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Inya Art Gallery, au cœur de l’art birman

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Écrit par Marie-Sophie Villin
Publié le 24 mai 2018, mis à jour le 24 mai 2018

Loin du tumulte des galeries d’art du marché Bogyoke ou de la rue Pansodan, la Inya Art Gallery offre au visiteur qui ose s’y aventurer une expérience artistique unique. 

Lorsque j’ai parlé de cette galerie à un ami artiste, il a tout de suite été enthousiaste et a voulu m’accompagner. "Nous allons rencontrer une légende," me dit-il en parlant d’Aung Myint, l’artiste fondateur de la galerie. Me voilà prévenue. Un coup de fil pour s’assurer qu’il sera bien là lors de notre passage, et nous voilà partis.

La première étape n’est pas des moindres, il faut trouver la galerie. L’adresse indiquée sur Google Maps, près du lac Inya, n’est pas la bonne. Après avoir demandé des indications à plusieurs personnes sans succès, et essayé de nous y retrouver dans l’illogique suite des numéros de maisons, nous tombons enfin sur un garde qui connait la galerie. Quelques rues et un chantier plus loin, nous y sommes enfin. Trois femmes se tiennent devant la porte, comme si nous étions attendus. Nous enlevons nos chaussures : en plus d’être une galerie, il s’agit de la résidence d’Aung Myint, nous sommes chez lui. L’intérieur est rempli de toiles, posées contre les murs. Plusieurs personnes s’affairent, à notre arrivée, à entreposer les toiles de manière à ce que nous puissions en avoir le meilleur aperçu. C’est comme si une exposition était construite, là, sous nos yeux. Comme si elle était repliée au départ des visiteurs, et remise en place au suivant, dans un curieux ballet.
Aung Myint est là. Son visage est émacié et son longyi qu’il semble ne jamais quitter ne cache pas le poids des années que son corps porte. Il se déplace néanmoins aisément entre les toiles et va même nous chercher plusieurs petites sculptures qu’il nous tend. Son anglais n’est pas parfait, la communication est un peu laborieuse, mais nous arrivons à nous comprendre.

Aung Myint est né en 1946. Il sort diplômé de l’université des sciences et arts de Yangon en psychologie en 1968. C’est tout seul qu’il s’initie à l’art, faisant fi de la censure gouvernementale. Il commence à exposer dans les années soixante, puis fonde la Inya Art Gallery en 1989. Ses œuvres sont exposées à travers le monde, notamment au musée d’art de Singapour, au musée Solomon R. Guggenheim de New-York, au musée d’art de Fukuoka au Japon, à la Galerie d’art nationale de Malaisie, et dans diverses collections privées. Mon ami est impressionné et déborde de questions sur les techniques qu’il utilise. Je les laisse discuter en tendant l’oreille, et découvre les différentes œuvres éparpillées dans la pièce. Les toiles sont imposantes ; même posées au sol elles paraissent majestueuses. Le style d’Aung Myint est moderne, minimaliste, abstrait, non-représentatif. Il utilise différents objets que nous voyons trainer au sol comme des cuillères à soupe ou des cartons de papier toilette pour créer des formes sur ses toiles, qu’il répète sur toute la surface. On y devine l’inspiration : les arrondis et les spirales viennent de l’alphabet birman. Il ne semble utiliser que du rouge, du noir, ou du blanc. Une série de toiles plus petites est également présentée. La novice en art birman que je suis est intriguée par ce trait noir qui à force de courbes et de boucles crée la forme d’une femme tenant un enfant dans les bras. Mon ami s’extasie : il s’agit de la série "Mother and Child", la mère et l’enfant, qui a notamment remporté le prix du choix du jury au ASEAN Art Award à Bali en 2017. Aung Myint ne nous le dit pas, mais ces toiles seraient inspirées du décès de sa mère alors qu’il n’était qu’un enfant. Il nous explique qu’il n’y a là que ses toiles les plus récentes. Les autres sont vendues depuis longtemps. C’est dommage certes, nous n’avons accès qu’à deux de ses soixante années d’art, mais au moins nous pouvons réellement nous pencher dessus, sans nous perdre dans les multiples styles qui ont marqué sa carrière.

Aux murs sont aussi accrochées des œuvres de quelques-uns de ses amis peintres, aux styles très variés. L’un d’entre eux est présent. Il vient de Mandalay, il n’est à Yangon que pour quelques jours. Il regrette de ne pouvoir nous présenter qu’une seule de ses peintures, mais elle est déjà suffisamment saisissante : Bagan, avec des champs à la Van Gogh. Il semble y avoir encore plus de toiles plus haut, mais c’est l’étage privé de l’artiste, nous ne sommes pas invités à y aller. Avant de repartir, Aung Myint me donne la carte de visite de sa galerie. "Feed your eyes with beauty" :  "Nourrissez vos yeux de beauté". Et c’est réellement éblouis que nous ressortons, sous le regard d’Aung Myint, derrière la moustiquaire de sa porte d’entrée.

Ne venez pas ici si vous cherchez à voir de l’art en quantité et en diversité. Venez ici pour rencontrer un artiste touchant et avant-gardiste et vous ne serez pas déçus.

photo moi
Publié le 24 mai 2018, mis à jour le 24 mai 2018

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