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Yann Sudret, soldat vagabond sous l’ombrelle française

Yann sudret BirmanieYann sudret Birmanie
Écrit par Inès de Belsunce
Publié le 9 septembre 2018, mis à jour le 10 septembre 2018

“Mon père s’est battu en Mauritanie, mon grand-père a fait la deuxième guerre mondiale, et son père la première” dit Yann Sudret. Chez lui, on est militaire de père en fils, depuis six générations. Le look et l’attitude sont là : la coupe rase, le corps musclé, la mâchoire marquée, la peau burinée, la blague facile et la voix forte. Pourtant se dénote également dans ses yeux et son langage quelque chose d'autre, de plus subtile, de plus doux, un humanisme que les 'non-militaires' n'associent pas forcément à ceux dont la virilité est marquée par le port des armes et le commandement des hommes.

Au commencement, loin de la discipline militaire, il y a un enfant du sable. Le passeport est français, mais les premières odeurs sont celles d’une Afrique désertique et musulmane. Lorsque Yann naît dans le Périgord, ses parents sont expatriés à Nouakchott en Mauritanie, coincés entre le Mali, le Sahara et l’Océan, c’est le prélude d’”une appétence naturelle à bouger”. L’adolescence se déroule en Allemagne, un pays qui le marque, “où les gens sont conscients d’appartenir à une communauté”.

Son ambition militaire ramène Yann au pays, à Nancy, à 18 ans, pour deux ans d’Hypokhâgne / Khâgne. Puis vient le concours de St Cyr et une position d’officier sous contrat, et enfin le concours interne pour intégrer l’école militaire interarmes : sorti de la promo dans le peloton de tête, ce sera les troupes de marine. 32 ans plus tard, lorsque le militaire parle de l’armée “à la fois une famille, une éducation et le culte de transmettre son expérience”, ce n’est pas tant la France qui ressort, mais la méritocratie du système : “chaque étape est un concours, arrivé en haut il y a peu de place pour l’imposture […] c’est un ascenseur social avéré”. Lors de sa cérémonie d’adieu aux armes le 14 juillet 2015, l’armée parle de lui dans le communiqué officiel de l’ambassade de France en Afghanistan, faisant l’éloge d’une vie de soldat : “le Lieutenant-colonel Yann Sudret s’apprête à quitter le service actif. Une cérémonie (…) s’est déroulée le 14 juillet 2015 (…) afin de mettre à l’honneur le soldat et le serviteur de la Nation qui s’est brillamment illustré (…). Officier des Troupes de Marine toujours enthousiaste et exemplaire."

“Enthousiaste” incontestablement, car au service du drapeau français, au-delà de son statut de militaire, Yann devient nomade professionnel. “Ce n’est pas prévu d’arrêter de voyager, car chaque nouvelle mission est une réinvention de soi” dit-il. La France dans sa vie d’adulte a le goût des vacances au Pastis, et l’odeur du fromage ; douce terre loin de l’Océan Indien ; paisible patrie loin des troubles de l’Afghanistan, de l’Ethiopie ou du Congo. Il se définit comme “hors sols” et celui qui a énormément travaillé dans la formation de troupes étrangères dit avec humilité que des années d’expat ne suffisent pas pour prétendre comprendre réellement une autre culture dans tout ce qu’elle comporte. Les voyages se cumulent, et ses expatriations se déclinent en cycles à trois temps : découverte, remise en cause, puis lassitude. Il dit qu’il faut partir avant que la fatigue ne mène au ressentiment. Il dit que ne jamais revenir aux mêmes endroits permet de ne pas vivre avec “l’attente illusoire de retrouver la même chose, de penser que les choses étaient mieux avant. Son exemplarité a trait au plus marquant de son discours, l’humanisme. En effet, de toutes ses missions, de tous ses voyages, de tous les conflits, il retient que l’humain et sa morale sont au centre de tout, “les valeurs morales comme définition de l’homme”. Yann est intimement convaincu que c’est important d’”être des hommes de bien avec le sens du juste”, pas de peccadilles. 

D’avoir tant aimé l’armée française, décrite comme “une vie, un don de soi et un sens du bien commun qu’aucune entreprise ne peut créer”, ancré dans la justice et l’honnêteté intellectuelle, ressent-il une communauté d’esprit avec des armées au service de pouvoirs dictatoriaux ? Non, car s’il rappelle le rôle historique de l’armée française dans l’unification du territoire et des luttes armées des royaumes, l’armée française est maintenant au service des peuples et de la démocratie, pas d’un pouvoir autoritaire.

La Birmanie est d’ailleurs un hasard – et une compagne. Après l’Afghanistan, entre son âge et son grade, l’armée voulait que le Lieutenant-Colonel aille vers les états-majors, mais Yann préfère le terrain et prévoit de poser le sac et de partir en Somalie. Tout ça, c'était avant qu'il ne rencontre sa femme, membre du corps diplomatique français à Kaboul. Il la suivra désormais et ce sera la Birmanie, “des vacances par rapport à l‘Afghanistan”. Il est positif quant à l’évolution possible du pays mais lucide sur les difficultés, parle du dégel démocratique birman en regrettant l’inévitable effacement partiel de la culture, conséquence d’une ouverture au monde relativement brutale : “Les fondamentaux étant effacés par la dictature, il faut rebâtir dans tous les domaines de savoir, beaucoup réinventer dans un pays durablement déstabilisé”. Il dit avoir rarement vu un pays avec un esprit analytique aussi endommagé et trouve que la Birmanie, à la différence d’autres dictatures, est restée fort indisciplinée. Enfin, comme il le dit des troupes Afghanes en 2012 : “Leur avenir leur appartient”

Comme la Birmanie, Yann est à une période de transition, entre deux périodes de sa vie, après l’armée et avant la retraite, une vie plus calme et plus éclectique, le temps de remplir ce qu’il considère sa plus grande mission : enseigner ses valeurs. Quand on a tant vu, et que l’on retourne à l’homme, il ne reste finalement que cela, dit-il, “transmettre”. Alors, passé dans le privé, Yann continue de partager son savoir - tant sur des sujets pointus de sécurité que sur les bases de la forme physique - aux locaux et aux jeunes qui travaillent sous son égide au sein d’Exera, une entreprise de sécurité. Pour ceux qui le croiseront à Yangon, un pastis à la main, saisissez cette chance et écoutez ses histoires, autant de leçons apprises, de la vie d’un vagabond sous le drapeau français. 

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Publié le 9 septembre 2018, mis à jour le 10 septembre 2018

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