Chaque cimetière possède sa Dame Blanche. Peu en revanche abritent une femme qui a été enterrée vivante. Pour connaître son histoire, il faut se rendre au cimetière le plus ancien de Buenos Aires, celui de Recoleta. La tombe de Rufina Cambaceres y attire depuis plus de cent ans une foule de curieux en quête de frissons.


C’est d’abord l’histoire d’un destin tragique. En 1902, Rufina Cambaceres va fêter ses 19 ans dans la résidence de sa famille, à Barracas, près de la Boca. Elle baigne alors dans l’aristocratie argentine du XIXe siècle : son père, Eugenio Cambaceres, est un écrivain et homme politique argentin. Sa mère, Luisa Bacichi, est une danseuse italienne. Rufina a alors tout pour réussir. Très belle, elle tombe amoureuse d’Hipolito Yrigoyen, un avocat, qui deviendra plus tard Président de la Nation argentine.
Enterrée vivante le lendemain de son anniversaire
"Nous sommes le 31 mai 1902. Rufina se préparait dans sa chambre pour son anniversaire", raconte Sergio Capurso, guide au cimetière de Recoleta. Il poursuit : "Une intendante vient alors lui dévoiler une terrible nouvelle. L’homme qu’elle aime, le brillant Hipolito Yrigoyen, est aussi l’amant de sa mère, Luisa." Peu après, Rufina est retrouvée inanimée, allongée au sol dans ses appartements. Le médecin est formel : la jeune fille est décédée d’une syncope. Le choc est terrible pour les Cambaceres. Ils estiment qu’une cérémonie serait trop douloureuse : le corps est directement transporté jusqu’au cimetière de Recoleta.
Le lendemain de l’enterrement, les officiers et le gardien du cimetière entendent des cris et des bruits de lutte. Ce dernier décide d’entrer, seul, dans le caveau familial. Le cercueil de Rufina s’est déplacé sur son socle. Effrayé, il alerte les Cambaceres, qui décident d’ouvrir la tombe. C’est alors que commence la légende : le corps de Rufina est retrouvé ensanglanté. Des griffures marquent profondément les parois du cercueil, comme si elle s’était débattue. L’interprétation est simple selon Sergio : "Elle souffrait en fait de catalepsie. Elle s’est réveillée après sa crise, et, essayant de trouver une issue, elle est morte de suffocation ." Alors méconnue, la catalepsie est un trouble nerveux qui fige les muscles du corps dans une certaine position. La personne a l’air inanimée. Elle ne peut alors plus bouger pendant quelques heures, voire quelques jours. On ne peut qu’imaginer la terreur qu’elle a pu ressentir à son réveil, et son désespoir. C’est d’ailleurs pour cela qu’après Rufina, à Buenos Aires, tous les corps doivent être veillés par les pompes funèbres pendant au moins 24 heures.
La Dame Blanche argentine
Peu après, le père de Rufina meurt lui aussi. Luisa, sa veuve, a un enfant avec son amant Hipolito. Ce dernier est d’ailleurs aussi enterré dans le cimetière de Recoleta, à quelques pas du caveau Cambaceres. Aujourd’hui, beaucoup d’interprétations font de Rufina un spectre furieux qui revient hanter les visiteurs du cimetière. "Nous avons des témoignages de gens qui l'auraient aperçue. Un garçon raconte l’avoir vue, près du cimetière, vêtue de blanc. Séduit, il s’approche d’elle pour l’inviter à boire un café. Mais elle s’enfuit au milieu des caveaux. Quand le garçon la retrouve enfin, elle a le visage et les vêtements tâchés de sang. Elle se jette à sa poursuite, vengeresse." Pour Sergio, rien n’est moins sûr : "L’histoire de Rufina peut aussi bien être un cas avéré de catalepsie, qu’une une simple légende urbaine ! Notre cimetière, comme tous les autres, a besoin de sa Dame Blanche. C’est une histoire très populaire, l’une des plus anciennes du cimetière."

Sur le devant de la tombe de Rufina, une grande statue faite en marbre importé d’Italie représente une femme à l’allure grecque. L’air triste, sa main droite semble ouvrir la porte qui mène à son tombeau. Comme elle aurait cherché à ouvrir son cercueil avant de mourir une seconde fois.
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