Face à une crise économique qui frappe durement Tripoli et à une chute massive de la fabrication de meubles, le programme PSDP, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par expertise France, a créé Minjara, une plateforme et une marque commune pour les entreprises de menuiserie visant à soutenir leurs compétences et à développer leur productivité. L’objectif est de faciliter la communication et l’accès au marché pour les fournisseurs de meubles en bois de Tripoli.
La plateforme Minjara est telle une ruche d’abeilles où chacun est concentré sur son travail : ici un groupe discute d’un projet, là un visiteur fait le tour. L’atelier de production est la pièce centrale du bâtiment,il occupe une grande partie de l’espace. Une dizaine de machines y sont éparpillées, leur bruit est assourdissant. Des artisans sont occupés à découper le bois, le poncer, le peindre...
C’est dans le cadre majestueux du complexe la Foire internationale Rachid Karamé , créé par le célèbre architecte brésilien Oscar Niemeyer dans les années 60s à Tripoli (Nord du Liban) que Minjara a décidé de s’implanter.
La plateforme Minjara est le fruit du programme européen « Private Sector Development Programme » (PSDP). Le projet qui s'élève au total à 15 millions d’euro est financé entièrement par l’Union européenne (UE). Il est divisé en trois parties : secteur agroalimentaire (qui soutient des fermiers locaux dans le Akkar et dans la Bekaa), traitement du bois (qui soutient les menuisiers artisans à Tripoli) et accès au financement (qui soutient les deux secteurs précités). Il est mis en œuvre au Liban par Expertise France. Le projet se fait en partenariat avec la chambre du commerce et de l’industrie, ainsi qu’avec l’Association des industriels libanais.
Tripoli est célèbre depuis près de 50 ans pour ses artisans-menuisier. Les galeries de meubles étaient visitées dans tout le pays pour leur mobilier magnifiquement conçu. Le bois est donc un élément important de l’économie de la ville, un artisanat traditionnel qui est actuellement en crise. D’où l’intérêt du projet PSDP qui vise ainsi à rendre aux menuisiers de Tripoli leur « âge d’or ».
C’est donc face à ces défis que Minjara est entré en jeu. Il s’agit d’une plateforme qui va se transformer en association et dont le but est de soutenir ces artisans-menuisiers. Elle vise à poursuivre les efforts entamés par Expertise France sous le programme PSDP financé par l’UE pour assurer sa durabilité. Le projet prendra fin en août 2019 (ayant débuté en 2016).
Espoir
Mohamad al-Nizam a 27 ans. Il avait une menuiserie familiale qu’il a dû vendre il y a deux ans suite à la crise économique qui a frappé le pays, et notamment le secteur du bois à Tripoli. Il s’est inscrit aux activités et ateliers de travail de Minjara pour tenter de se relancer dans son métier. « Cela me donne une nouvelle expérience et j’apprends des techniques originales », affirme le jeune menuisier. Il espère aussi rencontrer des clients potentiels. Pour lui, le plus important dans ce projet, est sa pérennité. « Il est essentiel que cette plateforme continue de fonctionner, au-delà de la fin du projet. C’est un espoir pour nous en ces temps difficiles qui courent ».
Ibrahim Kurdi, la trentaine, est un maître ouvrier de peinture pour meuble. Il a 15 ans d’expérience. Il travaille sur la cabine de finition. Une sorte de machine qui semble venir tout droit du futur. Ibrahim vient souvent travailler à l’atelier de Minjara. « Je profite de ma présence ici pour rencontrer les professionnels du métier. On peut faire connaissance avec des gens qui nous ouvrent de nouvelles opportunités », explique-t-il, un masque de protection sur le visage. Outre le côté « relations publiques », Ibrahim précise que la cabine de finition a plusieurs avantages : elle fournit une excellente qualité, facilite le travail et permet d’avoir un environnement sanitaire salubre.
Pour sa part, Raafat Nachabi a une entreprise qui emploie plusieurs personnes. Mais la crise économique qui frappe le secteur met en danger son atelier. Il a déjà été obligé de licencier plusieurs ouvriers. Grâce à Minjara Rafaat a de l’espoir et un double objectif : obtenir des contrats avantageux et pouvoir un jour exporter vers l’Europe.
Minjara
L’espace occupé par Minjara est le seul bâtiment réhabilité et entièrement restauré au sein de la foire, grâce au projet PSDP, et ce depuis que le complexe a été abandonné durant la guerre libanaise. Le bâtiment que Minjara a choisi, de 1500m2, était en ruine. Il est devenu aujourd’hui un espace de rencontre et de vie.
D’une manière symbolique, l’espace a été conçu autour d’un atrium lumineux pour suivre la ligne de production du traitement du bois : l’entrée est consacrée à la fourniture du matériau, puis il y a une partie pour la conception utilisée par les designers. La production se passe dans l’atelier mis au service des menuisiers et un espace d’exposition permet à plusieurs designers et menuisiers de Tripoli d’exposer leurs meubles.
Le projet traitement du bois est divisé en plusieurs parties. La première partie du projet a réalisé une étude approfondie du marché à Tripoli et de ses environs, englobant tous les artisans menuisiers. Les résultats ont été publiés sur le site web « www.furnituretripoli.com » qui contient une cartographie exhaustive du secteur du meuble et du bois de la 2e plus grande ville du Liban. Cette étude fournit toutes les informations importantes depuis la fourniture du bois jusqu’au client final en passant par les menuisiers et les galeries de meubles.
« Il y a plus de 400 entreprises de menuiseries répertoriées qui vont bénéficier plus ou moins indirectement du projet », explique Béchara Chemaly, responsable du projet.
Le même site propose également une série d’ateliers pour ceux qui veulent approfondir et développer certaines techniques ou même booster leur talent de management.
« On n’achète plus libanais ! »
Par ailleurs, une étude du marché a été initiée et a débouché sur des résultats concrets concernant la production des menuiseries de Tripoli et des besoins du marché local ou régional.
« Tripoli est connu pour ses meubles de styles classiques et baroques. Or la demande actuelle va plutôt vers des meubles de design contemporain et fonctionnels. C’est un des problèmes principaux du secteur : l’offre et la demande ne coïncident pas », explique Béchara Chemaly. « On n’achète plus libanais ! »
« Le diagnostic étant posé, il a été très difficile de convaincre les artisans locaux de changer de style », affirme Alexis Ghosn, responsable de projet chez Expertise France. Selon lui, « pour que le secteur survive, il faut changer d’approche et produire des meubles qui rencontrent la demande du marché libanais, avant de penser à exporter ». Aujourd’hui, une grande quantité de meubles viennent de Turquie, de Chine ou d’Egypte avec des prix très bas. Il faut par la suite adapter les prix pour concurrencer la marchandise étrangère.
« Minjara sera donc un label pour des meubles à prix compétitif et de qualité européenne produits par des menuisiers tripolitains », explique Alexis Ghosn.
Dans cet esprit, Minjara a pour rôle de réunir dans cet espace, les menuisiers-artisans, les designers, les architectes d’intérieur et les propriétaires de galeries de meubles. « Il y a un manque de coopération et de liens entre ceux qui conçoivent les meubles, ceux qui les produisent et ceux qui les vendent, d’où l’intérêt de Minjara pour rapprocher l’écart entre les acteurs de la chaîne du secteur », explique M. Chemaly.
Remercier l’UE
Les menuisiers s’affairent dans l’atelier. Au milieu, une grande machine dernier cri les attire. Ali Boksmati est un jeune tripolitain qui apprend aux menuisiers à l’utiliser. « Cette machine vise à aider les artisans dans leur travail. Elle économise beaucoup de temps dans la sculpture du bois. Elle a également une très grande précision de travail. Il suffit de mettre sur l’ordinateur le design qu’on veut, et la machine la produit ».
L’ambiance entre les collègues est agréable et les menuisiers sont reconnaissants de cette aide offerte. Raafat affirme d’ailleurs : « Il faut vraiment remercier de tout cœur l’UE pour ce projet, nous avons espoir que grâce à lui, notre secteur se relancera. »
Ecrit par Antoine Ajoury