Premier prêtre thaïlandais ordonné dans le nord de la Thaïlande, le Père Niphot travaille depuis plus de 45 ans avec les tribus montagnardes et les réfugiés. Des populations auprès desquelles il a développé une approche différente où la culture et les valeurs ancestrales sont au cœur de sa mission.
Né en 1948, Niphot Thianwihan fut le premier Thaïlandais à être ordonné prêtre dans le diocèse de Chiang Mai le 5 janvier 1975. Issu d’une mère bouddhiste et d’un père catholique, le père Niphot a rejoint le séminaire à l’âge de 17 ans avant de continuer son apprentissage à Penang en Malaisie ainsi qu’à Paris, où il y a passé presque cinq années.
Formé dans l’ère qui suivit le 2ème concile du Vatican (NDLR, 1962) qui marqua une ouverture et une modernisation de l’Église, le père Niphot n’a cessé de travailler avec les minorités ethniques du nord de la Thaïlande en développant une approche axée sur la culture des communautés avec comme mot d’ordre “Observe, écoute et agit”.
En 1999, il fonde le Centre de Recherche et de Formation pour la communauté religieuse et culturelle - Research and Training Center for Religio-cultural Community (RTRC) - à Chiang Mai, une association qui œuvre pour le développement agricole et la promotion du commerce équitable afin d’améliorer les conditions de vie des minorités (Karen, Hmong, Lahu, Lawa, Akha, etc.).
N’hésitant pas à remettre en question la société de consommation, le capitalisme et à se battre contre le changement climatique, le RTRC est à l’image du père Niphot, un lieu de rencontres et d’échanges culturels et religieux avec l’objectif de voir émerger une société nouvelle.
Lepetitjournal.com l’a rencontré à Chiang Mai:
Qu’est-ce qui vous a poussé à partir en France pour effectuer une partie de votre séminaire ?
Après avoir été ordonné prêtre en Thaïlande, j’ai travaillé avec les minorités, les agriculteurs, les femmes, les réfugiés du Laos… Dans les années 1960-1970, la situation était complexe en Thaïlande, en tant que jeune prêtre et le seul Thaïlandais, je me demandais comment faire face à cela. Lors de mon séminaire à Penang, la plupart de mes professeurs étaient Français. J’ai appris la langue, même si j’ai dû prendre trois mois de cours supplémentaires quand je suis arrivé à Paris en 1978. Pendant 5 ans, je passais 6 mois à Paris et 6 mois en Thaïlande. À Paris, j’ai rencontré d’autres missionnaires d’un peu partout dans le monde. L’approche était celle de Paulo Freire qui est une pédagogie de libération par l’éducation des opprimés, ce qui m’a permis d’apprendre comment nous pourrions nous organiser, conscientiser et agir avec les gens.
D’où vous vient cette vocation ?
J’ai été élevé dans deux religions. Ma mère est bouddhiste et originaire de Phayao, mon père est catholique de Bangkok. Je suis né à Bangkok et j’ai grandi à Phayao où j’ai fait mes études dans une école catholique. Dans les années 1960, je voyais de nombreuses femmes partir pour travailler dans l’industrie du sexe à Bangkok ou près des bases américaines. J’y ai observé une déshumanisation de ces femmes. Je me suis dit que quelque chose n’allait pas et je me suis posé la question : “Pourquoi ?” D’un point de vue sociétal, c’est juste une question, mais d’un point de vue religieux, c’est ce qu’on pourrait définir comme un symbole. Dieu m’appelait à aider l’humanité.
Vous êtes l’un des premiers à avoir développé une approche culturelle du rôle du missionnaire, que pouvez-vous nous en dire ?
Il faut respecter la culture des gens, pour moi, c’est vraiment important. Le rôle du missionnaire n’est pas seulement d’enseigner la Bible, mais de connaître et de tenir en estime les gens. En Thaïlande, la culture et la vie des habitants tournent autour du riz, pour comprendre les problèmes auxquels ils font face, il faut les écouter, écouter les histoires anciennes, l’influence des esprits et des croyances, les liens qui existent avec la nature. Avec mon équipe, nous essayons de faire prendre conscience aux gens de revenir à des valeurs où la nature est au centre, que faire pousser du riz avec des pesticides, c’est tuer nos ressources, l’eau et la terre.
Il faut également aider les minorités à construire leur histoire, génération après génération. Avant les années 1970, la démarche des missionnaires et des ONG consistait beaucoup plus à considérer les gens comme incapables et qu’il fallait donc leur donner de l’aide. Si ces ethnies étaient si stupides, comment ont-elles fait pour survivre pendant des centaines d’années sans les ONG ou l’Église ? Si on se pose cette question, on peut voir que chaque communauté a quelque chose de bon, il suffit d’aller à la rencontre, écouter et apprendre de ces gens. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans une logique d’absorption des autres cultures, nous sommes là pour apporter de la valeur sans que ces communautés ne perdent leurs racines.
Que pensez-vous de la société actuelle ?
Je suis assez inquiet. Le climat change beaucoup, la Thaïlande connaît de plus en plus de sécheresses suivie de phases d’inondations. Je pense que c’est la conséquence de ces 400 dernières années, où nous sommes passés d’un monde qui valorisait le côté divin de la nature à une ère moderne basée sur la science, centrée sur l’aspect matériel, le consumérisme, le capitalisme. Aujourd’hui, il n’y a plus de respect pour la “terre mère”, il n’y a plus de compassion et quand vous n’avez plus de compassion vous êtes plus enclin à être attiré(e) par le matérialisme et la société de consommation dans laquelle dès que vous voyez une publicité, vous pouvez vous connecter à Internet et acheter ce que vous voulez.
C’est la raison pour laquelle, j’ai travaillé sur une approche culturelle et communautaire, nous devons revenir à des valeurs où la nature est au centre, revenir à son aspect sacré. C’est là que les religions sont vraiment importantes, le bien-être des gens doit être au centre de notre mission, pour les aider à être libres de la modernité et non esclaves. Il faut sortir de cette modernité et être conscient du monde qui nous entoure pour amener un changement et participer à la construction d’une nouvelle société. Je ne dis pas qu’il faut retourner à la vie d’avant l’ère moderne, mais il faut revenir à plus de spiritualité, même sans l’Église.
Le capitalisme est à l’origine du fossé qui sépare les riches et les pauvres. C’est là que le 2ème concile du Vatican a changé les choses, avant il suffisait d’aller à l’église, de prier ou de payer pour aller au paradis. Le royaume de Dieu, il est ici sur terre, notre but n’est pas de convertir les gens, mais de les sensibiliser aux problèmes écologiques, à la pauvreté...
Que représente la communauté catholique dans le nord de la Thaïlande ?
Le diocèse de Chiang Mai a été créé en 1959 et comprenait huit provinces : Chiang Mai, Mae Hong Son, Prae, Nan, Lampang, Chiang Rai, Phayao. Au total, cela représente 70.000 catholiques et une centaine de prêtres.
Les catholiques proviennent surtout des minorités ethniques. En 1951, quand les missionnaires ont été chassés de Chine, ils sont venus s’installer dans le nord de la Thaïlande, ils avaient déjà des expériences avec les minorités là-bas.
Ici, il n’y avait pas de routes, le gouvernement ne s’occupait pas vraiment des minorités en Thaïlande, le contexte politique en a rajouté avec, dans les années qui ont suivi, la guerre froide, la guerre du Vietnam, les camps de Hmongs chassés par les communistes au Laos… Les religieux ont répondu aux aspirations de ces communautés.
Prenez-vous parfois des libertés par rapport aux dogmes du Vatican ?
Il existe des dogmes et c’est très bien de les avoir. Après, il y a les histoires personnelles de chacun. Quand vous avez des familles de 3, 4 ou 5 enfants, où les parents ont des difficultés pour les nourrir, en tant que prêtre, mon rôle est de les écouter, de les comprendre et de les respecter. Bien sûr, nous disons aux gens ce que l’Eglise dit sur tel ou tel sujet, mais nous comprenons qu’il faut parfois prendre d’autres décisions. La manière naturelle est la meilleure, mais il y a des outils qui sont bons pour contrôler les naissances par exemple. Parfois, Rome est très loin. Nous respectons l’Église, malheureusement elle ne connaît pas toujours ce qui se passe sur le terrain. Nous essayons d’aider les gens et non de créer des conflits moraux. Un ou deux enfants, c’est bien, après si les parents veulent arrêter, il faut être responsable. Maintenant en Thaïlande, il y a un autre problème, les jeunes dans les villes ne veulent plus avoir d’enfants.
Le pape François visitera la Thaïlande du 20 au 23 novembre, comment vous préparez-vous à cette visite ? En quoi est-elle importante pour les chrétiens de Thaïlande ?
La visite du pape François est un grand événement, il permettra de célébrer le 350ème anniversaire de la fondation de la "Mission de Siam" par le pape Clément IX. C’est un signe positif qui peut aider à revitaliser l’Église. Dans le contexte actuel de changement de la société, surtout à l’ère digitale et des défis liés au changement climatique, le pape peut faire passer un message fort auprès des jeunes et les inspirer à participer aux côtés de l’église à la construction d’une société meilleure. Je pense aussi qu’il peut insuffler une modernisation au sein de l’Église en Thaïlande, qui est une institution parfois un peu vieillissante, faire en sorte qu’elle soit plus en phase avec le contexte actuel.
D’une certaine façon, je me prépare à cette visite depuis mon ordination et encore plus depuis mes rencontres avec le pape à Rome en 2016, 2017 et 2018 en mettant en avant l’approche culturelle et communautaire et nous continuons à nous préparer puisque nous travaillons sur un programme, avec l’Église, pour continuer de développer cette approche en Thaïlande pour les 50 prochaines années. En janvier, nous ouvrirons un nouveau centre “The Asian School of Wisdom”, qui s’inscrit dans le sillage de la mission du pape François.
À un niveau personnel, je ne vais pas rencontrer le pape en novembre, j’assisterais aux événements comme une personne ordinaire, je laisse à d’autres personnes la possibilité de le rencontrer.