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Les insectes sont-ils l’avenir de notre alimentation ? Réponse avec Marie Colombier

Marie Colombier avec une barre protéinée YnéMarie Colombier avec une barre protéinée Yné
Marie Colombier - co-fondatrice de Yné ecoprotein
Écrit par Claudia Chaminade
Publié le 26 avril 2023, mis à jour le 5 juin 2023

Les insectes sont-ils l’avenir de notre alimentation ?

Rencontre avec Marie Colombier, co-fondatrice de Yné ecoprotein

Marie Colombier, ingénieure agronome française, s’est lancé le pari fou il y a 4 ans d’entreprendre dans l’élevage d’insectes comestibles en Colombie. Avec son associé Antoine Germonprez, ingénieur en agroalimentaire, ils fondent ensemble Yné ecoprotein, avec pour objectif de « révolutionner le marché de l'alimentation saine » en Colombie.

 

Marie et Antoine fondateurs de Yné ecoprotein
Marie Colombier et Antoine Germonprez, fondateurs de Yné ecoprotein

 

Marie Colombier, une jeune entrepreneuse qui parcourt le monde à la recherche de la meilleure qualité d’insectes comestibles

Nous rencontrons Marie au hasard d’un voyage à Minca, petit village de montagne en Colombie, réputé pour être la capitale écologique de la Sierre Nevada, à environ 15 km de Santa Marta sur la côte caribéenne. Ce qui nous frappe au contact de Marie, c’est son énergie communicative. La jeune française de 29 ans nous partage avec passion et engagement son parcours atypique de jeune entrepreneuse, éleveuse d’insectes comestibles en Colombie.

Originaire de Lille, Marie est ingénieure agronome spécialisée en industrie agroalimentaire, diplômée de l'école Agrocampus-Ouest à Rennes et Montpellier Supagro. Grande passionnée d’insectes, elle passe plusieurs années à parcourir le monde dans le but de parfaire son expertise en « entomophagie » ou l’art de consommer des insectes par les hommes.

 

 Au gré de mes voyages, j'ai eu l’opportunité d’élever des grillons au Vietnam, d’analyser la composition nutritionnelle des termites en Afrique du Sud, j’ai aussi conçu des biscuits aux chenilles au Burkina Faso, et j’ai même élevé des ténébrions, des insectes coléoptères, pour ma propre consommation 

Larves de Ténébrion meunier ou Tenebrio Molitor
Larves de Ténébrion meunier ou "Tenebrio Molitor" 

 

Riche de multiples expériences et de plusieurs années de recherches, Marie en arrive à la conclusion que le « Tenebrio Molitor », le ténébrion meunier, un coléoptère robuste et luisant, est l'un des ingrédients les plus complets sur le plan nutritionnel de toute la planète.

 

 Avec mon ami de lycée Antoine, lui-même ingénieur en agroalimentaire, nous avions envie d’entreprendre ensemble. Tous deux soucieux de l’avenir de la planète et de l’Homme, nous voulions créer une entreprise sociale qui soit au service de l’Homme et non à son détriment. En tant qu’ingénieurs, notre expertise réside dans la conception, la production et la commercialisation de produits alimentaires finis, issus de l'agriculture et de l'élevage. Nos années d’études ainsi que nos expériences respectives nous ont amenés à vouloir trouver des solutions alternatives à la consommation de protéines animales, qui, nous le savons aujourd’hui, engendre des impacts environnementaux catastrophiques pour notre planète. Une fois qu’on a dit ça, il faut donc trouver d’autres sources alimentaires aux valeurs nutritionnelles égales ou supérieures à celles de la viande. Les insectes représentent dès lors une immense opportunité puisqu’ils répondent à notre besoin vital de protéines, tout en bénéficiant d’une composition plus saine et de méthodes de productions plus durables 

Ténébrion meunier ou Tenebrio Molitor
Crédit: J.Touroult - Ténébrion Meunier ou "Tenebrio Molitor"

 

Dans un contexte mondial d’accroissement de la population et des besoins alimentaires, il apparaît dès lors important de se poser la question, à savoir, si les insectes pourront participer à la diminution de la faim dans le monde tout en garantissant la protection des ressources de notre planète ? 

 

Les projections de la demande alimentaire mondiale 

Selon les prévisions démographiques des Nations Unies, la population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards d'habitants d'ici 2050, puis atteindre 11,2 milliards d'habitants d'ici 2100. Cette croissance démographique devrait entraîner une augmentation de la demande alimentaire mondiale, estimée à plus de 50% d'ici 2050. Cette augmentation de la demande alimentaire devrait également être accompagnée d'une augmentation de la demande de protéines.

D’après les projections établies dans le rapport 2022 de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) sur « la sécurité alimentaire et la nutrition dans le monde », près de « 670 millions de personnes souffriront encore de la faim en 2030, soit 8 % de la population mondiale ». Ce même rapport souligne que, parmi les principaux facteurs d’insécurité alimentaire et de malnutrition, se mêlent « les conflits, les phénomènes climatiques extrêmes, les chocs économiques et l’accroissement des inégalités ».

 

Que représente le marché de la consommation d’insectes et en quoi ces derniers sont-ils une alternative sérieuse à la consommation de protéines animales ?

Ténébrion meunier ou Tenebrio Molitor
Crédit: Pexels - Larves de Ténébrion meunier

 

En tant qu’ingénieure agronome au service de l’Homme et engagée pour la protection de la planète, Marie souhaite répondre à une problématique existentielle majeure : « Comment va-t-on nourrir la planète dans 50 ans ? »

Le marché de la consommation d'insectes est encore relativement nouveau bien qu'en constante expansion ces dernières années. Les insectes comestibles sont considérés comme une source de protéines durable et respectueuse de l'environnement, puisque les cultiver de manière efficace implique peu de ressources tels que l’eau et l’espace.

Selon un rapport de marché de Meticulous Research, le marché mondial des insectes comestibles était estimé à 406,9 millions de dollars en 2020, et devrait atteindre 1,336,5 millions de dollars d'ici 2028, avec un taux de croissance annuel composé (CAGR) de 16,4% au cours de la période de prévision de 2021 à 2028.

Ce marché est principalement stimulé par l'augmentation de la demande de sources de protéines alternatives, ainsi que par la croissance de l'industrie alimentaire et de la restauration qui cherchent à offrir des options de menus plus durables et écologiques. Cependant, certains défis doivent encore être relevés pour faciliter l'adoption à grande échelle des insectes comestibles, notamment les réglementations et les normes sanitaires, ainsi que les préoccupations des consommateurs en matière de sécurité alimentaire et d'allergies.

Les insectes sont source de protéines de haute qualité, d'acides gras essentiels, de vitamines et de minéraux et se posent par conséquent comme une alternative nutritive sérieuse face à la viande.

 

Quels sont les impacts de la production de protéines animales VS la production d’insectes ?

Boeufs
Crédit: Unsplash

 

La production de viande et la production d'insectes présentent plusieurs différences significatives en termes d'impact environnemental, de ressources nécessaires et de processus de production.

 

Impact environnemental : La production de viande est souvent associée à un impact environnemental important, notamment en raison de l'utilisation de terres, de quantités d'eau importantes, de ressources alimentaires pour l'élevage des animaux, mais aussi des déchets générés, ainsi que de la production de gaz à effet de serre, responsable du réchauffement de la planète. A l’inverse, la production d'insectes nécessite beaucoup moins d'eau et d'espace, et génère moins de gaz à effet de serre et de déchets.

 

Ressources nécessaires : La production de viande nécessite beaucoup plus de ressources que la production d'insectes. Par exemple, pour produire un kilogramme de bœuf, il faut environ 15 000 litres d'eau, tandis que la production d'insectes nécessite en moyenne seulement 1 litre d'eau par kilogramme d'insectes.

 

Processus de production : La production de viande implique souvent l'élevage intensif d'animaux, ce qui peut poser des problèmes de bien-être animal et nécessiter l'utilisation de médicaments pour prévenir les maladies. En revanche, la production d'insectes peut être réalisée de manière plus durable et avec moins d'interventions humaines, car les insectes sont souvent élevés en grande quantité dans des conditions contrôlées.

 

Yné ecoprotein – une entreprise colombienne qui souhaite révolutionner le marché de l’alimentation saine

Barres protéinées Yné ecoprotein

 

En 2014 Marie part 6 mois en échange universitaire sur l’île de Bornéo en Malaisie. Elle y découvre la consommation quotidienne d’insectes. En effet, plusieurs pays dans le monde ont une longue tradition de consommation d'insectes et ces derniers font souvent partie de la culture alimentaire locale. Parmi les pays où la consommation d’insectes est la plus importante dans le monde se trouvent le Mexique, la Thaïlande, la Chine, l’Afrique et l’Amérique du Sud.

 

 J’ai eu le déclic pour monter ma boîte à partir de là. Je voulais développer une source de protéines alternative, durable et respectueuse de l'environnement 

En 2018 il est question de définir un pays pour implanter Yné ecoprotein. Après avoir écarté la France, le Mexique, le Chili et le Pérou, c’est en Colombie que les deux associés se lancent dans l’aventure. La Colombie est notamment connue pour sa consommation locale de « hormigas culonas » ou fourmis à gros cul, dans la région de Santander.

Les partenaires partent s’installer à Medellin et montent leurs élevages de « Tenebrio Molitor » à partir desquels ils produiront de la naï de farine qui servira elle-même à la fabrication de produits protéinés sains et durables.

La Colombie et plus particulièrement Medellin, apparaît comme un territoire idéal pour élever les larves de coléoptères. La ville bénéficie à l’année d’une température de 26° avec 70% d’humidité, conditions parfaites à la reproduction.

 

Marie, pourrais-tu nous expliquer pas à pas comment l’élevage des larves s’est mis en place ?

Nous avons commencé petit. J’ai d’abord acheté 1000 larves que j’ai mises dans un bac, avec en guise de nourriture, du son de blé, de l’écorce de blé et des carottes, pas d’eau et listo !

Les larves se sont nourries durant 3 mois et se sont transformées ensuite en gros scarabées noirs qui ont à leur tour pondu des œufs.

Ces derniers se sont développés par la suite en larves, faisant perdurer le cycle naturel de reproduction.

4 mois plus tard, nous nous sommes retrouvés avec 50 fois plus de larves à nourrir.

Le processus reste relativement simple. Il faut un peu d’espace pour les bacs d’élevage, il n’y a pas de gaspillage dans la nourriture apportée aux larves et nous n’avons pas besoin d’eau. Les plus grosses contraintes résident dans le contrôle de la mortalité des larves ainsi que le tri des larves mâles et des larves femelles, puisque ce sont bien ces dernières dont nous avons besoin.

 

Stockage larves de ténébrion meunier

 

Comment passe-t-on de l’étape de production des insectes à celle de l’obtention de la farine d'insectes ?

L’objectif de l’élevage d’insectes est de produire de la farine ou plutôt de la naï de farine. Pour cela il faut euthanasier dans un premier temps les coléoptères. Nous avons opté pour la congélation car elle représente la méthode la moins douloureuse pour endormir définitivement les insectes. Nous avons ensuite transporté les insectes congelés dans une usine de séchage de noix de coco dans laquelle nous avons procédé à une décongélation suivie d’un « blanchiment ». Ce processus de stérilisation consiste à plonger les insectes dans l’eau bouillante pendant 5 min.

Une fois toutes bactéries détruites, il faut sécher les scarabées à basse température (80°), l’objectif étant de conserver l’ensemble des bonnes propriétés de la protéine.

La dernière étape consiste à broyer dans un moulin les insectes séchés afin de récolter la naï de farine, source de protéine 3 fois plus importante que la viande.

 

Marie Colombier co-fondatrice de Yné ecoprotein

 

Qu’avez-vous ensuite fait de votre récolte de farine d’insectes ?

Nous sommes passés à l’étape de la commercialisation.

Nous cherchions à fabriquer et commercialiser des produits à base de notre farine d’insecte. Nous nous sommes demandé qui aurait le plus grand intérêt nutritionnel à consommer nos produits, sources importantes de protéines. Notre cœur de cible s’est orienté sur les sportifs, les personnes âgées, les enfants et les végétariens.

A la création de Yné ecoprotein nous n’étions que deux, Antoine et moi. Antoine étant très sportif, nous nous sommes intéressés tout particulièrement à la nutrition au sein du marché du sport.

Nous avons eu l’idée de développer des barres protéinées à base de farine d’insectes à destination des sportifs. Nous avons ensuite démarché les différents acteurs du marché du sport en Colombie.

Decathlon, installé en Colombie depuis 5 ans et se posant comme l’un des leaders mondiaux sur le marché du sport, s’est présenté comme premier partenaire de Yné ecoprotein. Nous avons référencé nos barres protéinées dans différents magasins de l’enseigne française, mais aussi chez Bodytech, une chaîne de salles de sport en Colombie, chez Sol Verde, une boutique en ligne spécialisée dans les produits naturels, ainsi que Tiendas en Forma, magasins spécialisés dans la nutrition des sportifs.

 

Barres protéinées Yné ecoprotein

 

Comment s’est déroulée toute cette phase de commercialisation ?

Avec les années, l’entreprise a grandi et nous avons pu embaucher 2 personnes, une responsable de l’élevage des insectes et une autre personne responsable de la communication, du marketing et de la logistique.

Après un an et demi de ventes, nous avons dû nous rendre à l’évidence, les résultats n’étaient pas à la hauteur de nos objectifs. Nous arrivions à maintenir nos ventes, notamment grâce à Decathlon qui représentait 75% de notre chiffre d’affaires, mais nous n’arrivions pas à les faire progresser pour atteindre notre seuil nécessaire de rentabilité. Plusieurs explications à cela : en plus d'avoir commis des erreurs, nous avons souffert, entre autres, d’un manque d’éducation en Colombie sur des sujets tels que la nutrition, le tout associé à un contexte politique et monétaire instable. Nos propres ressources étant elles-mêmes limitées nous avons pris la raisonnable décision, après 4 années de travail acharné, de revendre ou de fermer notre structure et de rentrer en France.

 

Comment qualifierais-tu ton expérience de jeune entrepreneuse française en Colombie ?

Nous n’avons pas réussi à trouver de repreneurs ces derniers mois, par conséquent nous fermons notre structure Yné ecoprotein. Certains iront à penser qu’il s’agit d’un échec mais je ne le vois pas comme ça. Oui c’est dur, mais à mon âge, 29 ans, quand je regarde ce que j’ai accompli ces dernières années avec Antoine, c’est plutôt un sentiment de fierté que nous ressentons. J’ai grandi professionnellement et humainement et mes convictions sur l’avenir de notre alimentation n’ont pas changé. J’ai aussi beaucoup appris des Colombiens et de leur culture si chaleureuse. Nous avons aussi eu la chance, Antoine et moi, de nous faire aider par les équipes de la CCI de Bogota. Je me rends compte à quel point le réseau français à l’étranger est puissant et indispensable pour accompagner, conseiller des jeunes comme nous à entreprendre.

 

Que dirais-tu aux jeunes qui comme toi souhaitent entreprendre ?

Je ne leur mentirais pas. Je leur dirais que c’est dur, surtout les premières années. Mais j’insisterais sur l’incroyable richesse que l’expérience d’entrepreneur procure. En terme de qualités requises pour entreprendre, je pense il faut entre autres faire preuve d’humilité et de persévérance. Vivre cette expérience avec un associé est aussi selon moi un véritable atout. On dit souvent "seul on va plus vite mais à deux on va plus loin". C’est exactement le ressenti que j’ai envers mon partenaire Antoine. Ensemble on s’est motivés, entraidés, confrontés, nous avons évolué, appris et nous avons aussi beaucoup ri. Ces années d'entrepreneuriat en Colombie resteront gravées comme une expérience unique et fantastique.

 

Retrouvez aussi l'aventure entrepreneuriale de Marie Colombier sur son blog "The Bug Trotters"

Marie Colombier co-fondatrice de Yné ecoprotein

 

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