La ville de Barcelone va-t-elle se doter d'une grande mosquée dans les années à venir ? C'est la question sur laquelle se penchent actuellement la mairie et la région. En Catalogne, le nombre de musulmans recensés est d'environ 450.000, soit 6% de la population. Pour accueillir les fidèles dans les meilleures conditions, un projet de construction est à l'étude. Mais de l'idée à la concrétisation, le chemin est encore long. Aux questions liées au financement et à l'emplacement d'une éventuelle mosquée viennent se mêler des implications politiques et sociales. De quoi laisser croire à la communauté musulmane que le projet pourrait rester dans les cartons de la mairie pendant encore longtemps, voire ne jamais se réaliser.
(Photo Creative Comons ccarlstead)
Chaque vendredi, au centre islamique Camí de la Pau dans le quartier du Raval, plusieurs centaines de musulmans viennent accomplir leur devoir religieux pour la prière la plus importante de la semaine. Une logistique et une organisation minutieuse sont indispensables au bon déroulement de la cérémonie. L'entrée est faite au compte-gouttes pour permettre au plus grand nombre de prier mais les 200 mètres carrés d'espace ne permettent pas de satisfaire les besoins de chacun. Des files d'attente se créent et certains habitants du quartier se plaignent des encombrements provoqués. Tariq nous confie qu'il ne va plus à La Pau le vendredi "pour des raisons pratiques". "Trop de monde", selon lui. Il regrette la situation mais préfère effectuer sa prière depuis l'appartement qu'il occupe dans le quartier. Sur les 232 lieux de culte musulman que compte la Catalogne, 24 se trouvent à Barcelone. Un chiffre en augmentation, même s'il en ressort que ces lieux de prières demeurent trop petits pour accueillir les croyants. Inévitablement, la question d'une grande mosquée à Barcelone revient sur la table, car la ville dispose certes de lieux de culte, mais pas de mosquée à proprement parler. Un paradoxe pour la région d'Espagne qui compte le pourcentage le plus élevé de musulmans alors que Madrid, Grenade ou Valence disposent déjà d'édifices religieux depuis plusieurs années, malgré une communauté moins importante.
Où construire et avec quel argent ?
Au vu de sa situation financière critique, comme pour le reste des provinces espagnoles, la Catalogne ne peut se permettre des projets de grande envergure. Car c'est avant tout d'argent dont il est question dans cette histoire. La région ne détient pas les fonds suffisants pour se lancer dans une telle entreprise. Ces fonds existent pourtant, mais en dehors de Barcelone. L'Arabie Saoudite et d'autres pays du Moyen-Orient financent déjà la construction de mosquées à travers le monde. Une solution visiblement écartée par les responsables catalans qui souhaitent garder les mains libres et ne pas avoir de compte à rendre à des commanditaires extérieurs. Un avis également partagé par de nombreux responsables de la communauté musulmane de Catalogne qui refusent d'accepter un financement venu d'un pays appliquant la charia. Des discussions sont en cours avec le Royaume du Maroc qui prévoit un plan de construction de mosquées en Europe. L'option d'un financement marocain semblait la plus raisonnable jusqu'à présent mais la récente affaire Nourredine Ziani (ressortissant marocain expulsé de Catalogne, soupçonné d'espionnage et de lien avec les réseaux salafistes), pourrait venir changer la donne.
Autre problème : l'emplacement d'une éventuelle grande mosquée. Les avis de la mairie et de la région divergent sur ce point. La première se dite prête, sous réserve de l'aboutissement à un accord, à chercher un lieu adapté à la construction, tandis que la seconde estime que Barcelone ne dispose pas de l'espace suffisant pour un tel projet.
Rejet de l'Islam
Ces difficultés liées à la construction de la grande mosquée de Barcelone lèvent le voile sur l'intégration des musulmans en Catalogne et leur acceptation, parfois difficile, par la population locale. La région a souvent fait preuve d'un rejet de l'Islam plus important que dans d'autres provinces espagnoles. En témoigne l'interdiction du port de la burqa dans l'espace public décrétée à Lerida, Barcelone et Tarragone en 2010. Une décision finalement annulée en février dernier par le Tribunal suprême espagnol. "L'immigration pakistanaise s'est accélérée ces dernières années à Barcelone. Nous sommes de plus en plus visible dans la ville et cela fait peur aux gens", nous dit Ahmad. "Je peux comprendre leur crainte de voir leur société se transformer. Mais si nous travaillons, payons nos impôts et respectons le pays qui nous accueille, nous aussi avons le droit à notre part du gâteau. Construire cette mosquée serait un geste fort de la mairie", ajoute-t-il avant de conclure, "malheureusement, les clichés ont la vie dure". Ahmad n'aime pas le terme "islamophobie" et préfère employer "incompréhension entre les différentes cultures". En tout cas, rien ne viendra altérer sa foi puisque, selon lui, "ce n'est pas grave si le projet ne se réalise pas. Je continuerai mes prières à la maison".
Risques internes et instrumentalisation politique
Si la construction vient à se faire, il restera à déterminer qui sera la personne qui assurera sa direction. Des tensions pourraient alors surgir entre maghrébins, pakistanais ou musulmans d'Afrique pour savoir qui sera à la tête de la mosquée. C'est également ce que craignent les autorités et qui est susceptible de retarder le projet. A cela s'ajoute l'instrumentalisation de la communauté musulmane par les partis politiques catalans. A ce sujet, Habib, marocain de 38 ans naturalisé espagnol, n'est pas dupe et sait que sa voix dans les urnes est courtisée de toutes parts. "Si la mosquée ne se construit pas, c'est une question politique. Les responsables de tous bords sortent leur calculatrice avant les élections. Qu'est-ce qui rapporte le plus de voix ? Construire une mosquée, c'est se mettre les musulmans dans la poche et appuyer la volonté souverainiste, mais c'est aussi un électorat espagnol qui est contre ce projet et à qui on tourne le dos. S'ils estiment qu'à nous tous on vaut plus de voix que les catalans natifs qui sont contre cette idée, alors on construira cette mosquée". Habib ne croit pas si bien dire puisque Angel Colom, président de la fondation Nous Catalans a déclaré que le catalan serait la langue idéale pour prêcher dans le lieu de culte si celui-ci voit le jour. Et si la construction d'une grande mosquée à Barcelone pouvait accélérer le processus indépendantiste ? C'est peut-être la solution pour plaire aux deux parties.
Stéphane HODJA (www.lepetitjournal.com ? Espagne) Mercredi 22 mai 2013
Plus d'infos sur http://www.lavanguardia.com/vida/20130520/54373610929/barcelona-necesita-gran-mezquita.html
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