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Au cœur des montagnes Shan, rencontre avec les Lahu-Shi

Lahu Shi en BirmanieLahu Shi en Birmanie

C’est notre dernière journée de trek dans les montagnes des environs de Kengtung et Tun, notre guide birman, nous l’a assuré, cette dernière randonnée sera la plus difficile mais aussi et surtout, la plus belle. Il est un peu plus de 8h du matin lorsqu’il nous emmène, juste après le petit-déjeuner, dans le second marché de Kengtung. Beaucoup plus petit que le Central Market et aussi plus excentré, ce marché n’en est pas moins plein de charme. Les étals sont toujours aussi généreux et débordent de victuailles en tout genre, des poissons encore frétillants et péchés du matin aux fruits et légumes multicolores. Il y a aussi du riz, des épices, des herbes, du thé, des produits d’hygiène et des stands de petits plats sucrés et salés à déguster sur place sur un minuscule tabouret en plastique ou à emporter. Shampoings, savons, médicaments, biscuits, chaussettes, comme les jours précédents, nous faisons quelques emplettes que nous offrirons dans le village dans lequel nous nous rendons. Nous en profitons aussi pour acheter des bouteilles d’eau et le repas du midi, à savoir des nouilles shans aux cacahuètes.

Comme les jours précédents, nous retrouvons notre souriant et sympathique chauffeur U Paolu. Vingt bonnes minutes de route plus tard, nous arrivons finalement sur le lieu qui marque le départ de notre randonnée du jour. La météo est de notre côté aujourd’hui, le fond de l’air est frais, le soleil ne tape encore trop fort. En levant les yeux, on aperçoit cette brume assez épaisse qui s’accroche encore au sommet des montagnes. C’est là-haut, quelque part dans ces montagnes Shan, que nous allons. C’est là-haut, tout au bout d’un petit chemin boueux et escarpé que se situe le minuscule village des Lahu-Shi.

Tun nous avait prévenu, ce trek allait être plus dur que tous les treks que nous avions déjà fait les jours précédents et comme d’habitude, Tun avait raison… Nous commençons à travers les rizières, recouvertes d’une petite brume matinale légère, puis nous empruntons un petit chemin de terre rouge qui ne cessera jamais de monter… La progression est assez lente (surtout la mienne), et malgré mes efforts, j’ai l’impression de faire ralentir tout le groupe… Les montées sont vraiment très raides et la terre boueuse ne facilite pas la marche. Les chaussures glissent, le pas n’est pas sûr. Au fur et à mesure que nous avançons, le soleil tape de plus en plus fort mais plus nous montons, plus il fait frais et c’est au moins ça de gagné ! Sous nos pas, cette terre rouge pleine de fer contraste avec le bleu du ciel et le vert de la végétation. Nous devons parfois traverser des petites rivières, contourner des éboulements ou des arbres, marcher à flanc de falaises mais le spectacle de cette vue sur les rizières et les villages en contre-bas est absolument superbe. Une petite pause déjeuner s’impose au ¾ de la marche. C’est à l’ombre d’un arbre, au détour d’un virage, que nous nous installons pour savourer notre repas. Les nouilles achetées le matin même au marché réconfortent les corps endoloris par la marche et par ces montées d’enfer qui n’en finissent décidément pas…

Finalement, après un peu moins de 3 longues et pénibles heures de marche, nous apercevons enfin le village des Lahu-Shi. Là-haut, à 1600 mètres d’altitude, accrochées sur la fine ligne de crête de cette montagne, s’alignent une trentaine de petites maisons entièrement construites en bois et sur pilotis.

Lorsque nous atteignons les premières maisons, une dizaine d’enfants en bleu et blanc nous attendent. Certains se baladent les fesses à l’air mais la plupart portent les habits traditionnels de leur ethnie. Tun nous emmène alors sur une petite place et nous présente le chef du village. Nous sommes les seules touristes présentes dans le village, nous ne croiserons personne d’autre ce jour-là. Les enfants, partis alerter le reste du village de notre arrivée, reviennent petit à petit accompagnés de leurs mères, sœurs, tantes, grands-mères. Nous vidons nos sacs et distribuons les quelques produits de première nécessité que nous avons apporté avec nous, à savoir les shampoings, savons, médicaments, pansements et chaussettes ainsi que des petits biscuits secs. Le chef du village nous conseille et nous guide afin que la distribution soit la plus équitable possible et que chacun puisse repartir avec quelque chose. Les enfants nous regardent avec méfiance, certains plus téméraires que les autres esquissent quelques sourires timides alors que d’autres se cachent carrément dans les jupes de leurs mères.

La distribution terminée, le chef nous invite à entrer dans sa maison et là, surprise ! Tous les enfants nous suivent et pénètrent un à un dans la grande pièce à vivre laissant derrière eux un amoncellement de petites tongs en plastique bleues et blanches devant l’entrée. L’intérieur de cette petite maison en bois est très simple, des cranes d’animaux accrochés aux murs, un calendrier, des ustensiles de cuisine et des paniers en osier. Le chef nous invite à nous asseoir par terre et voilà que nous nous retrouvons entourées d’une bonne dizaine d’enfants. Tun en profite pour sortir son téléphone et met en route un dessin animé. Les enfants et le chef du village sont littéralement hypnotisés par les images qui défilent sur le petit écran. Stéphanie ouvre son carnet et commence à y tracer les contours du visage de l’une des jeunes filles Lahu-Shi assise devant elle. C’est la plus âgée de tous les enfants présents dans la petite pièce, elle doit avoir à peine 15 ans. Elle porte un bébé en écharpe mais impossible de savoir si c’est son enfant ou bien si c’est son petit frère ou sa petite sœur. Cette jeune fille, au port de tête digne d’une grande danseuse, est vraiment très belle. Les traits de son visage sont d’une finesse incroyable…

Nous restons un long moment assises dans la pénombre de cette petite maison en bois. Pendant que Stéphanie dessine, nous questionnons Tun et le chef du village sur les us et coutumes des Lahu-Shi. Depuis des générations, les Lahu-Shi vivent dans des villages très reculés dans les montagnes de l’Etat Shan. Ils ne descendent que très occasionnellement dans les villages shans et n’ont que très peu de contact avec les autres ethnies de la région. Originaires des hauts plateaux tibétains, ils vivent aujourd’hui au Myanmar, en Chine, en Thaïlande et au Laos. Ils possèdent leur propre langue, leur propre culture mais ils ne possèdent pas d’écriture propre.

Les Lahu-Shi restent très attachés à leurs traditions et tous les villageois que nous rencontrons portent l’habit traditionnel : un haut blanc, une veste bleue, un longyi ou un pantalon bleu. Les femmes portent également des bracelets et des petits colliers de fibres végétales finement tressées et de larges cylindres en métal en guise de boucles d’oreilles. Les petites filles portent des colliers de perles colorées et les petits garçons ont tous un fin collier de fibres végétales autour du cou. Tun nous confie que ces colliers sont censés éloignés les mauvais esprits de ceux qui les portent. Les enfants, qui ne sont pas scolarisés dans les écoles birmanes, passent leurs journées à jouer avec un rien et à aider les plus âgés dans les tâches quotidiennes. Durant la journée, les hommes partent le plus souvent chasser pendant que les femmes restent au village s’occuper de la couture, de la cuisine ou des récoltes.

En sortant de la maison du chef du village, Céline sort de son sac une petite balle rebondissante orange et l’offre à un petit groupe d’enfants. C’est parti pour une petite séance d’échanges de balle à laquelle je me joins bien volontiers. Les enfants ont les yeux rivés sur la balle orange qui n’arrête pas de leur filer entre les jambes… Complices et joueurs, ils forment une ligne pour ne pas la laisser passer mais il faut bien avouer que c’est quand même compliqué de rattraper cette petite balle qui se faufile partout ! Pendant ce temps, Stéphanie et Tun s’amusent avec un autre petit groupe d’enfants à gonfler des bulles de colle. Je repère un duo de petits garçons qui jouent à un jeu que je ne connais pas. Chacun pose un élastique de couleur sur la terre battue et celui qui souffle le plus fort et qui arrive à placer son élastique sur celui de son concurrent remporte la partie et l’élastique de son adversaire.

Après ces moments de jeux, nous partons ensuite explorer le village et suivons Tun qui le connaît comme sa poche. Coqs, poules, poussins, chiens et cochons, nous croisons beaucoup d’animaux qui se baladent un peu partout dans le village. Les vêtements bleus et blancs sèchent sur les barrières des maisons en bois. Nous passons devant des petits groupes de femmes qui s’activent devant des petits légumes racines inconnus jusqu’alors. Tun nous explique que cette sorte de petits salsifis auraient des vertus médicinales et que les chinois en raffolent. Les Lahu-Shi les cultivent, les récoltent, les épluchent puis les font sécher au soleil pendant des jours pour ensuite les vendre. Ces petits salsifis se vendent assez cher et les Lahu-Shi en tirent un revenu non négligeable pour leur communauté. Les enfants nous ont suivi sur les hauteurs du village. Ils jouent toujours avec cette petite balle rebondissante orange. Certains se chahutent pendant que d’autres nous sourient. Nous n’avons pas vu le temps passer et il est déjà l’heure de commencer à redescendre. Nous avons encore deux bonnes heures de marche devant nous avant de rejoindre U Paolu qui nous attend au point de rendez-vous avec le mini-van qui va nous ramener à Kengtung.

Sur le chemin du retour, malgré les corps fatigués, nous avons toutes en tête les sourires des petits Lahu-Shi. Le soleil décline petit à petit et la fameuse Golden Hour approche à grands pas. Les paysages s’éclairent de cette lumière dorée que j’adore. Décidément le Triangle d’Or n’aura jamais aussi bien porté son nom. Cette journée hors du temps m’a beaucoup marqué et malgré les difficultés rencontrées lors du trek, cette rencontre exceptionnelle avec les Lahu-Shi reste l’un de mes plus beaux souvenirs au Myanmar. J’espère pouvoir retourner dans le petit village de Pang Pack lors d’un prochain voyage, je pourrai alors rapporter mes photos et distribuer les portraits que j’ai fait lors de cette belle rencontre…

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Publié le 28 août 2019, mis à jour le 28 août 2019

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