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ROLAND CARREE - Cinéphile à Casablanca "J'ai la chance d'être dans un pays où il y a des choses à dire et à découvrir"

Écrit par Parler Darija
Publié le 15 mai 2014, mis à jour le 16 mai 2014

Roland Carrée est français, expatrié à Casablanca, est Docteur en cinéma de l'Université Rennes2 - Haute Bretagne (France), Chef du département Audiovisuel et enseignant en cinéma, école d'art Studio M Casablanca. Lepetitjournal.com l'a interrogé sur ses nouvelles motivations et ambitions marocaines.


Lepetitjournal.com : Pour quelle raison êtes-vous venu vous installer à Casablanca ?
Roland Carrée : L'année dernière, en 2013, je terminais ma thèse de doctorat en cinéma à l'Université Rennes 2 où j'ai eu l'occasion, ainsi qu'à l'Université de Caen, d'enseigner le septième art. Mon contrat d'enseignant à Caen se terminait avant ma soutenance, et je ne pouvais pas le renouveler : j'ai donc dû chercher du travail, car je ne voulais pas me retrouver au chômage !


J 'ai eu mon diplôme de doctorat en décembre 2013 seulement , ce qui m'empêchait de candidater à un poste de maître de conférences au début de l'année scolaire de cette même année. J'ai cherché dans un premier temps, à postuler dans le domaine de la transmission du cinéma en France: cinémathèques, associations, écoles privées, festivals... Mais à chaque fois, ces portes se sont fermées : manque de place, de budget, de compétences adéquates. En somme, ces voies m'étaient closes. J'ai cherché à m'expatrier dans les pays limitrophes francophones ainsi qu'en Italie - puisque je parle italien - , mais sans plus de succès. Je suis donc allé plus loin dans la francophonie : la Polynésie Française, les DOM-TOM, le Québec, et ici en Afrique du Nord. On m'a parlé de l'école d'art Studio M Casablanca lors d'une soirée entre amis, et il s'est avéré que de le directeur de cette école, M. Fouad Lazrak, cherchait quelqu'un pour diriger le département Audiovisuel. J'ai pu rencontrer M. Lazrak lors d'un déplacement de sa part à Paris: nous avons sympathisé, et j'ai eu la chance d'être recruté. C'est comme ça que Casablanca m'a ouvert ses portes !

Vous êtes Docteur qualifié en cinéma, et vous avez rédigé une thèse intitulée "Gosses d'Italie : les représentations d'une enfance marginale dans le cinéma italien des années 1990 et 2000". Pourquoi ce sujet ? 
D 'une part, parce que j'ai bâti ma cinéphilie sur le cinéma de Michelangelo Antonioni, de Roberto Rossellini, de Nanni Moretti, etc., et d'autre part, parce que j'ai débuté l'italien en parallèle de mes études de cinéma. Lors de l'écriture de mon mémoire de master que je consacrais au réalisateur allemand Wim Wenders, j'ai dû travailler sur la question de l'enfance, Wenders faisant en effet jouer un grand nombre d'enfants dans ses films. Je me suis beaucoup documenté, et je me suis aperçu que c'était une thématique très intéressante en termes de point de vue et de représentation du monde. Lorsque je suis arrivé en doctorat et que j'ai dû définir un sujet de thèse, j'ai décidé de concilier ces deux aspects du cinéma qui m'intéressaient - à savoir l'enfance filmée et le cinéma italien -, en prenant comme période les années 1990 et 2000, qui sont relativement méprisées par les spécialistes. Il y a beaucoup de personnages d'enfants dans ces deux décennies du cinéma italien : j'ai voulu faire en sorte de montrer en quoi ils peuvent servir à transmettre des idées sur l'Italie de cette époque, et aussi de revaloriser le cinéma italien de ces vingt dernières années.

Que pensez-vous de l'industrie cinématographique actuelle au Maroc ?
Le cinéma marocain est un cinéma dont l'ossature est encore très fragile. En France, on ne le connait pas : on connait le cinéma de Nabil Ayouch, réalisateur des "Chevaux de Dieu" par exemple, mais c'est à peu près tout. La plupart des films ne passent pas les frontières du Royaume, et il y a un curieux paradoxe à mettre en relief ici : Nabil Ayouch a réalisé un téléfilm qui se nomme "Une minute de soleil en moins"  mais, de par son sujet très difficile, ce téléfilm n'a pas été projeté au Maroc, ni même au festival de Marrakech où il était inscrit dans un premier temps, il n'a été distribué nulle part. Il a finalement pu être connu des Marocains grâce à la chaîne française Arte, qui est captée dans le Royaume. Et les Marocains l'ont adoré ! Alors qu'il a été interdit !

Parmi les autres cinéastes marocains que l'on connait un peu en France, on peut citer Faouzi Bensaïdi ou encore Leïla Kilani, qui mériteraient pourtant beaucoup plus de considération. Les productions sont compliquées, mais les aides accordées par l'état sont en progrès. Il y a aussi des problèmes de formation, ce qui explique le nombre croissant d'écoles de cinéma qui voient le jour, parmi lesquelles se trouve notamment Studio M Casablanca, dans laquelle je travaille : c'est selon moi dû à un véritable regain d'intérêt de la part des Marocains pour la culture, un phénomène croissant depuis l'arrivée de Sa Majesté Mohammed VI au pouvoir. Le cinéma marocain gagne en force de manière considérable : il y a des festivals, des écoles, des formations, des projections suivies de débats, des rencontres. Le gros problème - et selon moi le plus urgent à gérer - est l'absence de diffusion : il n'y a qu'une quarantaine de salles au Maroc. Des villes de grande taille comme Agadir, qui accueille tout de même le Festival International du Documentaire, le Fidadoc ainsi que le Festival "Cinéma et Migrations" , ne dispose d'aucune salle de cinéma ! Et il faut aussi préciser que les films projetés au Maroc sont principalement des films nationaux de qualité souvent douteuse, ainsi que des blockbusters américains, ce qui n'aide pas vraiment à saisir le cinéma comme art et non comme simple divertissement. Il y a beaucoup de progrès à faire, mais je reste optimiste. 

Comment votre travail est-il perçu ? 
Au Maroc, si la culture est encore un peu difficile à transmettre, il y a cependant une vraie demande de la part des Marocains, des institutions diverses, des jeunes, des festivals, etc. On y trouve une véritable volonté d'apprendre , de voir des films autres que ceux des multiplexes. On me demande régulièrement, aux quatre coins du pays, de transmettre mon savoir, d'en parler avec de véritables passionnés d'horizons divers. C'est quelque chose d'extrêmement stimulant de se sentir quelque peu utile , et de se voir aussi chaleureusement remercié en retour. On trouve une forte ouverture, au Maroc, dans le domaine de l'audiovisuel et de la culture en général. Il ne faut pas que les habitants de France travaillant dans l'audiovisuel se découragent en s'apercevant que leur avenir professionnel peut éventuellement s'obstruer. Le Maroc est un pays très accueillant et bienveillant, c'est un état qui accueille les étrangers les bras grands ouverts, et je ressens aussi cela avec mes élèves, mes collègues, le personnel de mon école, ainsi que mes amis. Je suis très content de la grande complicité qui se crée ici, et je pense que j'ai la chance d'être dans un pays où il y a encore des choses à dire et à découvrir. Je dois continuer à profiter de cette occasion qui m'est donnée d'avoir un accès très facile aux cinéastes, aux productions, aux films et aux boîtes de production marocains, et par là-même de pouvoir retransmettre mes découvertes à travers les publications et les communications que j'effectue régulièrement .

Si vous voulez un conseil de ma part : regardez des films. Regardez des vieux films, regardez des films de tous les pays, de toutes les époques, de tous les réalisateurs ! La culture est nécessaire pour en apprendre davantage sur le monde qui nous entoure, et le cinéma en est sans doute, aujourd'hui, la plus belle porte d'entrée.

Propos recueillis par Manon Kole (www.lepetitjournal.com/casablanca) Vendredi 16 mai 2014  

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Publié le 15 mai 2014, mis à jour le 16 mai 2014

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