A Chiyah, Faten Mehri, 39 ans, a suivi des ateliers de poterie et de décoration dans le cadre du projet DAWRIC (Actions directes pour les femmes : réformes, inclusion et confiance) financé par l’Union Européenne à hauteur de près d’un million d’Euros. Le but du projet est de renforcer l'autonomie des femmes au Liban afin de lutter contre la pauvreté et promouvoir l’égalité des genres. Si Faten parvient à vendre ses créations, cela lui apporterait un complément de revenu non négligeable : elle élève seule ses deux enfants avec 500 000 livres par mois (290 euros) depuis le décès de son mari. Voici son histoire.
“ Quand j’étais au collège, j’avais un professeur qui passait son temps à nous insulter, à nous rabaisser. Ça me mettait hors de moi, je ne pouvais plus le supporter, au point qu’un jour j’ai décidé de quitter l’école et de ne plus jamais y retourner. C’était avant mon brevet. Dès l’âge de 13 ans, je me suis alors retrouvée à demeurer à la maison.
Je viens d’un village du Sud Liban. Je m’occupais comme on s’occupe dans un village : je prenais soin du jardin, de la maison et de temps en temps je prenais un narguilé avec les voisines. A cette époque, je n’avais pas vraiment de rêve. Nos parents étaient d’une autre mentalité, ils ne nous laissaient pas vraiment penser qu’on pouvait accomplir quelque chose de notre vie. Je m’ennuyais. Alors quand j’ai eu 19 ans et qu’un jeune beyrouthin qui venait participer à des tournois de football près de notre village est tombé amoureux de moi et m’a demandée en mariage, je me suis dit que l’épouser serait un moyen d’échapper à tout ça. On s’est donc mariés et installés à Beyrouth.
Nous avons eu deux fils. Fady, l'aîné a aujourd’hui quinze ans. Dès l’âge de quatre ans on a dû le mettre dans un établissement spécialisé car il est atteint d’une forme d’autisme assez sévère. Il peut parfois avoir des réactions violentes, s’énerver lorsqu’on ne comprend pas ce qu’il nous dit, et même frapper. Alors quand j’ai eu mon second fils Loubnan, j’ai cherché rapidement une crèche où l’inscrire pour qu’il ne soit pas trop affecté par les réactions de son frère. C’est comme cela que j’ai rencontré Georgette Azar : elle est la directrice de La Voix de la Femme Libanaise, une ONG qui aide les familles en difficulté notamment en offrant une garderie à ceux qui en ont besoin. Georgette m’a laissée mettre Loubnan à la crèche dès l’âge de deux ans et ce, gratuitement car elle savait que nous avions des moyens limités : je ne travaillais pas et mon mari était menuisier. A chaque fois qu’il y avait des activités gratuites au centre, que ce soit pour nous ou pour les enfants, elle nous en parlait et nous invitait.
C’est dans ce cadre-là qu’elle m’a parlé au mois d’octobre dernier d’un atelier de poterie et de décoration financé par l’Union Européenne et dispensé au foyer. Je venais de perdre mon mari d’un cancer foudroyant, et j’avais besoin de quelque chose pour me défouler et m’occuper l’esprit. J’ai donc décidé d’y participer. Le décès de son père a beaucoup affecté Fady. Ces dernières années, il était très proche de lui. Ce dernier lui changeait les couches, le faisait sortir, s'occupait de lui... Alors depuis qu’il n’est plus là, il a des réactions encore plus agitées.
Ces ateliers de création m’ont beaucoup aidée à canaliser mon stress. On nous a appris des techniques de dessin, de travail sur bois, sur carton et de la décoration pour fabriquer des pots et tableaux. Ça m’a fait énormément de bien. J’ai pu utiliser ma souffrance pour faire quelque chose d’utile. C’était comme une thérapie. Quand j’étais ici, je ne pensais à rien d’autre.
J’ai choisi de représenter Saint Charbel dans beaucoup de mes tableaux car c’est le sauveur de mon fils Loubnan. Quand il avait deux ans, Loubnan était atteint d’une maladie très grave qui lui donnait un ventre très gonflé et le reste du corps très maigre. A l’âge où les autres enfants commençaient à marcher, lui ne pouvait même pas se relever. Les médecins nous disaient qu’il avait seulement dix pourcents de chance de survie. Un soir, ma voisine m’a proposé de l’amener visiter Saint Charbel et j’ai accepté. Le lendemain quelque chose d’extraordinaire s’est produit. J’ai entendu comme une explosion dans le ventre de Loubnan. Je lui ai demandé s’il allait bien, s’il avait mal, il m’a répondu que non tout allait très bien. Un peu plus tard je l’ai vu se relever et courir dans la cuisine ! Je l’ai alors amené à l’hôpital : le médecin m’a demandé ce que l’on avait fait, car Loubnan était guéri ! Alors depuis, je prie à l'Église même si je suis musulmane. Après tout on a un seul Dieu, qu’on soit musulman ou chrétien, c’est le même.
Il y a un mois j’ai commencé à travailler pour un notaire. Je l’aide au bureau avec le café, le ménage, ce genre de choses. Même si j’en ai souvent eu envie, je n’avais jamais pu travailler avant, notamment car la situation de Fady ne le permettait pas. Alors petit à petit je m’habitue à ce nouveau mode de vie. J’ai préparé un tableau en cadeau à mon patron.
Mon rêve est de continuer à apprendre, à me développer d’un point de vue personnel, et pourquoi pas d'obtenir un diplôme. Je rêve d’apprendre l’anglais, le français, je rêve de savoir utiliser un ordinateur. Si je savais faire tout ça, je pourrais être secrétaire, avoir la sécurité sociale pour moi et mes enfants, une certaine garantie.
Aujourd’hui, je vis avec 500 000 livres par mois, et personne ne m’aide. Pour y arriver, je me prive de presque tout pour laisser ce qui reste à mes enfants, comme le ferait n’importe quelle mère. Je veux que mes fils vivent comme des enfants de ministres même si nous n’avons rien. Heureusement, nous avons un ancien loyer et mon propriétaire est clément. Je n’ai pas pu le payer depuis plusieurs mois et il nous laisse y vivre. Mais jusqu’à quand ? Vu mon salaire, même si je vendais une ou deux toiles, ça ferait une sacrée différence dans notre quotidien.
Ces ateliers m’ont aussi montré de quoi j’étais capable. Ils m’ont fait réaliser que si je me mets quelque chose en tête, je peux y arriver. Si un jour par exemple, je décide d’ouvrir un magasin et de vendre mes créations, je sais que je pourrai y arriver.
En tout cas malgré tout ce qui s’est passé avec mes fils, mon mari, je continue de rigoler et de garder le sourire, car Dieu me donne la force de continuer à me battre. Après tout, la vie est belle, alors il faut la vivre !”
Faten Merhi, 39 ans fait partie de 40 femmes à avoir suivi les ateliers de poterie et de décoration donnés au foyer de la Voix de la Femme Libanaise à Chiyah, dans le cadre du projet DAWRIC (Actions Directes pour les Femmes : Réformes, Inclusion et Confiance) financé par l’Union Européenne. ”Sans les 10 000 Euros alloués par l’Union européenne, nous n’aurions jamais pu former ces 40 femmes, explique Georgette Azar, nous sommes une ONG et dépendons des bailleurs de fonds.”
L'objectif du projet DAWRIC est de renforcer les capacités des femmes au Liban afin de lutter contre la pauvreté et promouvoir l’égalité des genres. Le projet de près d’un million d’euros a été mis en place un peu partout au Liban (dans 21 municipalités) avec une vingtaine d’ONGs et d’associations. Au total, 4 000 femmes libanaises comme Faten ont bénéficié du projet de l’UE.
DAWRIC a été implémenté par le British Council avec la Fondation Maharat et le Comité de suivi des questions féminines (Committee for the Follow up on Women Issues – CFUWI). Il a débuté en septembre 2016, et se termine ce mois de mars 2019.