Il a aujourd’hui 95 ans et vit des jours paisibles dans son Liban-Sud d’origine. Le maréchal des logis Ali Chams, multi-médaillé, a servi sous les drapeaux français pendant 9 ans. De 1953 à 1961, le légionnaire traverse des grands moments de l’histoire : l’Indochine, la crise du canal de Suez et le putsch des généraux en Algérie. Portrait.
Ali Chams est né en 1923 près de Nabatiyeh, au Liban-Sud. La région, essentiellement agricole, est plutôt pauvre. Alors, à l’âge de 16 ans, il quitte son Liban natal et part travailler en Côte d’Ivoire. Une communauté libanaise en provenance du Liban-Sud est déjà installée dans ce pays d’Afrique de l’Ouest depuis plusieurs décennies. Ali vient grossir les rangs de cette diaspora.
Il se retrouve responsable d’une plantation de café et de cacao pendant un an. Ne gagnant pas suffisamment sa vie, il décide de devenir transitaire à Abidjan. Pendant plus de 10 ans, Ali exporte café et cacao à Marseille et fait des vas-et-vient entre Abidjan et la cité phocéenne.
Mais la Côte d’Ivoire n’est pas cet eldorado espéré. Les cours du café et du cacao ne font que baisser à l’époque. Un jour, il passe devant le Bas-Fort Saint Nicolas à Marseille, un centre de recrutement de la Légion étrangère qui se trouve aujourd’hui à Aubagne. Sur le mur d’entrée, l’annonce est alléchante : la Légion étrangère recrute. C’est la promesse d’un emploi et d’un salaire fixe pour lui. « J’ai été séduit par les avantages de s’engager dans la Légion étrangère. Je me suis dit que j’allais apprendre un métier », explique Ali Chams. Le 12 novembre 1953, le Libanais de 30 ans signe son contrat et s’engage pour cinq ans sous les drapeaux de la France.
Ali fait ses classes à Sidi Bel Abbès, en Algérie au 1er Régiment étranger d’infanterie (REI). Il l’appelle « la maison-mère ». C’est l'un des centres de commandement de la Légion étrangère, fondé en 1842 et situé à 80 km au sud d’Oran, le doyen des régiments de la Légion. Il est ensuite affecté aux services des transmissions où il apprendra, entre autres, le morse. Grâce à sa maitrise du français que lui-même juge faible à l’époque, et la proportion de francophones étant extrêmement faible, Ali est nommé secrétaire au service du casernement. Il effectue en même temps le peloton de caporaux, la formation de sous-officier.
Nommé caporal, il est envoyé en Indochine le 1er mars 1955 et muté au 1er Régiment étranger de cavalerie (REC). Après les accords de Genève, signés en juillet 1954, faisant suite à la défaite de Diên Biên Phu, la France garde au centre et au sud du pays, sous le 17e Parallèle, une présence administrative avant de céder la place progressivement aux Américains. Ali reste basé à Saigon, cantonné dans la caserne de Chanson comme adjoint au sous-officier fourrier chargé de l’intendance, puis comme secrétaire au bureau de l’Escadron de commandements et services (ECS). En février 1956, le caporal Chams embarque à bord du fameux paquebot transporteur de troupes SS Pasteur pour être « rapatrié » en Tunisie. Le dernier contingent militaire français en Indochine est dissous en avril 1956.
Sur le chemin du retour, vient le passage du canal de Suez. De chaque côté du bateau, les rives sont à peine à quelques mètres. « Les Egyptiens nous provoquaient et ils nous ont montré leurs culs », raconte Ali Chams avec un rire malicieux. Nous sommes à quelques mois de la crise du canal de Suez et de sa nationalisation par le président égyptien Gamal Abdel Nasser. Le Pasteur fait donc demi-tour et se dirige vers le sud de l’Afrique. En remontant avoir avoir passé le Cap de Bonne espérance, les militaires demandent au capitaine de faire un crochet par l’île de Saint Hélène. « Tous sont allé saluer la mémoire de Napoléon », raconte Ali Chams.
Installé dans un premier temps en Tunisie, le 1er REC est envoyé en Algérie pour participer à la « pacification » de l’Algérie, à Bou Saada. Surnommée la « porte du désert », la ville est située à quelque 240 km au sud-est d'Alger et à environ 200 km de la région des Aurès, « épicentre » de la guerre d’Algérie. Au poste de commandement, on cherche des légionnaires parlant l’arabe. Ali Chams est le seul à maîtriser la langue. Il est affecté auprès de l’officier de renseignement comme traducteur et interprète. Le 1er janvier 1958, il est nommé Maréchal des logis, l’équivalent de sergent.
Ali Chams au volant d'une jeep.
Trois ans plus tard, Ali Chams se trouve, malgré lui, au cœur d’un des événements les plus marquants de la guerre d’Algérie : le Putsch des généraux. Nous sommes au printemps 1961. Depuis le référendum sur l’autodétermination, une partie des cadres de l’armée se sent trahi par le Général de Gaulle. Eux qui ont mené de violents combats depuis sept ans préparent un coup de force. Le lieutenant-colonel de La Chapelle, chef de corps du 1er REC, se rallie aux mutins. Ali Chams suit les ordres donnés à son régiment. Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, il est envoyé à Alger. Le mouvement est peu suivi au sein de l’armée. Le 23 avril au soir, De Gaulle prononce un discours à la télé. Il en appelle à la résistance passive. Les quatre généraux Salan, Challe, Jouhaud et Zeller jettent l’éponge et appelle les unités « rebelles » à retourner dans leur casernement. Dix jours plus tard, deux officiers viennent arrêter le colonel de la Chapelle. Avant de se rendre, ce dernier va vers l’étendard, l’embrasse puis se dirige vers l’adjudant Totti qui lui avait sauvé la vie en Indochine et l’embrasse aussi. « Les larmes coulaient sur les visages de nombreux légionnaires », raconte Ali Chams.
Le 1er août 1961, arrivé à la fin de son deuxième contrat, le Maréchal des logis Chams ne rempile pas. Sa sœur, qui vit en Gambie, lui demande de la rejoindre pour aider aux affaires familiales. Après 8 ans de bons loyaux services, Ali Chams se dit qu’il a fait son temps et qu’il a assez risqué sa vie. Pour ce retour en Afrique, les affaires lui sourient d’avantage, Ali s’y marie et a trois enfants : Kamil, Hussein, Zeinab. En 1995, il rentre au Liban avec sa femme pour prendre sa retraite à Nabatiyeh.
A 95 ans, Ali Chams est décoré, entre autres, de la médaille militaire, de la Croix des combattants volontaires puis est fait chevalier de l’Ordre National du Mérite. Il est aujourd’hui le vice-président de l’Amicale des Anciens combattants de l’armée française résidant au Liban. « Là, je retrouve mes frères d’armes », souligne-t-il. Ali se sent autant Libanais que Français. « Mais c’est grâce à la France que j’ai appris un métier. C’est aussi grâce à la France que mes enfants ont pu aller à l’université et, en 2006, au moment de l’offensive israélienne sur le Liban, c’est la France qui nous a évacué », précise-t-il.
Ali Chams et son épouse au repas annuel de l'Amicale des Anciens combattants de l'armée française résidant au Liban