

S'attaquer au mythe Molièresque était un challenge, choisir Romain Duris pour l'incarner était téméraire. Pari gagné pour cette comédie inspirée. On rit beaucoup et on est ému par ce Molière moderne. Entretien avec son réalisateur, Laurent Tirard, à l'occasion de la sortie du film en Espagne
Las aventuras amorosas del joven Molière, sorti vendredi dans les salles espagnoles
Comment on se sent lorsqu'on s'attaque à un mythe tel que Molière ?
Au début je ne me suis pas vraiment rendu compte que je m'attaquais à un mythe. J'ai relu les pièces de Molière il y a trois ans. Elles m'ont beaucoup plu et j'ai tout de suite eu envie de faire un film dans lequel je pourrais reprendre tout ce que j'aime de ces pièces.
Il y avait une forme d'inconscience et heureusement. Si je ne l'avais pas eue, j'aurais pu tomber dans le piège du trop-plein de respect et prendre le risque de ne pas faire un film très vivant.
En fait j'ai réalisé l'ampleur du mythe quand le film est sorti. Certaines critiques se sont chargées de me rappeler ce que j'étais en train de faire [rires].
Justement comment avez-vous vécu les attentes et les critiques?
Il y a eu ceux qui étaient contents qu'on "dépoussière"un peu Molière et qu'on leur offre une vision plus moderne, et ceux dont le discours était : "comment vous permettez-vous ? Comment peut-on offrir une vision aussi décalée ? Aussi loin de la réalité?". En fait ceux qui le prenaient avec humour et ceux qui le prenaient sans.
Cela a été difficile car on a toujours envie que nos films plaisent. J'avais parfois l'impression d'être un petit enfant en train de se faire gronder. Mais finalement ça aurait pu être plus difficile?Là j'ai reçu moitié-moitié de critiques positives et négatives.
La modernité de ce Molière tient beaucoup dans le jeu de Romain Duris. Comment a surgi l'idée de cet acteur ?
Le message que nous souhaitions faire passer était le suivant : "ce ne sera pas un Molière classique, pas celui que vous attendez. Ce sera un Molière jeune, moderne et surtout sexy".
Et il s'est trouvé qu'au moment du casting j'ai vu De battre mon c?ur s'est arrêté, de Jacques Audiard. J'ai été impressionné par Romain et j'ai eu envie de tourner avec lui. Le choix s'est fait de manière évidente. Même si au départ cela a pu étonner. Romain lui-même a été surpris. Et à la fois très excité à l'idée de jouer ce personnage. Il a lu le scénario en 24 heures et m'a dit oui.
Y-a-t-il une démarche pédagogique, un besoin de transmission derrière le film ?
Pédagogique oui mais pas au sens classique du terme. En classe, j'avais lu comme tout le monde les pièces de Molière mais j'étais complètement passé à côté. Et j'ai eu envie de faire un film pour tous ces gens qui connaissent mal Molière. Je voulais leur montrer que Molière pouvait être beaucoup plus amusant qu'ils ne le pensaient. Donc il y avait une volonté pédagogique, en effet, de faire "redécouvrir"Molière, mais ludique en même temps. Ma démarche se voulait un peu similaire à celle qu'a eue Kenneth Branagh il y a une vingtaine d'années avec Shakespeare en faisant des films comme Beaucoup de bruit pour rien. Il avait réussi à rendre Shakespeare accessible au grand public.
Pourquoi avoir choisi cette période de la vie de Molière ? C'était une façon d'être plus libre ?
Oui absolument. Dès le départ, je savais que ce serait une fiction. Je voulais orchestrer une espèce de rencontre imaginaire entre Molière et les futurs personnages de son ?uvre. Un peu à la Pirandello ou à la Shakespeare in love. Et quand j'ai découvert ce moment dans sa jeunesse où il avait disparu, je me suis dit que c'était parfait. D'abord parce que personne ne sait ce qui s'est passé durant cette période, donc je pouvais inventer ce que je voulais. Ensuite parce que ce fut un moment charnière dans sa vie : celui où il a dû faire un choix entre la tragédie et la comédie et accepter son talent pour la comédie.
Quelle résonance peut avoir votre film en Espagne, où Molière n'est pas le symbole qu'il est en France ?
J'ai beaucoup voyagé avec le film cette année, dans des pays aussi différents que la Russie, le Japon ou le Mexique... D'abord tout le monde connaît au moins le nom de Molière et a étudié au moins une pièce à l'école. Mais ce qui m'a surtout étonné, c'est de voir à quel point les thèmes et les personnages sont universels. Par exemple en Russie, le public me disait en riant que Jourdain était un personnage russe ! Bien qu'il reste des jeux de mots intraduisibles (par exemple "Mais que diable allait-il faire dans cette galère"), je m'aperçois que les personnages sont à la fois universels et contemporains. Ça marche dans tous les pays.
Votre pièce favorite ?
Le Misanthrope. Et si je peux en choisir trois ce serait Le Misanthrope, Les femmes savantes et George Dandin ou le Mari confondu.
Propos recueillis par Laurence DANTHONY. (www.lepetitjournal.com - Madrid) lundi 19 novembre 2007
Las aventuras amorosas del joven Molière
Sortie en Espagne : 16 novembre 2007
Titre original : Molière
Réalisé par Laurent Tirard
Avec Romain Duris, Fabrice Luchini, Laura Morante, Edouard Baer, Ludivine Sagnier?
En 1644, Molière n'a encore que vingt-deux ans. Criblé de dettes et poursuivi par les huissiers, il s'entête à monter sur scène des tragédies dans lesquelles il est indéniablement mauvais. Et puis un jour, après avoir été emprisonné par des créanciers impatients, il disparaît...
Le film de Laurent Tirard n'est pas une biographie de Molière;il se penche sur une période de quelques mois où, selon tous ses biographes, le dramaturge aurait disparu. Et si pendant ces mois-là, Molière avait rencontré ceux dont il allait faire ses personnages ? Si cette période avait été déterminante pour le reste de sa vie et de sa carrière ?
Pour les horaires et les salles : Esmadrid





