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Laure d’Hauteville et Joanna Abou Sleiman-Chevalier parlent du BAF

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Laure d’Hauteville et Joanna Abou Sleiman-Chevalier
Écrit par Rédaction LPJ Beyrouth
Publié le 3 septembre 2019, mis à jour le 3 septembre 2019

A l’occasion des 10 ans du BEIRUT ART FAIR, Laure d’Hauteville, sa fondatrice et directrice et Joanna Abou Sleiman-Chevalier, la directrice artistique se sont prêtées au jeu de l’interview croisée.
 

Cette édition 2019 de BEIRUT ART FAIR célèbre 10 années de découvertes. En tant que directrice de la foire, comment comptez-vous exprimer cette promesse, et qu’espérer de cet événement majeur ?

Laure d’Hauteville : BEIRUT ART FAIR demeure plus que jamais engagée à lever les murs – non seulement artistiques, mais aussi des murs interpersonnels, psychologiques et sociaux. La foire présentera des expériences artistiques diverses en parallèle aux stands des galeries, dans un esprit d’ouverture et d’innovation, et de création de liens dans l’espace et le temps. Entre autres évènements, BEIRUT ART FAIR exposera, sous le même toit, des artistes émergents des territoires ME.NA (Middle East, North Africa), dans la section REVEALING by SGBL, puis des icônes de l’art historique et moderne mondial, avec une exposition muséale d’œuvres sur le thème du Liban, et enfin pour la première fois, des œuvres inédites de l’artiste majeur du modernisme libanais Hussein Madi. La foire est aussi étroitement connectée à la ville de Beyrouth à travers un programme étendu pour Beirut Art Week, telle une promenade festive mêlant art contemporain et découverte de la ville. En outre, cette édition 2019 ambitionne de créer des liens encore plus forts entre pays, et continents : la communauté artistique internationale, depuis la région MENA et l’Europe, jusqu’à l’Afrique et les États-Unis, attend le mois de septembre avec impatience. 2018 a accueilli 53 galeries de 22 pays. Pour la dixième édition, nous prévoyons d’élargir nos horizons et de présenter un panel d’artistes reconnus et prometteurs toujours plus étendu.

Joanna Abou Sleiman-Chevalier : BEIRUT ART FAIR est dévouée à la découverte de la jeune scène artistique contemporaine, ainsi qu’à la redécouverte d’artistes moins reconnus : c’est cette direction curatoriale qui donne un sens à la foire. Cette année, elle sera plus contemporaine que jamais. Nous sommes très heureux de présenter un certain nombre de jeunes galeries prometteuses, qui pour certaines opèrent depuis moins d’un an, telles qu’ArtSpace Casablanca (Casablanca), Hors-Cadre (Paris), ou encore Essa Muhammad (San Fancisco). D’autres, reconnues, comme kamel mennour (Paris et Londres) ou bien Galleria Continua (Les Moulins, La Havane, San Gimigniano, Beijing), Primo Marella (Milan), et Out of Africa (Barcelone) nous dévoileront aussi leurs découvertes. En tant que directrice artistique pour cette édition 2019, je me concentre sur la scène émergente. Nous ne mettons pas l’accent sur une région spécifique, la foire faisant véritablement partie d’une scène interconnectée mondiale. À BEIRUT ART FAIR, le public aura l’opportunité de découvrir des artistes internationaux qui ne sont souvent pas, ou peu, exposés en Orient ou lors d’autres foires.
 

Vous présentez la ville de Beyrouth comme un hub artistique pour tout le MoyenOrient. Expliquez-nous.

Laure d’Hauteville : Beyrouth et le Liban ont plus de 6.000 ans d’histoire ! La ville, bâtie au cœur du Croissant Fertile, le berceau des civilisations, est riche d’une tradition de création culturelle et de résilience face aux vicissitudes de l’Histoire. Aujourd’hui, Beyrouth représente un nœud culturel important non seulement dans la région MENA, mais aussi sur la Route de la Soie, un pont transversal entre Orient et Occident. Une ville cosmopolite, un «melting pot» de communautés ethniques et religieuses, Beyrouth symbolise le brassage linguistique et culturel. Son esprit de liberté, de tolérance, de dialogue et de générosité est incomparable. BEIRUT ART FAIR adopte et promeut les valeurs de sa ville d’accueil et s’inscrit dans la continuité de sa diversité historique. Par ailleurs, les initiatives artistiques s’y multiplient tant au niveau des institutions – musées, centres d’art contemporain, fondations –  que des galeries et des collectionneurs, très actifs. BEIRUT ART FAIR est un évènement catalyseur dans la vie artistique et culturelle du pays. De nombreux autres évènements prennent place, en septembre, autour de la foire, pour notre plus grande joie !

Joanna Abou Sleiman-Chevalier : Beyrouth est une ville-monde en perpétuel mouvement ; une ville qui se réinvente sans cesse, une énergie qui construit, déconstruit et reconstruit autrement. Cette disposition s’impose à toutes formes de créativités, qu’elles soient architecturales, musicales, cinématographiques, plastiques, design. De plus, la liberté d’expression que permet Beyrouth est inégalée au Moyen-Orient. Cette richesse fait d’elle un hub artistique tant pour les artistes régionaux (de Syrie, de Jordanie, d’Irak, de Palestine, d’Iran) que pour les créateurs internationaux venant de territoires émergents (comme l’Inde, l’Afrique, le Pakistan…). Elle offre de nombreuses opportunités de rencontres et de découvertes. Le Liban est un pays dont la créativité est impressionnante. Les professionnels et le public sont unanimes. Pour exemple, cette année, la biennale de Venise accueillait une dizaine d’artistes libanais, et ce en l’absence de pavillon national ! Simone Fattal et Etel Adnan présentaient leurs œuvres à l’exposition Lugo e Seigni à la Punta de la Dogana, ainsi que Zad Moultaka en dialogue avec une pièce de James Lee Bayers, ou encore Joana Hadjithomas et Khalil Joreige à V-A-C Zattere, pour ne citer que certains. Les artistes libanais puisent leurs références partout dans le monde et la foire représente le brassage culturel historique et contemporain du Liban. L’essor culturel du Liban a été interrompu par la guerre, mais son identité culturelle en est revenue plus forte que jamais. Il y a sur ce sol des dons d’adaptation et de résilience inégalés. La guerre a imposé le pragmatisme et le besoin de rebondir, de ne jamais se résigner. Il n’est que légitime que le Liban reprenne sa place, retrouve sa résonance culturelle internationale.
 

Quelle est l’importance, l’influence de BEIRUT ART FAIR pour la scène artistique libanaise et régionale ?

Laure d’Hauteville :  En dix ans, BEIRUT ART FAIR s’est positionné comme l’un des évènements les plus importants du calendrier culturel régional et jouit d’une reconnaissance et d’un rayonnement mondial. La foire a considérablement élargi sa portée artistique internationale. En 2018, le nombre d’entrées a été de 32.000 contre 3.500 en 2010 ! Cette évolution s’explique aussi avec la croissance avérée du marché de l’art dans la région MENA, ainsi qu’avec un phénomène culturel mondial : l’intérêt grandissant d’un public toujours plus vaste pour l’art contemporain et la découverte de nouveaux territoires. Nous sommes fières de bâtir des liens forts avec les institutions et les musées internationaux et de faire découvrir aux collectionneurs ce qui rend unique le Pays du Cèdre. Mais plus que tout, ma passion est de découvrir de nouveaux talents, suivre leurs carrières et les voir éclore et s’épanouir. Je reste très proche de nombreux d’entre ceux que j’ai rencontrés au tout début de ma carrière ; c’est un honneur pour moi de pouvoir les compter parmi mes amis. L’art représente aussi un vecteur de paix ; dans un monde où les peuples, les pays et les communautés tendent à se refermer de plus en plus sur eux-mêmes, l’art crée des liens humains, au lieu de les briser. Les artistes sont les témoins de leur temps. Ils s’inspirent de leurs expériences passées et incitent le public à envisager un avenir différent, imprégné d’espoir.
 

Parlez-nous de votre lien personnel, et fécond avec le Liban.

Laure d’Hauteville :  Je suis présente au Liban depuis déjà 28 ans, et j’ai lancé la première foire d’art moderne et contemporaine à Beyrouth en 1998, en inaugurant le salon ARTUEL, précurseur de BEIRUT ART FAIR. J’ai vécu les hauts et les bas du Liban toutes ces années, tout au long desquelles j’ai observé les artistes réagir et réfléchir à la situation de leur pays et de la région. J’ai été témoin de l’essor de la scène artistique locale, qui s’est extraordinairement épanouie pour aujourd’hui inclure plusieurs musées et centres d’art contemporain, et des dizaines de galeries chacune avec son identité, entre autres initiatives. Sans compter, évidemment, la saisissante ouverture du monde de l’art libanais vers l’international, un phénomène que cette édition incarne parfaitement.

Joanna Abou Sleiman-Chevalier : Je suis franco-libanaise. J’ai un lien viscéral avec le Liban. D’ailleurs, en 2015, j’ai organisé à Beyrouth une exposition, « Territoires d’affects », qui explorait le lien symbolique qu’entretiennent des artistes, vivant ici ou ailleurs, avec le Liban. Mona Hatoum, Etel Adnan, Nabil Nahas, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Simone Fattal et bien d’autres avaient alors répondu à l’appel. Je dois ajouter que je suis passionnée d’art contemporain depuis l’enfance. Ma mère m’a offert mon premier tableau alors que j’avais neuf ans. Ma passion ne date pas d’aujourd’hui. Elle s’est développée au fil des années et des rencontres. J’ai été la commissaire de nombreuses expositions dont « Art in Sport » au musée d’art contemporain de Shanghai pour les Jeux Olympiques de 2007, et de « Qui es-tu Peter ? » à l’Espace culturel Louis Vuitton de Paris. Dans le cadre de « La Nuit des Musées », j’ai produit et programmé des films au musée de la Chasse et de la Nature, à Paris. Ils rapprochaient musique classique et art vidéo.

 

Propos recueillis par Dr. Marie Tomb, historienne de l’art et spécialiste du Moyen-Orient.
 

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Publié le 3 septembre 2019, mis à jour le 3 septembre 2019

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