Dans un différend commercial, six cadres de l’entreprise danoise de bière se retrouvent jugés au pénal et non pas au civil. Un dévoiement judiciaire préjudiciable aux investisseurs étrangers.
La question de l’indépendance de la justice et celle de son bon fonctionnement sont deux clefs du développement de l’économie, que ce soit à l’échelle locale ou internationale, avec l’arrivée de capitaux étrangers. Sans confiance, pas de business pour tous sur le long terme. Or, le système judiciaire birman laisse encore beaucoup à désirer, avec notamment un corpus de textes souvent flous et approximatifs, et surtout des décisions juridiques parfois incompréhensibles pour un étranger, par exemple sur ce qui relève des compétences d’un tribunal ou d’un autre. Enfin, certaines décisions sont assez curieuses et sèment le doute sur la totale probité du système. L’affaire qui oppose la filiale locale du géant danois de la bière Carlsberg à l’entreprise locale Myat Hmwei Trading Company est pour cela exemplaire.
Au cœur du conflit, des caisses de bières pour l’équivalent de 600 millions de kyats (environ 360 000 euros) que Myat Hmwei réclame au titre d’une promotion « Achetez-en 3, recevez-en une gratuitement ». Du point de vue de Carlsberg, les caisses n’ont pas à être livrées car les documents fournis par Myat Hmwei sont erronés et se contredisent, entre états comptables, états des ventes, états des livraisons… Les Danois considèrent que l’entreprise birmane cherche à les escroquer en réclamant plus de caisses que ce qui lui est réellement dû. Jusque-là, une simple dispute commerciale qu’en effet seul un juge peut trancher.
L’étonnant est que les poursuites se font sur un plan pénal et non pas commercial, situation inconcevable pour des Européens mais que le juge birman a manifestement accepté. Carlsberg n’a pas manqué de s’inquiéter de cette situation – « il s’agit d’un différend commercial portant sur des sommes dues ou pas, cela devrait être jugé au civil et pas au pénal » - mais sans que cela affecte le tribunal. Du coup, la peine maximale encourue est de sept années de prison ferme. Ensuite, ce sont six cadres supérieurs de Carlsberg qui sont attaqués en même temps, et pas simplement l’entreprise. Ce qui pose la question d’un certain dévoiement du système judiciaire sur un tel cas.
Enfin, trois des cadres accusés ne sont pas birmans et ne parlent pas la langue birmane. Leur avocat a donc demandé qu’ils puissent se faire représenter aux audiences puisqu’ils ne comprennent pas la teneur des débats. Demande rejetée : les 3 accusés devront être présents physiquement. Selon le magistrat, ne pas comprendre les débats n’est pas « une raison solide pour ne pas assister aux audiences ».
La prochaine étape maintenant consiste en une médiation sous les auspices du juge afin de « trouver une solution qui convienne à tout le monde afin de gagner du temps », explique l’avocat de Myat Hmwei. En gros, indépendamment du fond de l’affaire, un différend commercial est devenu une négociation pour éviter de venir à de nombreuses audiences et d’être soumis à une éventuelle peine de prison. Pas sûr que cela attire beaucoup de PME comme investisseurs étrangers…