La prison d’Insein… Les deux journalistes de Reuters Wa Lone et Kyaw Soe Oo condamnés pour possession de documents relevant du secret d’état y séjournent actuellement ; les Britanniques y ont enfermé U Nu, Aung San Suu Kyi y est passée, bien des participants du mouvement populaire du 8 août 1988 ou des protestations de 2007 y ont été incarcérés... faisant de cette prison un symbole des difficultés de liberté d’expression en Birmanie.
“Je passais 23 heures par jour dans ma cellule ; je n’avais le droit de sortir que trois fois par jour, 20 minutes à chaque fois. Je n’ai pas reçu de torture physique mais rester autant de temps dans sa cellule sans rien avoir pour lire ou écrire, c’est de la torture mentale.” U Kyaw Soe Win, 6 ans de détention. “Si on avait un bon géôlier en chef, la vie n’était pas trop mal, mais si on en avait un mauvais, c’était un enfer. Je ne me souviens pas du nom de celui qui était en charge quand je suis arrivé, mais je peux vous assurer que je ne vais jamais oublier son visage.” Ko Letyar Tun, 18 ans de détention. “Après ma libération, j’ai dû subir des opérations pour retirer les calculs biliaires qui se sont formés à cause de l’eau terriblement sale de la prison. J’ai aussi eu la tuberculose et je dois encore prendre un certain nombre de médicaments en lien avec ma période d’emprisonnement. […] Il n’y avait aucun respect pour les droits de l’Homme. Nous avions même du mal à trouver un endroit où uriner. “U Tun Kyi, 7 ans de détention.
La prison d’Insein a été construite par les Britanniques en 1887 en réponse à la surpopulation de la prison centrale de Yangon. Insein est un quartier situé dans le nord-ouest de Yangon. La prison qui y a été construite a la forme d’un panoptique, une géométrie conçue pour une surveillance permanente. Cette architecture a été théorisée par Jeremy Bentham avant que Michel Foucault n’en explique les avantages dans Surveiller et Punir : un seul garde, dans une tour au centre de la prison, peut voir chacun des prisonniers sans être vu. Pour les détenus, cela signifie une totale absence de liberté de mouvement, ils sont paralysés par la crainte d’être observés. Ajoutons une totale absence d’hygiène et la pratique régulière de la torture pour compléter le portrait.
Depuis le 12 décembre 2017, deux prisonniers de la prison d’Insein ont fait les Unes de journaux dans le monde entier. Wa Lone et Kyaw Soe Oo sont deux journalistes de Reuters arrêtés en possession de documents considérés comme confidentiels dans le cadre de leur enquête sur le massacre de 10 musulmans Rohingyas dans l’état de Rakhine et condamnés pour atteinte au secret d’état. En dehors du tribunal, ils ont confié aux journalistes avoir été interrogés toutes les deux heures durant les trois jours ayant suivi leur arrestation. A aucun moment ils n’ont été détenus dans un banal poste de police. Khin Maung Zaw, avocat de la défense, parle de “torture physique et mentale.”
Des mutineries ont eu lieu parmi les prisonniers pour s’opposer à ces conditions de vie mais aucune n’a eu les résultats escomptés. Les prisonniers demandaient plus d’hygiène et des droits de visite pour les familles. En 1991 et en 2011 notamment, des grèves de la faim ont été lancées parmi les détenus : elles n’ont abouti qu’à plus de tortures et en détention dans des cellules encore plus confinées. Un autre fléau persistant est celui de la corruption. Les plus riches jouissent de bien plus de droits que les plus pauvres. “Les prisonniers politiques étaient maltraités mais ceux qui soudoyaient les gardes avaient des privilèges… Ils pouvaient bien manger et même boire de l’alcool. Il n’y avait pas d’égalité. Certains détenus venaient de zones rurales et n’étaient pas autorisés à recevoir des visites de leurs familles. Ceux qui n’avaient pas d’argent pour acheter les gardes étaient battus” raconte U Tun Kyi, prisonnier politique de 1989 à 1996. Les paiements se faisaient en sachet de café pour les petites faveurs et en argent liquide pour les grands arrangements comme le transfert dans un lit d’hôpital plus confortable, une entrevue avec des membres de sa famille ou même pour acheter le silence des gardes lorsque les prisonniers ne veulent pas travailler dans le camp.
Des améliorations ont été apportées. Depuis 1998, une bibliothèque a ouvert, comptant à présent plus de 12 000 ouvrages de fiction, d’histoire ou de développement personnel. Chaque mois, un donateur offre 250 000 kyats afin d’acheter de nouveaux livres. La Fondation Daw Khin Kyi délivre également 100 nouveaux livres chaque mois en échange des anciens qu’elle récupère. En leur proposant cette offre culturelle, Insein permet à ses prisonniers de "s’évader" un peu mais aussi de leur donner de nouvelles perspectives de vie et, souvent, de les apaiser. Des espaces ont aussi été mis en place pour permettre aux détenus de regarder la télévision. En outre, un centre de méditation a été ouvert afin que chacun puisse pratiquer sa religion en paix. Les prisonniers peuvent également suivre des cours. Pour la première fois, en 2010, deux d’entre eux ont ainsi passé l’équivalent du Baccalauréat avec succès. En 2017, 34 détenus se sont présentés et 19 l’ont réussi. Certains espèrent même entrer à l’université après avoir purgé leur peine. Pour autant, le chemin est encore long. “Les prisonniers sont des êtres humains ; ils doivent avoir suffisamment d’espace, de nourriture et de médicaments. Ils ne doivent pas être déshumanisés. Le gouvernement est responsable de ça” revendique U Bo Kyi, ancien prisonnier politique et fondateur de l’Association pour l’Assistance aux Prisonniers Politiques (Birmanie) (Assistance Association for Political Prisoners, AAPP). Il demande des réformes au plus vite afin de réduire la population dans les prisons : cela passe par des procès justes et donc une réforme également des systèmes judiciaires et de police.
Écrit par Marie-Sophie Villin
Publié le 21 octobre 2018
Publié le 21 octobre 2018, mis à jour le 21 octobre 2018
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