagangadharan Nair ou Punya B. Nair. Le père voulait Padma Nair et la mère Punya Nadir. Pendant toutes ces années, ils n’avaient pas réussi à se mettre d’accord.

 

Elèves indiens dans leur salle de classe. Photo : CC
Elèves indiens dans leur salle de classe. Photo : CC

 

Lorsque les parents veulent renommer leur enfant sur les conseils d’un astrologue

En début d'année 2023, un père a voulu modifier le prénom de sa fille, âgée de plus de 2 ans, en raison de problèmes de santé dont elle souffrait.

Comme l’enfant ne se portait pas bien, la famille avait consulté un astrologue, qui avait établi un horoscope et recommandé de modifier le prénom en fonction du signe solaire de l'enfant. Jusqu’alors, les prénoms de tous les membres de la famille commençaient par la lettre A, mais l'astrologue a suggéré que le prénom porté par la petite fille commence par la lettre Kh, conformément à l'horoscope.

Le père a immédiatement déposé une requête auprès de la municipalité d'Ahmedabad, sa ville de résidence, pour demander ce changement. Mais cette entité a refusé de modifier l'acte de naissance de l’enfant. Le père a alors adressé une requête à la Haute Cour de l'État de Gujarat.

Après avoir entendu les arguments du demandeur, la Haute Cour a décidé d'exercer son pouvoir en vertu de l'article 15 des lois sur l'enregistrement des naissances et des décès, et a ordonné à la municipalité de changer le prénom conformément à la demande de la famille, estimant que le désir de suivre les conseils des astrologues constituait une raison valable pour modifier le prénom d'un enfant.

 

D’autres situations parfois ubuesques se sont également produites dans l'État du Maharashtra, où des parents ont recouru à des sondages auprès de leur famille et de leurs amis, ainsi qu'à bien d'autres méthodes tout aussi innovantes pour choisir les prénoms de leurs enfants.

Mais, malgré tous ces contre-exemples, la grande majorité des bébés indiens reçoivent un prénom choisi par leurs parents parmi les nombreux prénoms traditionnels inspirés des épopées mythologiques hindoues, de personnages historiques, de la religion, de la nature, ou des prénoms exprimant des qualités ou des vertus que les parents espèrent pour leurs enfants. Et, comme partout, généralement, les parents finissent par se mettre d'accord sur ce choix !

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