

Lors de pérégrinations journalistiques appliquées au sujet des édifices chrétiens présents à Casablanca, Lepetitjournal.com entendit, au détour d'une abside, une voix de femme comme on en fait plus : "Madame, voyons... Souriez ! J'ai 15 ans de plus de que vous et c'est moi qui vous pousse !" Dans un râle plaintif, une dame en fauteuil roulant essuyait alors l'observation de celle qui poussait son chariot métallique. Nous venions tout juste, sans le savoir, de découvrir la voix de S?ur Colette, personne au parcours tout à fait atypique. Elle nous a raconté son histoire que nous avons écoutée avec grand plaisir.
(ci-dessous: lycée de jeunes filles de Casablanca - Crédit Levieuxmaroc.com)
Née en 1922 en banlieue parisienne, S?ur Colette est une religieuse Franciscaine Missionnaire de Marie. Après des études, elle devint titulaire d'une licence de mathématiques, puis rejoint les ordres en 1945 par admiration pour un prêtre qui sacrifia sa vie pour l'Eglise. Elle fut envoyée à Meknès en tant qu'enseignante en mathématiques en 1953. "C'était une région agricole peuplée de colons. Des jeunes garçons français qui vécurent la guerre en tant que militaires, et qui choisirent de travailler la terre ici au Maroc plutôt que de rentrer en France. Pensez-vous, c'était en plein renouvellement !". Ces colons bâtirent des maisons et fondèrent des familles, aidés par les Marocains. Quand leurs enfants furent en âge d'aller à l'école, ils se demandèrent comment cela pourrait être possible de les éduquer : fallait-il les envoyer étudier en France ou leur permettre un apprentissage sur place ? L'Eglise, très présente au Maroc, proposa des créations d'écoles en pensionnats, selon le programme scolaire français. L'épreuve du baccalauréat se déroulait alors à Rabat. S?ur Colette enseigna ainsi les mathématiques à plus de 200 internes filles, les surveillant et les encadrant dans un univers clos.
Dans les années 1970, le Maroc connut une forte évolution, ce qui a entraîna un aménagement d'écoles, de collèges et de lycées en grand nombre. Beaucoup de possibilités d'enseignement se sont alors créées, permettant à S?ur Colette de quitter Meknès pour partir à Goulmima, dans un collège de deux classes au Sud du Maroc. "J'ai enseigné 14 ans à Goulmima, un petit village situé sur une route importante du Maroc car elle le traverse d'Est en Ouest. Il y avait ici une communauté française très forte avec plus de 30 personnes présentes dans ce village si isolé !" En effet, un programme de coopération militaire en lien avec le VSNA (Volontaires du Service National Actif) proposa alors de rentrer dans l'administration française au Maroc en lieu et place d'un service militaire standard. Beaucoup de jeunes se sont engagés dans cette voie, emmenant avec eux femmes et enfants. Au départ, les communautés françaises et marocaines étaient très disparates, puis les Marocains, avec une certaine influence à l'époque, se sont vite rendu compte de l'intérêt général de fusionner cultures et savoirs, notamment grâce aux écoles et à l'éducation.
S?ur Colette vivait ainsi en compagnie de deux autres religieuses, entourées de livres : les élèves, curieux et désireux de se cultiver, demandèrent sans cesse de nouvelles lectures et un accès aux ouvrages. Des enfants de la palmeraie faisaient jusqu'à 8 km pour venir jusqu'à l'école, conscients de la chance inestimable qui s'offrait à eux. De plus, ce furent d'excellents élèves, de par leur motivation pour réussir, mais aussi grâce à un certain recul que sa propre religion pouvait apporter. " Je n'ai jamais beaucoup apprécié le fait que les religieuses s'affichent dans la rue avec des orphelins, des malades et des vêtements stéréotypés. Je préfère la discrétion et l'humilité." En effet, respectant la promesse de non-prosélytisme faite à l'état, les rapports à la croyance étaient différents entre les élèves musulmans et la professeur chrétienne. Cela a permis un enrichissement conséquent, une prise de recul nécessaire à une meilleure appréhension de la tolérance, de la liberté ainsi qu'à une notable ouverture d'esprit.
S?ur Colette avait 3 classes de 40 garçons par semaine à Goulmima ; l'école était officiellement mixte, mais les filles étaient encore en sous-effectif et très mal à l'aise dans cet univers masculin, notamment à cause du fait que les quelques présentes l'étaient de par leur position sociale et non dans une éthique de mixité neutre. C'est avec un sourire non retenu qu'elle nous confie : "J'ai calculé récemment que j'aurais enseigné à environ 1400 élèves dans toute ma vie. Et sur ce nombre, 40 d'entre eux me sont restés fidèles et me contactent régulièrement." Selon elle, ses
Les sciences étaient alors enseignées en français, tandis que les autres matières l'étaient en arabe ; la permanente évolution du pays favorisa la création d'un baccalauréat en arabe, ce qui remplaça progressivement les professeurs francophones. Intervint alors sa retraite à l'âge de 64 ans ; arrivée au terme de ses services officiels et compte tenu de l'arabisation des sciences scolaires, elle partit à Ouarzazate enseigner pendant deux ans, puis entretint son désir d'entraide en effectuant des tâches ça et là, dans les montagnes australes marocaines, prodiguant son savoir mathématique dans des terres reculées. "En tant qu'enseignante, on trouve toujours le moyen d'aider quelqu'un", nous susurre-t-elle. Désormais, du haut de ses 92 printemps, S?ur Colette vit paisiblement dans la chapelle d'Anfa-Maârif, et prend soin tous les jours des dames les plus démunies par le temps.
Manon Kole (http://www.lepetitjournal.com/casablanca) Vendredi 09 mai 2014



