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Jean-Marc Séré-Charlet, Consul Général de France à Bombay depuis octobre 2021

Jean marc sere charlet le consul general de france a bombayJean marc sere charlet le consul general de france a bombay
Écrit par lepetitjournal.com Bombay
Publié le 10 décembre 2021, mis à jour le 19 décembre 2023

Marié et père de quatre enfants, Jean-Marc Séré-Charlet, le nouveau Consul Général de France à Bombay, n’en est pas à sa première expérience en Inde. Il a accordé une interview à la rédaction et se présente à nos lecteurs. 

 

 

lepetitjournal.com Bombay : Depuis octobre 2021, vous êtes le Consul Général de France à Bombay. Ce n’est pas votre premier séjour en Inde, vous étiez en poste à l’ambassade de France à New Delhi entre 2013 et 2015. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?

 

Jean-Marc Séré-Charlet : J’ai toujours été intéressé par l’Histoire et par la place de la France dans le monde. Jeune, je voulais « servir la France » mais j’ignorais largement comment cela pourrait se réaliser. J’ai découvert la diplomatie lors de mon stage de l’ENA à l’ambassade de France à Ankara. Cela a été pour moi le déclic et j’ai décidé d’intégrer le ministère des Affaires Etrangères à la sortie de l’école. 

J’ai commencé ma carrière à Paris à la direction des Nations Unies, sur les dossiers droits de l’Homme, puis, comme je voulais sortir un peu des sentiers battus, j’ai demandé à partir à Moscou (de 2002 à 2005) en tant que Conseiller à l’Ambassade de France. La Russie à cette époque sortait d’une période d’incroyables changements, très violents, la société était bouleversée et se cherchait et beaucoup de choses semblaient possibles. Il y avait un côté Far-West, ou plutôt Far-East, qui s’est peu à peu régulé sous la tutelle de V. Poutine.

 

Ces trois années en Russie furent très formatrices pour le jeune diplomate que j’étais, j’y ai appris les bases du métier et ai pu observer de près une grande puissance en pleine transformation.  

Comme je traitais notamment des dossiers européens à Moscou, j’ai naturellement rejoint ensuite notre Représentation permanente auprès de l’Union européenne à Bruxelles. J’ai négocié pendant deux ans avec mes collègues européens pour faire avancer l’Europe de la Défense, qui fait partie des nouvelles frontières de l’UE et à laquelle je crois profondément. L’Europe a besoin de développer une culture de sécurité commune et d’apprendre à défendre ses intérêts, au-delà du seul « soft power ».

En 2007, la ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel, m’a proposé de rejoindre son Cabinet, comme conseiller diplomatique, notamment pour préparer la présidence française de l’Union Européenne de 2008. Un des dossiers qui m‘a le plus marqué pendant cette période a été le celui du musée du Louvre Abu Dhabi, le plus grand projet culturel de la France à l’étranger. Le contrat venait d’être signé et il y avait tout à faire. C’est devenu un grand succès. Je suis heureux, à mon modeste niveau, d’y avoir quelque peu contribué. Je me suis notamment rendu à plusieurs reprises à Abu Dhabi et les négociations se déroulaient autant avec les Emiratis qu’avec le Louvre et les musées français. C’était une aventure exceptionnelle et j’en ai gardé de très beaux souvenirs, notamment un voyage avec Bruno Racine, directeur de la BNF et homme d’une grande culture et Laurence des Cars, l’actuelle présidente du Louvre. Le musée, situé sur l'île de Saadiyat qui, à l’époque, était totalement désertique, a été inauguré en novembre 2017 par le Président Emmanuel Macron et l’accord qui lie les Emirats Arabes Unis à la France vient d’être renouvelé jusqu’en 2042. 

 

Travailler sur le projet du Louvre Abu Dhabi fut pour moi une expérience hors norme dans plusieurs de mes domaines de prédilection : l’art, la culture et le rayonnement de la France. C'est une très belle réussite.

 

J’ai été récompensé de mon travail au Cabinet de la Ministre avec un poste qui me fascinait depuis toujours puisque j’ai été nommé Conseiller Culturel à l’ambassade de France à Rome au Palais Farnèse. Et le travail ne se limitait pas à la seule Rome qui, pourtant, peut vous occuper une vie entière ! Il s’agissait de promouvoir dans toute l’Italie (il existe 42 Alliances Françaises à travers la péninsule) la France, sa culture, son cinéma, ses auteurs, ses créateurs, ses scientifiques, ses universitaires, son système éducatif, à un pays avec lesquels les affinités sont plus qu’évidentes !

 

Vous imaginez que de belles rencontres, que de belles découvertes j’ai pu faire à Rome en trois ans !

 

J’ai aussi appris à gérer une équipe (nous avons ainsi créé l’Institut français d’Italie qui réunissait les différents centres culturels et le service culturel de l’ambassade à Rome) et à travailler sur des projets culturels très concrets. J’ai notamment eu la chance de lancer un festival du cinéma, Rendez-vous avec le cinéma français, qui vit encore et est même en pleine forme. Malgré le COVID, la onzième édition a eu lieu en juin 2021. 

Après une telle expérience, il me fallait partir dans un pays au moins aussi stimulant et attirant.

 

Depuis toujours, j’étais attiré par l’Inde et j’avais, à plusieurs reprises, demandé à y servir.

 

Sans succès jusqu’alors. Notamment lors du stage de l’ENA où j’avais clairement fait passer mon souhait d’y être affecté. Début 2013, juste après la naissance de ma première fille, j’ai été nommé Ministre Conseiller (numéro 2) à l’ambassade de France à New Delhi. Nous allons y revenir car cette expérience m’a beaucoup marqué et explique pourquoi je suis désormais Mumbaikar. 

Après 3 ans à Delhi, j’ai été affecté dans ma direction d’origine au Quai d’Orsay, comme directeur adjoint des Nations Unies, des Organisations internationales, des droits de l’Homme et de la Francophonie. On y traite de tous les sujets abordés aux Nations Unies et ils sont nombreux !

 

Pendant 6 ans, j’ai notamment contribué à défendre les intérêts de la France au Conseil de Sécurité, au Conseil des droits de l’Homme, à la FAO, à l’UNESCO mais aussi au Conseil de l’Europe et à l’OMS.

 

Ce sont des sujets essentiels pour nous et les Nations Unies sont un lieu important pour la France, car nous sommes profondément convaincus des vertus du multilatéralisme et que seule la coopération internationale est porteuse de paix. 

 

Début 2021, j’ai demandé à revenir en Inde puisque le poste de Consul Général de France à Bombay se libérait. Je suis ravi d'être de retour. Cette nouvelle affectation va me permettre de continuer à travailler au développement des relations entre l’Inde et la France aux côtés de l’Ambassadeur et d’approfondir ma connaissance de l’Inde du centre et de l’ouest puisque ma circonscription couvre non seulement le Maharashtra mais aussi le Madhya Pradesh, le Gujarat, le Chhattisgarh, Goa et deux territoires de l’Union.

 

 

Quel était votre rôle à l’ambassade de France à New Delhi en tant que Chef de mission adjoint ?

 

Le Chef de mission adjoint coordonne l’action de l’ensemble des services de l’ambassade, qu’ils soient du Quai d’Orsay ou d’autres ministères. Il remplace l’ambassadeur lorsque celui-ci est hors du territoire indien ou en congés. Traditionnellement, il est présent à Delhi au mois d’août ce qui m’a permis de représenter notre pays aux cérémonies de la fête nationale au Fort Rouge, le 15 août. J’ai ainsi assisté au dernier discours de Manmohan Singh et au premier de Narendra Modi. Ce sont des moments qui marquent. C’était une période qui a marqué la fin d’une ère politique en Inde et l’avènement d’une nouvelle.

 

Pendant mes trois premières années passées en Inde, j’ai tenu à découvrir sur le terrain la diversité de ce pays, qui est sa plus grande richesse.

 

Je connais donc déjà la circonscription du consulat de Bombay. 

 

Quels sont les meilleurs moments que vous avez retenus de votre premier séjour en Inde ? 

 

Il est difficile de choisir parmi les nombreuses images que je garde en tête, puisque j’ai pu parcourir le pays en long et en large. 

 

 La découverte sur le terrain de la civilisation et des traditions indiennes, lors de mes déplacements, Jaipur, Pondichéry, Gwalior, Khajuraho…

Peut-être un de mes plus beaux souvenirs est ce voyage en train imprévu entre Khajuraho dans le Madhya Pradesh et Delhi, suite à l’annulation avec un préavis d’une heure de mon vol de retour. 12 heures de train qui m’ont plongé dans une vie indienne que les diplomates ne perçoivent pas toujours, ses couleurs, ses bruits, son rythme, ses habitudes… ce fut un voyage passionnant et j’ai hâte de reprendre le train, ce que les distances immenses ne favorisent malheureusement pas. 

Parmi les autres souvenirs de ma première vie indienne, je peux citer les magnifiques sites d’Ajanta et Ellorâ dans le Maharashtra, Pondichéry et un très beau mariage auquel j’ai été invité à Chandigarh.

 

 

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à demander un deuxième poste en Inde ? Quels liens avez-vous tissés avec l’Inde ?

 

Travailler avec l’Inde est passionnant car c’est un monde en soi et c’est surtout une des grandes puissances de la planète. Et ce n’est pas dû seulement à la taille de sa population mais à sa créativité, à la force de son industrie, de ses chercheurs. Et aussi car nous avons des intérêts communs. Que ce soit au niveau global ou dans l’Indo-pacifique. De plus, la France est un pays apprécié par l’Inde et les Indiens, même s’il n’est pas assez connu, et il y a un a priori positif et un intérêt réel des deux côtés.

Et puis, point important : l’Inde est un pays avec lequel la France n'a pas de contentieux particulier, pas de passé douloureux. Au contraire, les liens entre les deux pays sont anciens et confiants. La France l’a d’ailleurs prouvé en se tenant aux côtés de l’Inde lors de crises encore récentes, notamment en 1998.

 

Entre la France et l’Inde, il n'y a pas d'Histoire négative, au contraire, il y a de nombreuses belles histoires positives de rencontres, de découvertes…

 

Mais, les Français et les Indiens ne se connaissent pas assez et ce sera une partie de mon travail de contribuer, là encore à mon niveau, à une meilleure connaissance réciproque. J’ai très envie de mieux faire connaitre la France en Inde et j’y travaillerai notamment à travers les moyens modernes de communication, notamment les tweets. C’est un travail conséquent, mais qui est facilité par le fait que nous partageons des valeurs, des intérêts et aussi un ADN fait de diversité.

Enfin, je dois avouer avoir une grande admiration pour le Mahatma Gandhi, ses convictions non-violentes, son courage et son sens de l’humour, exceptionnel ! 

 

L’approche des relations internationales de Gandhi correspond tout à fait aux objectifs des diplomates : créer des liens plutôt que de la confrontation et de la dissension.

 

La question indopacifique, que nous avons en partage avec l’Inde notamment, découle de cette même approche. L'intérêt commun de la France et de l'Inde est d’y établir une zone apaisée, pacifique, où les mouvements sont libres et les échanges l'emportent sur les tensions. La France est une nation dont 1,5 million de citoyens habitent la zone de l'océan indien et de l'océan pacifique. L'espace indopacifique n'est donc pas un intérêt intellectuel, mais une volonté et des enjeux réels et concrets pour la France et l'Inde. 

 

Une autre motivation très forte, plus personnelle, m’a conduit à nouveau sur le chemin de l’Inde : je suis un passionné de l’art et de l’histoire de l’Inde 

 

Ma passion pour l’Inde découle notamment de mon goût pour l’histoire, que ce soit l’Inde médiévale, l’Inde des grands sultanats et de Shivaji, l’Inde du XVIIIème siècle où les Français ont tissé des liens très forts, l'Inde de Gandhi…

L’histoire certes, mais aussi les arts indiens. En France, jeune étudiant à Paris, j'ai aussi découvert l'Inde, d’une certaine façon rêvée et sublimée, à travers un magasin, le « Jardin moghol » créé par Brigitte Singh, une Française, diplômée des arts décoratifs qui a épousé un Indien dont la famille fabrique des "blocks" (ndlr : les tampons qui permettent de créer les imprimés block print sur les tissus). Elle a interprété ces blocks avec son goût très sûr et le résultat est exceptionnel. Je suis venu aux tissus indiens, grâce à elle. J’ai eu la chance de le lui dire un jour qu’elle me recevait dans son superbe haveli, installé près de Jaïpur, où elle poursuit une production très raffinée et pleine de couleurs. Depuis, j’ai parcouru le pays à la poursuite des tissus les plus originaux et les plus variés mais aussi des assemblages de couleurs qui pourraient choquer partout ailleurs qu’en Inde mais qui ici sont comme des évidences et qui vous laissent rêveur. Je suis un fanatique des couleurs de l’Inde et de la diversité des tissus indiens. 

 

Enfin, mes liens avec l’Inde sont aussi personnels. 

 

Depuis que je suis tout petit, je sais que j’ai un ancêtre qui repose en Inde.

J’ai entendu parler de l’Inde, depuis mon enfance car l’arrière-grand-père de ma mère, juge français, a été en poste à Karikal, puis à Pondichéry au début du siècle. Il y est décédé en 1905 dans des circonstances mal connues et est enterré au cimetière français de Pondichéry. J’ai souvent entendu évoquer cet ancêtre un peu mythique, qui reposait au loin, à des milliers de kilomètres de sa patrie et qui avait dû avoir eu, dans mon imagination tout au moins, une vie exotique et aventureuse. J’ai pu lui rendre un hommage il y a quelques années, lors de mon séjour à Delhi. De passage à Pondichéry, j’ai recherché sa tombe, en vain, au cimetière français de la ville. Je suis reparti avec mes fleurs, triste de n’avoir pu le saluer à un siècle de distance. Grâce à mon collègue Consul général sur place, nous avons pu comprendre que la tombe avait disparu suite au terrible tsunami de 2004. Nous avons, grâce à des photos anciennes, repéré le lieu de la sépulture et nous avons pu reconstruire une tombe. Je suis alors venu spécialement de Delhi, malheureusement sans mes enfants, trop petits alors, pour célébrer cet ancêtre et déposer quelques fleurs en son souvenir. 

 

 

Vous êtes Consul général de France à Bombay depuis septembre 2021. Comment décririez-vous votre rôle ?

 

La circonscription dont j’ai aujourd'hui la responsabilité est immense, elle représente une superficie de 947 000 km2 soit presque deux fois la France avec une population de plus de 250 millions d’habitants. 

 

La circonscription de Bombay est un peu le “cœur” d’Incredible India. Ce qui m'attire dans Bombay, c'est cette force incroyable qui l’anime.

La fonction de Consul Général consiste à incarner l’action de la France au quotidien dans la circonscription, en travaillant au développement des relations économiques entre nos pays, en faisant mieux connaitre notre culture, nos universités, nos chercheurs, et en étant au service de nos compatriotes pour un certain nombre de sujets, notamment les actes administratifs, l’exercice du droit à participer aux élections ou encore en portant assistance aux Français en danger. Je rappelle d’ailleurs à tous les Français installés dans la circonscription qu’en 2022, ils seront appelés aux urnes en avril puis en juin.

 

Le Consul Général est l'œil, la voix et le visage de la France dans sa circonscription, mais il ne se substitue pas à l'ambassade, ce n’est pas un poste politique au sens géopolitique. Il est un des éléments de « l’équipe France » en Inde. 

Mon rôle est donc de connaître la communauté française de ma circonscription et d’être à son écoute. Je m’emploierai à le faire à chaque occasion, notamment lors de mes déplacements hors de Bombay. Et à Bombay, j’ai bien l’intention de la rencontrer notamment lors des activités organisées par Bombay Accueil, qui fait un travail remarquable qu’il convient de saluer. Non seulement ma porte est grande ouverte aux Français mais j’ai bien l’intention de ne pas me contenter de les recevoir quand ils le souhaitent mais d’aller à leur rencontre.

 

 

Quels sont les sujets sur lesquels vous souhaitez axer votre deuxième mission en Inde ?

 

Comme je vous le disais plus tôt, la France n’est pas bien connue par les Indiens et les Français ont une vision souvent limitée de l’Inde. Je m’attacherai donc à montrer toutes les facettes de la France aux Indiens. 

La prochaine édition de Bonjour India, qui démarrera début 2022, est un des exemples de cette volonté que nous avons d’offrir le meilleur de la France au public indien. Au même moment, le festival Namaste France, organisé par l’ambassade de l’Inde en France, dévoilera aux Français une autre Inde que celle souvent présente dans l’imaginaire de nos concitoyens.   

 

 Je crois vraiment au dialogue des cultures et aux échanges entre artistes français et indiens pour qu’ils puissent créer ensemble, en confrontant leurs visions différentes du monde.

J'espère pouvoir utiliser l'expérience acquise en Italie et au ministère de la Culture pour développer une coopération culturelle avec les musées de la région. A Bombay, la France a la chance de disposer d‘un instrument formidable avec l’Alliance Française qui est reconnue pour son expertise, qui dispose d’une équipe dynamique et qui est soutenue par un conseil d’administration actif et influent. Nous devons l’appuyer dans ses initiatives et je le ferai avec plaisir.

Je souhaite aussi promouvoir le système éducatif français et l'excellence de nos universités. C’est un système très performant qui, même si on le sait peu, est de plus en plus ouvert sur l'international et propose des formations à des prix raisonnables car en partie subventionnées par l'État français. Nous disposons à Mumbai d’un lycée français, qui est une perle, mais il y a un travail important à faire pour attirer plus d’élèves indiens tout en gardant un bon équilibre entre la communauté internationale et la communauté locale.

 

 

Et pour conclure ?

 

En un mot, vous l’avez compris, j’ai toujours été persuadé que l’Inde n’était pas un « sous-continent », comme on le dit souvent en se fondant sur la géographie, mais un continent à part entière. Le pays compte 28 Etats, (en Europe il y en a 27 et la population indienne est trois fois celle de l’UE), et du Ladakh à Trivandrum, du Sikkim au désert de Kutch, on trouve des géographies, des climats, des langues, des arts, des cultures, des traditions bien plus diverses qu’en Europe par exemple.

 

 

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