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KUKRIT PRAMOJ - Le charme d’une maison chargée d’histoire au cœur de Bangkok

Vivre dans une maison thaïlandaise traditionnelle au cœur de la ville de Bangkok, beaucoup en ont rêvé. Kukrit Pramoj, une des figures les plus éminentes de la Thaïlande du 20ème siècle, disparu en 1995, avait réalisé ce rêve. Il avait fait venir de la campagne des pavillons traditionnels, afin de récréer l’atmosphère d’une maison de maître d’antan sur un terrain de près de 8.000 m². Restée quasi-intacte depuis, la maison est devenue un musée.

Villa Kukrit BangkokVilla Kukrit Bangkok
Écrit par Ghislain Poissonnier 
Publié le 17 août 2023

Sa visite fournit l’occasion d’une plongée dans les multiples facettes de la culture thaïlandaise. Nichée dans une ruelle tranquille donnant dans le soi Suan Plu, au sud de l’avenue Sathorn, cette résidence, pleine de charme, est à l’image de la personnalité complexe et fine de son ancien propriétaire. Kukrit Pramoj l’avait occupée au cours des trente dernières années d’une vie riche de passions et d’évènements. "Il l’avait modelée et décorée avec soin et à son goût. Il y vivait seul, pour pouvoir se consacrer à ses passions, sa famille résidant toutefois à proximité", explique son fils, Rongrit Pramoj, qui passe pratiquement tous les jours à la résidence et accepte bien volontiers d’échanger quelques mots avec les visiteurs.

La maison se présente comme une succession de petits pavillons en bois de teck et aux toits couverts de tuiles orangées. Ces pavillons, de style Ayutthaya typique de la plaine centrale du royaume, sont entourés de verdure. Arbres, jardins tropicaux, fleurs de lotus, pelouse et étang aux larges nénuphars forment une protection abritant le sala, abri en bois où Kukrit aimait s’installer pour réfléchir et écrire. Nous sommes au cœur de Bangkok, et les chants des oiseaux couvrent les bruits de la ville. On en aurait presque oublié qu’en une trentaine d’années, le quartier de Sathorn s’est totalement métamorphosé. Seul l’immense immeuble The Met, qui se dresse dans l’axe de l’allée d’accès à la résidence, tel un vaisseau spatial s’élançant dans le ciel, nous ramène en ce début du 21ème siècle.

On pénètre dans la propriété par un pavillon d’honneur consacré à l’art du khon (théâtre traditionnel) et à ses masques mythologiques. Sur la droite, un petit temple chinois rappelle les origines d’une partie de la famille de Kukrit et son syncrétisme. En face, un jardin accueille des statues de style khmer et des arbres japonais, révélant l’éclectisme du personnage. Le jardin donne sur le complexe résidentiel comprenant un groupe de bâtiments de différentes tailles en bois de teck. On y trouve une petite maison, qui lui servait de retraite privée pour se détendre ainsi qu’une salle de réunion et une salle pour les représentations de Bouddha, toutes construites sur pilotis avec un balcon-terrasse qui les relie. Profondément bouddhiste et ayant une connaissance profonde des textes sacrés, l’homme aimait prier et méditer dans sa maison. L’intimité de Kukrit Pramoj est accessible en déambulant dans les pièces où il a vécu et où les objets lui ayant appartenu sont exposés : poteries, meubles en bois, boîtes en ivoire, céramiques, bibliothèques. Des panneaux et de nombreuses photos retracent son étonnante carrière et ses passions si variées, qui en font sans doute l’un des personnages les plus intéressants de Thaïlande contemporaine.

Noble banquier aux existences multiples

Issu d’une famille princière - il était arrière-petit-fils du Roi Rama II - il a connu une jeunesse dorée à la Cour du Roi, où il portait le titre de noblesse de Mom Ratchawong (MR). Envoyé à la fin de son adolescence en Angleterre, il effectua ses études à Oxford. Il en nourrit une double passion pour les idées européennes et la culture thaïlandaise. De retour dans le royaume, il devint banquier à la fin des années 30 et garda tout au long de sa vie un pied dans le monde des affaires. "Très marqué par la mort du roi Ananda, il s’était fixé comme objectif personnel et politique de protéger la famille royale et la royauté", ajoute Rongrit Pramoj, lorsqu’on l’interroge sur les ressorts intimes de son père. Il conserva des liens très étroits avec les membres de la famille royale, ce qu’attestent nombre de photos exposées. Son engagement politique se concrétisa lorsqu’il fonda en 1947 le parti du progrès. Il finit par rejoindre le Parti démocrate, avant de faire scission à nouveau avec le Parti d’action sociale. Il fut ministre, sénateur, puis président du Parlement de 1973 à 1974 et enfin le 13ème Premier ministre du royaume de 1975 à 1976, conservateur dans ses idées mais plutôt libéral dans ses politiques.

"Mais ce qui restera de Kukrit Pramoj sera sans doute sa contribution à la culture thaïlandaise et aux arts à travers son talent, son énergie et les réalisations qu’il a su provoquer", indique son fils. L’homme était assurément amoureux de la culture : écrivain, poète et artiste. S’intéressant à tout, y compris au cinéma, il a même tenu un rôle secondaire d’acteur aux côtés de Marlon Brando dans le film The Ugly American. Kukrit Pramoj a surtout beaucoup fait pour redonner ses lettres de noblesse à la danse traditionnelle thaïlandaise. Lui-même danseur, il a été un des fondateurs de la troupe de khon de l’université de Thammasat qui s’était fixée comme objectif de relancer cet art alors en voie de disparition sous l’influence de l’occidentalisation. Devenu chorégraphe, il enseignait la danse, la musique et les arts à la faculté et a contribué à en faire une des matières obligatoires de certains cursus universitaires. La troupe de Thammasat existe toujours et c’est actuellement la seule troupe, avec celle de l’université de Silpakorn, soutenue par le gouvernement.

Avide lecteur d’ouvrages de philosophie et de fictions, amoureux de la littérature, Kukrit Pramoj a écrit plus de 40 romans et pièces de théâtre, mais également des contes et des poèmes. Certaines de ses histoires sont devenues des classiques thaïlandais tels que Phai Daeng ("Le bambou rouge"), un roman qui fait dialoguer deux hommes que tout semble opposer, à savoir un chef de monastère traditionaliste et un chef de village communiste. Il est aussi l’auteur de l’un des premiers grands romans-fleuves de la littérature contemporaine, Si Phaendin ("Les quatre règnes"), disponible en anglais (éditions Silkworm Books). L’ouvrage retrace dans un style vivant et teinté d’humour la vie de Ploy, fille de l’épouse mineure d’un officiel de haut rang, entre l’époque de Rama IV et celle de Rama VIII. Le roman mêle histoire familiale, sentiments amoureux et intrigues de la cour du Roi, avec en toile de fond les évolutions progressives du royaume.

Acteur de la vie politique, Kukrit était aussi un journaliste, observateur attentif de la société thaïlandaise qui écrivait sur des sujets abstraits comme sur des sujets tenant à la vie quotidienne : famille, agriculture, cuisine, animaux domestiques. Fondateur en 1950 du Siam Rath, éditeur et rédacteur en chef de cet influent journal qui existe toujours, il y écrivait presque tous les jours un éditorial. Il participait aussi souvent à des émissions de radio, notamment entre 1962 et 1965 où il animait une sorte de talk-show avant l’heure. Ardent partisan de la liberté d’expression, il a lui-même été attrait en justice à plusieurs reprises pour ses écrits et son journal a été censuré notamment par le régime du maréchal Phibul Songkran. Kukrit Pramoj a bien eu "plusieurs vies" ("lay chiwit"), le titre d’un de ses meilleurs romans traduits en français (éditions Langues et Mondes) et sa résidence en donne un bon aperçu.

Ghislain POISSONNIER vendredi 21 mars 2014

La résidence de Kukrit Pramoj se situe au 19 Soi Phra Phinij, qui donne sur le Soi Suan Plu, un Soi qui est une perpendiculaire de l’avenue Sathorn
Téléphone 02 286 8185, 02 286 8185
Ouverture le week-end de 10 h à 17 h (et parfois en semaine).
Il est aussi possible de louer la maison de Kukrit Pramoj pour des évènements ou des fêtes familiales.

Ghislain-POISSONNIER
Publié le 20 mars 2014, mis à jour le 17 août 2023

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