Au fond de la Llibreria Jaimes, située près du Passeig de Gràcia, quelques lecteurs se retrouvent régulièrement pour échanger autour de textes soigneusement choisis. La librairie multilingue chère aux Français de Barcelone multiplie les clubs de lecture destinés à son public francophone.


Parmi eux, un nouveau rendez-vous attire l’attention. À l’origine de ce projet : Mercè Álvarez, psychologue à Barcelone, maîtresse de conférences à l’université et ancienne élève du Lycée Français de Barcelone. Spécialiste de la psychologie systémique — une approche qui considère les problèmes d’un individu à partir de son environnement social —, elle a proposé à la librairie de créer un club mêlant littérature et psychologie.
De cette idée est né « J’aime la psy », un concept inédit. Dans ce club, pas question de disséquer les figures de style : les participants sont invités à explorer la dimension psychologique des textes, à lire autrement. Une approche singulière, à contre-courant de la tendance académique actuelle. La première rencontre a eu lieu le jeudi 9 octobre.
Au programme, une discussion autour du best-seller de Grégoire Delacourt, La liste de mes envies, paru en 2013 et adapté en film l’année suivante. L’histoire est celle de Jocelyne, une quarantenaire complexée et mal mariée, qui devient du jour au lendemain multimillionnaire en remportant plus de dix-huit millions d’euros à la loterie. Miracle ou malédiction ? Jocelyne doit composer avec ce bouleversement aussi bien matériel que psychologique.

Le lecteur se fait psychologue
La psychologue annonce la couleur dès le début de la rencontre : ce n’est pas un cours. Les lecteurs ne sont pas là pour apprendre les bases de la psychologie, mais pour discuter de leurs ressentis et idées. Mercè Álvarez guide : elle pose les premières questions, afin que tout le monde se remémore les grandes lignes du texte. Puis au fur et à mesure que la discussion avance, les réponses s’enchainent, et des réflexions s’installent.
Les lecteurs essayent d’expliquer les comportements des personnages. Ils cherchent dans leur passé, leur environnement, leurs faiblesses – tel que le ferait un psychologue. Peu à peu, orientés par une professionnelle, ils arrivent à reconstituer le puzzle psychique des personnages du roman. Au fil de la rencontre, chacun est libre d’apporter ses anecdotes personnelles. Car certains se reconnaissent naturellement dans les personnages du roman. Alors parfois on diverge dans ce club de la Llibreiria Jaimes.
On se demande si, en voulant analyser la psychologie de Jocelyne, ce n’est pas un peu nous qu’on cherche à comprendre. Mercè Álvarez confirme : « Nous pouvons voir l’aspect psychologique des personnages à partir de n’importe quel roman, et ce que ça dit de nous ». Elle ajoute : « Nous pouvons même voir ce que ça dit de notre époque ».
Pendant cette rencontre, on réfléchit beaucoup. D’abord aux personnages, puis un peu aux autres participants qui ajoutent leur grain de sel, ensuite à notre époque, comme le souligne Mercè Álvarez — mais, finalement, c’est surtout souvent à nous-mêmes que l’on pense.
À la fin, la psychologue invite chacun à partager sa propre « liste de ses envies ». La rencontre prend alors des airs de double séance de psy : en scrutant les héros de papier, les lecteurs finissent par se regarder en miroir.
Une parenthèse littéraire originale pour les francophones de Barcelone
Au fond de la Llibreria Jaimes donc, on peut participer tout en l’animant à une sorte consultation psychologique collective. C’est un concept original qui nous pousse hors de nos habitudes de lecture. Un pari réussi pour Mercè Álvarez qui s’était donné pour objectif de « faire découvrir la psychologie en dehors d’un cabinet ».
La psychologue insiste également sur le fait que ces rencontres permettent à la librairie d’« être un endroit pour se rencontrer, créer des liens », notamment pour les francophones de Barcelone. Le club « J’aime la psy » se réunira chaque deuxième jeudi du mois. L’adhésion coûte dix euros. La prochaine fois, ce sera autour de Chanson douce de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, que les lecteurs se réuniront.
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