A seulement 16 ans, Ying vient d'accoucher d'un petit garçon, résultat de relations sexuelles non protégées. Comme elle, de plus en plus d'adolescentes thaïlandaises tombent enceintes chaque année, dans un pays à la réputation de liberté sexuelle où faire l'amour avant le mariage reste malgré tout tabou.
Assise dans le jardin d'un centre d'accueil de Bangkok, Ying (son nom a été changé pour préserver son anonymat) raconte simplement que le père du bébé a refusé d'utiliser un préservatif.
"Quand je lui ai demandé, c'est un homme, il n'a pas cédé", expliquait la jeune fille dont la robe d'été trahissait un ventre bien rond et qui donnera naissance quelques jours plus tard à un petit garçon. "Il en a utilisé un une fois que j'étais enceinte, mais c'était trop tard".
A six mois de grossesse, Ying a été accueillie par ce centre de l'Association pour la promotion du statut des femmes. "Mes parents avaient peur que je sois gênée avec mes amis, alors ils m'ont dit de rester ici", raconte la jeune maman qui n'a plus de contact avec le père du bébé. Et son expérience est loin d'être isolée.
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Des chiffres en augmentation
Selon l'ONU, le taux de natalité chez les adolescentes en Thaïlande était de 47 pour 1.000 pour les années 2006-2010. Et surtout, ce chiffre est en augmentation "ces huit dernières années" au lieu de diminuer "comme attendu avec un meilleur niveau d'alphabétisation, de développement, d'argent", note Caspar Peek, représentant du Fonds des Nations unies pour la population en Thaïlande.
Concrètement, en 2012, quelque 130.000 adolescentes thaïlandaises ont accouché, explique à l'AFP le ministre de la Santé Pradit Sintavanarong, qui estime qu'il faut probablement multiplier ce chiffre par deux pour avoir le nombre de celles qui tombent enceintes. La moitié aurait en effet recours à l'avortement, pourtant illégal sauf exception.
"C'est un problème de plus en plus important", et 12% de ces adolescentes retombent enceintes avant d'avoir 20 ans, insiste Pradit.
Dans un pays auquel colle une image de liberté sexuelle, et qui affiche une fécondité de seulement 1,5 à 1,6 enfant par femme, preuve de l'accès à la contraception, la situation a de quoi surprendre.
Des enseignants "mal à l'aise"
Mais cette société est en fait "très conservatrice" et en plein "déni", souligne le ministre. "Ils pensent que les adolescents ne doivent pas avoir de relations sexuelles, et c'est tout".
La Thaïlande destine ainsi traditionnellement aux couples mariés les programmes de planning familial qu'elle a développés "avec succès" depuis 40 ans pour réduire un taux de natalité alors de 6 enfants par femme, renchérit Caspar Peek, déplorant les lacunes des programmes d'éducation sexuelle à l'école où les enseignants "sont souvent mal à l'aise" autour de ce sujet.
Pour pallier la défaillance du système scolaire et la réticence des parents à parler de sexualité à leurs enfants, l'association du Planning familial thaïlandais a lancé une campagne pour sensibiliser quelque 80.000 lycéens d'ici juin 2014.
"Nous ne pouvons pas dire à quelqu'un de ne pas avoir de relations sexuelles ou l'en empêcher, c'est une chose naturelle. Mais ils doivent être prêts", insiste Somchai Kamthong, un de ses responsables, lors d'une après-midi d'information au lycée technique Panyapiwat, à Bangkok.
Une cinquantaine d'adolescents de 16 à 19 ans, affublés de ballons de baudruche gonflés sous leur T-shirt, ricanent pendant que deux de leurs camarades enfilent un préservatif sur un pénis en caoutchouc.
"La plupart des étudiantes ne savent pas dire non et ne savent pas se protéger", note Jittrakorn Kanphaka, un des conseillers de l'établissement où en moyenne deux élèves sur 130 arrêtent les cours chaque semestre pour cause de grossesse.
Et certaines sont parfois abandonnées par des familles qui "ont honte, c'est certain", commente Kantanick Nirothon, psychiatre au centre d'accueil de l'Association pour la promotion du statut des femmes.
"La plupart d'entre elles sont venues ici parce qu'elles n'ont nulle part où aller. Leur famille les a rejetées", poursuit-il, notant qu'une grande partie des pensionnaires du centre ont été violées, souvent par un proche.
Comme Pook (son nom a été changé), 14 ans, qui serre contre son coeur un nourrisson de 11 jours. "J'ai été violée par mon oncle", lâche-t-elle.
La jeune maman n'a pas l'intention de faire adopter son fils, une option proposée par le centre. Elle veut suivre une des formations (informatique, broderie, massage...) offertes par l'association, pour pouvoir subvenir aux besoins de son bébé, toute seule.
"Mes parents n'ont pas d'argent alors ils m'ont dit d'étudier ici et de prendre soin du bébé en même temps".