Le long des routes sinueuses de la pampa, de Tucuman à Ushuaia, les Argentins ont construit de petits sanctuaires rouges. La coutume veut qu’il faut klaxonner à son approche en passant en voiture. Tous rendent hommage à un homme : le Gauchito Gil. Qui est cette figure emblématique de la culture populaire argentine ? Pourquoi est-il vénéré comme un saint ?


Dans le sanctuaire du Gauchito Gil, dans le parc de Los Andes, Carlos Podesta, 57 ans, se recueille. Il est silencieux, observant la figure d’un homme brun aux cheveux longs, accroché à une croix. Mais il ne s’agit pas de Jésus. Carlos prie une figure essentielle pour l’Argentine : le Gauchito Gil.
La légende du gaucho martyr
La légende date du XIXe siècle. Dans la petite ville de Pay Ubre, dans la province de Corrientes, un gaucho (gardien de troupeaux), fait parler de lui. Gauchito Gil, de son vrai nom Antonio Mamerto Gil Nuñez, tombe amoureux d’une riche femme veuve de son village. Mais le chef de la police locale en est, lui aussi, fou amoureux. De plus, les frères de la veuve n'apprécient pas l’idée que leur sœur fréquente un paysan. Afin de sauver sa peau, Antonio fuit et s’enrôle dans l’armée pendant la guerre de la Triple Alliance. Une guerre qui oppose la coalition du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay contre le Paraguay, de 1864 à 1870. En rentrant il déserte alors qu’il était recruté par le parti autonomiste de Corrientes pour combattre dans la guerre civile. Commence alors la légende. Gauchito est capturé par un policier, pendu par le pied à un arbre, puis égorgé. Juste avant l'exécution sommaire, l’histoire raconte qu’il déclare à son bourreau : "Votre fils tombera très malade prochainement. Quand cela arrivera, priez en mon nom et il sera rétabli." En rentrant chez lui, le policier, voyant son fils mourant, se met à prier le Gauchito Gil. L’enfant survit, tel un miracle.
Le Robin des Bois argentin
Ce miracle, beaucoup d’Argentins y croient dur comme fer. C'est le cas de Carlos présent dans ce petit sanctuaire au cœur du quartier de Chacarita. Chaque fois qu'il prononce le nom du Gauchito, Carlos effectue le signe de la croix : "Je suis allé plusieurs fois à Mercedes, pour être au plus près du miracle." Tous les 8 janvier, date d’anniversaire de sa mort, quelques 500 000 fidèles se pressent au sanctuaire de Mercedes, dans la province de Corrientes. C'est là où il a été assassiné. Ils ne manquent jamais de s’agenouiller, de déposer un foulard rouge ou des cigarettes sur sa statue. La couleur rouge viendrait de son appartenance probable aux "colorados" du Parti libéral. Les fidèles viennent demander pardon, ou protection pour les épreuves à venir. Bien que le Gauchito vienne de Corrientes, sa figure est célébrée jusqu’à Buenos Aires. Le plus grand sanctuaire de la capitale se situe dans la villa 31, le bidonville de Retiro. Il y est appelé "el Santo de los pobres." (le Saint des pauvres). En effet, une autre version de la légende raconte qu’il volait des bœufs aux riches pour les donner aux pauvres. C’est donc aussi l’image d’un saint charitable et généreux que les Argentins saluent.

Une croyance catholique ?
De fait, le Gauchito, malgré ses miracles, n’est pas un saint glorifié par l’Église. Sa légende est d’origine païenne. Pourtant la majorité de ses fidèles se déclarent catholiques. Il est représenté et accroché sur la croix. Ses traits se confondent à ceux de Jésus-Christ. Cela peut paraître étonnant. En Amérique latine, dans le christianisme, est née une pratique de la religion dite “catholicisme populaire”. Les croyances populaires, païennes, se mêlent aux pratiques catholiques importées d’Europe. C’est le syncrétisme. L’Église tolère donc cette dévotion en le Gauchito Gil, symbole de martyr et de pardon. Le pape François, argentin, a même encouragé cette pratique. Et même si l’Église catholique n’a jamais canonisé le Gauchito, Carlos s'en moque : "Qu’importe ! Le Vatican ne comprend pas l’importance de cette pratique pour nous. Les Argentins savent lui rendre hommage ; et cela me suffit."
Sur le même sujet
