L'écrivain français est venu donner hier une conférence de presse à l'Institut Français de Barcelone, à l'occasion de la promotion de son dernier ouvrage "Soumission", sorti en janvier dernier. Très controversé avant même sa parution, l'auteur imagine dans son 6e roman une France dirigée par le chef d'un parti musulman, ce qui a valu à son ouvrage d'être souvent jugé "islamophobe".
Après avoir de nombreuses fois réfuté ces affirmations, et profondément touché par l'attentat contre Charlie Hebdo qui a eu lieu le jour de la sortie de son roman, Houellebecq a préféré suspendre sa promotion en France avec effet immédiat. A l'institut de Barcelone, ce mardi, l'écrivain a abordé l'histoire de son récit et comment celui-ci avait pris forme, guidé par les questions des journalistes. Sans surprise, la conférence s'est vite déroulée sur fond politique et d'avis plus ou moins tranchés au sujet de la France et son rapport aux religions catholique et musulmane.
(Photo lepetitjournal.com)
François, un professeur de littérature parisien spécialiste de Huysmans, sent venir la fin de sa vie sexuelle et sentimentale, avec pour seule perspective la vacuité et la solitude. De là démarre l'histoire du personnage principal, "à qui je retire tout" affirme Houellebecq. "Je lui enlève Myriam [sa compagne, NDLR], je fais mourir ses parents, je fais rater sa conversion au catholicisme, je lui enlève son emploi, sa vie sociale? Il n'a plus rien. Puis un personnage apparaît et lui propose une femme, un très bon salaire, sa respectabilité renouvelée. François n'a plus qu'une chose à faire : renoncer à sa liberté de conscience". Ce personnage, c'est Mohammed Ben Abbes, président d'un nouveau parti nommé "la Fraternité Musulmane" qui réussit à se hisser à la tête du gouvernement français lors des élections de 2022. Houellebecq justifie ce choix et apaise les critiques virulentes qui ont dernièrement qualifié son ouvrage d'islamophobe : "Je ne voulais pas parler DES Musulmans, c'est un roman de politique-fiction, il n'y a pas de vrai Musulman dans ce livre. Il y a seulement des gens qui utilisent l'Islam pour assouvir leur ambition de pouvoir. Ben Abbes n'est pas un homme pieux, c'est un homme de pouvoir". L'auteur poursuit : "C'est fait pour être un livre ambigu, on ne sait pas si le personnage principal est à plaindre ou à blâmer. Je l'ai conçu pour ça, pour créer un inconfort". Interrogé sur cette ambigüité, l'écrivain explique son désir de créer un "espace flou", un "mauvais rêve". En arrachant tout de la vie du protagoniste, Houellebecq a voulu créer une "série d'initiations" par lesquelles François se laisse guider, sans finalement atteindre la conversion à la religion musulmane.
La France "bizarre" de Houellebecq
Sans aborder directement le fait d'avoir arrêté la promotion de "Soumission" dans l'Hexagone, l'auteur a fait référence de nombreuses fois à son pays, notamment en affirmant que "les Français ne se sont jamais intéressés à l'Europe" mais en se réjouissant qu'ils se considèrent encore comme une "entité politique". Il a continué en appuyant la tendance du peuple français à être contradictoire : "C'est un pays bizarre, paradoxal : par exemple, les gens sont déprimés mais le taux de natalité continue à être élevé. Il y a certaines choses qui sont un peu incompréhensibles en France".
En précisant la manière dont il a abouti à l'histoire de son personnage François, Houellebecq explique comment l'idée de parler de la foi catholique lui était venue en premier lieu : "Mon premier projet était aussi lié à un personnage attaché à Huysmans, mais qui voulait se convertir à la religion catholique. Finalement, je n'ai pas réussi à bien parler de la conversion" et continue en abordant la place du catholicisme aujourd'hui en France : "Il se porte mieux que dans ma jeunesse, il est de retour. En revanche, il y a un modèle patriotique français qui aujourd'hui ne va pas bien du tout, qui faisait juste semblant d'aller bien depuis la fin de la Première Guerre Mondiale".
L'indépendance catalane, l'attentat à Charlie Hebdo
Cette réflexion sur le patriotisme français n'a pas échappé aux journalistes catalans, qui en ont profité pour demander à l'écrivain son opinion sur la revendication de l'indépendance de la Catalogne, sujet délicat qui n'a pas fini de faire couler de l'encre dans la péninsule ibérique. A ceci, Houellebecq répond un peu gêné qu'il n'a pas une opinion tranchée sur la question, mais qu'il "s'interroge". "La France, indiscutablement, est une entité qui a une pertinence. Je me demande si l'Espagne est dans le même cas ? Je m'interroge. L'Espagne va-t-elle subsister ? Je m'intéresse à la question".
Mais le sujet de la conférence a ensuite bifurqué sur la religion musulmane, qui est directement abordée par l'auteur dans son livre "Soumission". Pour Houellebecq, qui l'a lu "par honnêteté", le Coran n'est pas un livre inquiétant en soi, c'est "l'interprétation aberrante et violente qu'en fait l'EI" qui l'est. L'auteur a alors évoqué l'attentat revendiqué contre Charlie Hebdo le 7 janvier dernier à Paris, en parlant d'une "faille" qui se serait creusée en France suite au drame, qui "ne va pas se refermer mais s'aggraver".
Une satire ? Pas vraiment
Célèbres pour leur humour très noir, les ouvrages de Houellebecq peuvent ils être qualifiés de "satires politiques" ? A ce terme, l'écrivain en préfère un autre : "Pour 'Soumission', disons politique-fiction, c'est pas mal. Une satire est supposée être drôle en permanence, c'est un peu réducteur".
Enfin, questionné sur le sens exact de la "soumission", l'auteur répond qu'il faut y voir un synonyme d'acceptation. "François accepte le monde tel qu'il est, avec sa grande part d'injustice. C'est ça qui est grave".
Alexia RICARD (www.lepetitjournal.com ? Espagne) Mercredi 29 avril 2015
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