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Un voyage différent vers les collines Chin (1/4)

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Écrit par Martin Michalon
Publié le 16 novembre 2017, mis à jour le 16 novembre 2017

Du temps libre, une moto, une vilaine carte routière bourrée d’approximations, quelques mots de birman, et une envie de divaguer dans ce pays que j’aime tant, de suivre une route et de voir où elle pourra bien me mener : c’est parti.

Il est 6 heures du matin quand je quitte Monywa, une de ces grandes villes typiques de Birmanie Centrale. Capitale de quelque ancien royaume fabuleux, elle a dû avoir du charme dans un passé pas bien lointain, mais c’est aujourd’hui une vaste flaque de maisons sans relief, débitée par une poignée d’artères trop pleines le jour et trop vides la nuit, hachée par les hautes façades de plastique coloré de quelques banques et magasins neufs: une ville trop ample, insaisissable. 

Ma destination aujourd’hui : la ville de Kalay, au pied des collines Chin, par une route confuse que ma carte indique sans trop y croire. Je traverse la Chindwin sur l’interminable pont Cantilever qui enjambe ses eaux froides, fumantes de brume. Encore l’une de ces rivières qui méandre dans mon imaginaire géographique, évoquant la tragique débâcle britannique de 1942 et, en amont, les magnétiques collines Naga : l’un de ces cours d’eau qui vous amènent au bout d’un monde. 

Je prends à droite, dans la lumière dorée de l’aube qui ravive les silhouettes élancées des palmiers, découpe l’étroit ruban d’asphalte, joue sur les parterres de feuilles de teck brunes et énormes, sonores comme des tapis d’assiettes brisées, et anime jusqu’à la fine poussière du bas-côté. Là, revenant de la rivière, un attelage dodelinant de buffles tire l’une de ces délicieuses charrettes à fines roues de bois. Sur le châssis rustique est assis un vieux au longyi passé, chapeau de bambou sur la tête, cigare au coin des lèvres, appuyé à une colossale barrique d’eau en bois sombre, patinée comme un coffre de pirate. L’attelage grince vers quelques cabanes ; les toits sont faits de feuilles de teck sèches, cousues entre elles par un fil de bambou : ici, la vie est difficile, effort quotidien contre la sécheresse et la pauvreté des sols.

Crédit: Martin Michalon

La route s’élève progressivement ; les champs et les pâturages cèdent la place à des forêts aux tendres couleurs d’automne. Ici, dans ces collines de la division de Sagaing, la déforestation va bon train ; certains vallons semblent avoir été parcourus par un ouragan : ne restent plus que des souches, des branches, quelques arbustes trop malingres. Camions de bûcherons : sur chaque plateau, trois troncs de teck gigantesques, arrimés par de massives chaînes que l’on sent pourtant mises à l’épreuve par ce bois serré, dense, dur comme fer ; les essieux gémissent ; les moteurs chauffent, crachent noir, hurlent dans les lacets. Dans cette bataille, même la route souffre : le passage des roues a tassé la chaussée en longues dépressions parallèles, dessinant au milieu un long dos de baleine de goudron gris et craquelé. 

La route, qui avait débuté en un agréable ruban bien noir, s’était ensuite dégradée en mauvaise chaussée râpée, lépreuse, faite de nids de poule entre lesquels l’asphalte n’était plus qu’une mince dentelle. Voilà que cette dernière a maintenant totalement disparu, et je fends un lit de poussière farineuse. De temps en temps, comme posé là par inadvertance, comme un mirage, un large pont bétonné flambant neuf qui enjambe une rivière, et cinq cents mètres de route soyeuse de part et d’autre, avant le retour hébété à la poussière et aux rocailles.

Dans ces collines plâtrées de poussière, personne, à part une ou deux motos garées sur un bas-côté, une poignée de vaches et quelques paysans, pioche sur l’épaule, silhouettes indistinctes dans la lumière aveuglante. A un petit col écrasé de chaleur, vue surréaliste d’une cahute de bambou où un moine et deux vieillards collectent auprès des rares passants quelque donation pour construire une hypothétique pagode. Assis confortablement sur une natte, une couverture pliée dans un coin, le thermos de thé fumant, le bol de graines de tournesol bien plein, une radio grésillante dans un coin, ils attendent dans une enviable torpeur.

Crédit: Martin Michalon

Après des heures de bataille dans la poussière, je bascule dans une ravissante petite vallée, nappée de champs de tournesol éclatants, ponctuée de villages et de troupeaux. Endormi le long d’un méandre de la rivière, un hameau dans son bosquet de palmiers : pagode récemment repeinte, monastère ceint d’un mur bleu frais, pépiements qui s’échappent de l’école, potagers vert tendre, toits de chaume, vache assoupie sous une maison, boutique en bois ensevelie sous la glycine couleur lilas : délicieux.

Enfin me voilà sur l’élégant pont suspendu qui me fait retraverser la Chindwin, au débouché des gorges raides et couvertes d’une végétation écarlate. A bord d’un minuscule canoë, un pêcheur traverse les eaux vertes en silence. Je suis presque arrivé à destination. Cette piste rude, âpre et inconnue, sinuant sans fin au milieu des collines de Sagaing, fut néanmoins splendide. L’espace d’une journée, je me suis perdu, éclipsé de la carte pour me retrouver au cœur de quelque chose de grand et de beau.

 

 

 

 

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Publié le 16 novembre 2017, mis à jour le 16 novembre 2017

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