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INTERVIEW - Abas Ndiour, Ambassadeur du Sénégal en Espagne : "Dans nos rapports avec le Nord, l'autosuffisance alimentaire est indispensable"

Écrit par Lepetitjournal Barcelone
Publié le 31 mai 2010, mis à jour le 13 novembre 2012

La semaine dernière, la capitale espagnole accueillait la "journée de l'Afrique", avec le festival "Africa Vive". Entre activités politiques, sportives et culturelles, les débats sur l'avenir des relations entre Nord et Sud et plus concrètement entre Afrique et Europe ont animé nombre de conférences. Abas Ndiour, doyen des ambassadeurs africains en Espagne, revient pour nous sur la question

(Photo Ambassade du Sénégal)

Lepetitjournal.com : Cinquante ans après la décolonisation, le vice-ministre de la Culture de l'Angola, Cornelio Caley a qualifié la philosophie des rapports Europe/Afrique de supériorité/infériorité, lors de la journée de l'Afrique, le 25 mai dernier. Qu'en est-il selon vous ?

Abas Ndiour : Cinquante ans après, nous nous sommes rendus compte qu'il y a une prise de conscience réelle. Aujourd'hui les Africains se posent la question de savoir ce que nous avons fait pendant tout ce temps. C'est l'objet de tout un débat qui pose aujourd'hui une question, celle des rapports du Nord et du Sud. Et c'est pourquoi certains dirigeants africains se sont levés pour dire que désormais il faut une coopération "un-un", d'égal à égal. A savoir une meilleure philosophie des rapports, dans la coopération, et une prise en compte de l'Afrique. L'Europe ne peut pas se passer de l'Afrique, l'Afrique ne peut pas se passer de l'Europe, mais il faut réguler tout ça, il faut que ça se fasse dans la plus grande transparence. Et dans le respect mutuel.

Est-ce que le nouveau phénomène de "Chinafrique" qui se développe n'est pas une forme de colonisation ?
Je ne pense pas parce que, contrairement à ce que l'on dit, la Chine ressemble un peu, dans son histoire et dans sa trajectoire aux pays africains. Je veux dire par là que ce sont eux aussi des milliards d'individus qui ont su, à un moment donné, trouver les voies et moyens de leur développement. Je pense qu'aujourd'hui la coopération d'entente telle qu'elle se faisait il y a cinquante ans ne peut plus se faire, ne va plus se faire, avec personne.
En ce sens, la Chine part d'une bonne volonté, la Chine et les dirigeants africains connaissent les nécessités de l'Afrique : nous avons besoin d'infrastructures, nous avons besoin de nous développer. C'est pourquoi si la Chine nous propose des voies et des moyens pour un développement équitable, je pense que c'est un phénomène à saluer.

Comment envisagez vous concrètement une coopération d'égal à égal entre Nord et Sud?

Il faut nécessairement au sein de l'Afrique une vraie Union Africaine. Il faut une interrogation politique et une intégration économique. L'Afrique est pleine de ressources. Nous avons besoin des infrastructures pour nous développer, c'est vrai, mais il faut également que dans nos pays on se rappelle que la première vraie urgence c'est l'insuffisance alimentaire.
Si je prends le cas du Sénégal, nous avons lancé le plan REVA (REtour Vers l'Agriculture), nous avons lancé également le GOANA (Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l'Abondance, concernant notamment l'achat d'engrais, de semences, d'aménagement hydro-agricoles), etc. Pour dire à nos jeunes, à nos pairs et à nos partenaires internationaux, aujourd'hui c'est possible l'autosuffisance alimentaire et quand on l'a atteint, on peut déterminer ses principaux outils, et réorganiser au mieux son rapport avec le Nord dans le commerce international par exemple. On ne peut pas évoluer sur les ciments qui ont prévalus jusqu'ici. Il faut modifier ces schémas internes et externes. Vous savez, l'Afrique a le droit d'exister et il faut que le Nord revoie aussi ses positions avec l'Afrique, et nous prenne davantage en compte. Le Nord ne peut pas continuer de se développer si l'Afrique est laissée de côté.

Pouvez-vous revenir sur le rôle que joue l'Afrique concernant la lutte contre l'immigration illégale, puisque ça aussi ça fait partie des rapports avec le Nord ?
Du point de vue du Sénégal, mon pays, nous avons pris des mesures très efficaces. Le président Wade a été très courageux en disant que de toute façon on ne peut pas laisser nos concitoyens errer dans les rues d'Europe. C'est pourquoi nous avons pris la décision, si les immigrés illégaux sont reconnus comme tels, de les ramener chez nous en coopération avec l'Espagne par exemple mais également sur le plan national en initiant des projets alternatifs.
Le plan GOANA peut être une vraie solution aujourd'hui, parce que nous avons besoin de résorber notre crise alimentaire. Tous ces gens qui travaillent dans les champs européens peuvent travailler chez nous, légalement.
Il y a aussi le pan de la dissuasion, avec le FRONTEX (agence européenne créée pour assurer la sécurité aux frontière de l'UE) qui est un dispositif entre l'Espagne, l'Italie et la France notamment et qui a été mis en place pour éviter que les jeunes ne prennent la mer pour venir en Occident. L'Occident est en crise en ce moment, la situation est encore plus difficile pour tous.

Ne craignez-vous pas que cette crise, qui oblige le Nord à réduire ses dépenses publiques de façon drastique, n'affecte l'aide au développement que peut recevoir l'Afrique ?
C'est possible, parce que les pays du Nord ont leurs problèmes, notamment financiers. Les masses monétaires qui étaient nécessaires à la coopération sont réduites, mais c'est normal, nous sommes tous dans une période de crise, avec des difficultés qui mettent sous pression les aides.

Comment à l'heure actuelle envisagez-vous la sortie de crise en Afrique, et notamment au Sénégal ?

Les Africains, soyons clairs, ne sont pas impliqués de la même façon que les pays occidentaux dans la crise qui secoue les circuits financiers et monétaires. Donc en un sens la crise a été moins ressentie chez nous. Par contre les contre-coups arriveront dans nos pays, et ça c'est très clair, notamment via une réduction des aides. C'est pourquoi je le répète, c'est très important de développer des projets alternatifs locaux. C'est aux Africains à trouver des solutions par eux-mêmes pour leur sortie de crise.

Propos recueillis pas Hélène LEBON (www.lepetitjournal.com - Espagne) - Lundi 31 mai 2010

Quelques données sur le Sénégal :

(source : site le l'ambassade du Sénégal en Espagne)
? Entre 1996 à 2000, l'Espagne est comme le 4ème fournisseur du Sénégal, après la France, l'Allemagne et l'Italie.
? L'Espagne est le 3ème client du Sénégal de l'UE, après la France et l'Italie, avec 88 milliards de Francs CFA (149.400.036,89 Euros).
? Le Sénégal achète pour 171 milliards de Francs CFA ( 260.687.817.48 Euros) de biens et services à l'Espagne.

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Publié le 31 mai 2010, mis à jour le 13 novembre 2012

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