Plus de 40 civils morts dans des explosions de mines depuis janvier

Ko Pan Aung Chay, un habitant d’un village proche de Kyauktaw, dans le nord de l’Arakan, se rendait vers les collines qui surplombent sa maison afin de couper des bambous lorsqu’il a heurté une mine anti-personnel. « J’avais à peine marché 10 mn lorsque j’ai déclenché le mécanisme. Après, j’étais inconscient. Des fragments ont touché ma jambe et mon œil, j’ai perdu les deux », raconte-t-il. Une catastrophe humaine qui n’est malheureusement pas isolée : selon U Win Naing Tun, à la tête de la Direction de la Réinstallation au ministère de la Protection sociale, du Secours et de la Réinstallation, 168 personnes ont été victimes d’explosions de mines pendant les neuf premiers mois de l’année 2019, dont 42 sont mortes des suites de leurs blessures et 126 sont aujourd’hui handicapées. Nul n’en est sorti indemne. Des données dramatiquement en hausse par rapport à l’année dernière, durant la totalité de laquelle 159 explosions ont tué 23 personnes et blesses 136.
Dans un propos lénifiant, le Lieutenant-colonel Aye Win, du ministère de la Défense, affirme que cette terrible situation s’explique par « l’histoire du pays, qui a été un champ de bataille pendant la deuxième guerre mondiale et jusqu’en 1948, ce qui a laissé pleins d’engins potentiellement explosifs dans tout le pays. On trouve des mines partout en Birmanie ». Une « explication » qui ne tient guère face aux chiffres des victimes : 46% se situent dans l’état de Shan, 24% dans celui d’Arakan, 18% dans celui de Kachin, soit 88% dans les trois principales zones de guerre civile actuelles où s’affrontent armée régulière birmane (la Tatmadaw) et mouvements combattants rebelles. Et tous ces acteurs ont un usage ample et irresponsable des mines anti-personnel, tout en utilisant avec force hypocrisie la propagande pour couvrir leurs méfaits.
C’est ainsi que le 25 octobre dernier, l’Armée de l’Arakan (AA) a rendu publique une « lettre d’avertissement » alertant les populations locales sur les risques de mines près des écoles et des monastères et affirmant que les engins avaient été poses par l’armée régulière qui utilisent actuellement ces lieux comme casernes. Et l’AA de compléter sa propagande avec des photos de soldats et de cantonnement… Ce à quoi la Tatmadaw réplique en accusant l’AA de disséminer des mines dans toutes les zones d’affrontements de l’Arakan. Le centre de communication de l’armée affirme que ces mines ont récemment tué 7 personnes et blessés 19 autres. Depuis plusieurs mois, les affrontements entre les deux parties se sont intensifiés, avec de lourdes pertes de part et d’autre.
U Khaing Kaung San, directeur de la Wan Lark Foundation, une ONG arakanaise luttant pour la paix, estime que des programmes d’information sur les risques des mines sont absolument nécessaires aujourd’hui, et qu’il est dans l’intérêt de tous que le gouvernement les développe et laisse les ONG travailler librement. Dans l’Arakan, le Comité international de la Croix-Rouge a mis en place quelques ateliers de sensibilisation aux risques, et le ministère de l’Education essaie de former les enseignants aux dangers des mines, mais tout cela reste à trop petite échelle et surtout mal ciblé, trop loin des zones de conflits où cette sensibilisation est la plus urgente, estime U Khaing Kaung San. Zones de conflits dont l’accès est limité ou interdit par l’armée, officiellement pour des raisons de sécurité et officieusement pour limiter les informations sur ce qui se passe exactement dans ces lieux, où au moins 80 civils sont morts des mines ou des balles perdues, et plus de 130 ont été blessés. Les familles de certaines victimes déclarant « qu’elles ignoraient qui avait déposé les mines mais que les balles perdues venaient de la Tatmadaw ».
Stefano Toscano, directeur du Centre international de déminage humanitaire, rappelle que partout dans le monde la crainte des mines limite les agriculteurs dans leurs défrichements et leurs labours, ou le développement d’infrastructures essentielles comme des puits, des écoles ou des hôpitaux car les ouvriers compétents refusent de travailler dans des zones à risque.
Depuis 2017, le gouvernement birman a distribué environ 100 millions de kyats (environ 60 000 euros) à 535 blessés par des mines, affirme le ministère de la Protection sociale, du Secours et de la Réinstallation.