Alors que la série Le Serpent fait fureur sur Netflix, Nadine Gires, l’un des personnages principaux du film, se confie à Lepetitjournal.com. La Française a côtoyé le terrible tueur en Thaïlande.
Diffusée sur Netflix depuis le 2 avril, la série à succès Le Serpent s’inspire de l’histoire vraie du tueur en série Charles Sobhraj. Se faisant passer pour un négociant en pierres précieuses, l'homme voyage avec sa compagne Marie-Andrée Leclerc à travers la Thaïlande, le Népal et l’Inde, le “Hippie Trail” (chemin des hippies) asiatique, sur lequel il commettra une série de crimes entre 1975 et 1976.
Né le 6 avril 1944 à Saïgon (Ho Chi Minh Ville) d’un père indien et d’une mère vietnamienne, Charles Sobhraj a grandi en France où il a obtenu la nationalité. Escroc, séducteur, détrousseur de touristes, roi de la cavale, expert en poison et meurtrier diabolique, sont autant de caractéristiques qui lui ont donné le surnom de Serpent. Il aurait tué 18 personnes.
Nadine Gires rencontre le Serpent à Bangkok
En octobre 1975, lui et sa compagne québécoise, Marie-Andrée Leclerc, s’installent à Bangkok, rue Saladaeng, dans la résidence Khanit House sous les noms d’Alain Gauthier et Monique, où vivent également un jeune couple de Français, Nadine et Rémi Gires. Des liens de voisinage et d'amitié se tissent entre les deux couples jusqu’à ce que les premiers soupçons émergent.
Nadine Gires, qui avait 22 ans à l'époque, a joué un rôle central en aidant le diplomate néerlandais Herman Knippenberg à monter un dossier contre Sobhraj qui a finalement conduit à son arrestation à New Delhi en juillet 1976.
Le casting de la série Le Serpent, qui a été tournée en 2020 Thaïlande et en Angleterre, est composé du talentueux Tahar Rahim dans le rôle de Charles Sobhraj et Jenna Coleman dans le rôle de Marie-Andrée Leclerc. Mathilde Warnier et Grégoire Isvarine interprètent les rôles de Nadine et Rémi Gires.
Séparée de son mari depuis 2005, Nadine Gires, aujourd’hui âgée de 68 ans, vit désormais à Khanom, une petite station balnéaire de la province de Nakhon Sri Thammarat sur le golfe de Thaïlande où elle tient un petit hôtel, le Bamboo Resort.
Elle a bien voulu partager avec Lepetitjournal.com son avis sur la série, sa participation dans le script et ses souvenirs des mois durant lesquels elle a côtoyé le tueur.
Que pensez-vous de la série Le Serpent ?
Je trouve que la série est vraiment très très bien, ils ont fait quelques entorses à la réalité pour ajouter un peu plus de suspense et c’est très réussi.
Quelles sont les variations les plus flagrantes entre la série et votre vécu?
Par exemple, la manière dont j’ai rencontré le diplomate néerlandais Herman Knippenberg, ça ne s’est pas passé comme cela. C’est dommage, car je trouve qu’il y avait plus de suspense dans la réalité. Il est évident que si j’avais su que Herman cherchait des informations sur ce couple de Hollandais que j’avais vu à Khanit House, j’aurais directement couru à l’ambassade des Pays-Bas. En réalité, je suis d’abord passée par un ami qui travaillait à l’AFP (Agence France Presse), je lui ai raconté ce que je savais et je lui ai demandé ce que je pouvais faire. De son côté, cet ami avait entendu parler d’un Belge qui se faisait embêter par un Français qui vendait des pierres précieuses. Nous avons vu ce Belge, en parallèle Herman l’a lui aussi rencontré et il a fini par nous contacter.
Un autre point que je trouve exagéré : dans la série, on peut voir que Charles me teste en me proposant un cocktail pour voir si je le soupçonne d’empoisonner ses victimes (NDLR : Dans la série on peut voir à plusieurs reprises Charles et Marie-Andrée mettre du poison dans les verres de leurs victimes). Dans la réalité, ce n’est pas arrivé. Pour moi, l’assassin Charles Sobhraj n’a jamais eu de soupçon ou de doute sur nous. Il n’a jamais su que nous savions ce qu'il se passait dans son appartement.
Il manque également un personnage dans la série. En plus du Français Dominique que l’on voit à l'écran, il y avait Yannick, un autre Français. Les deux hommes étaient hébergés dans l’appartement de Charles Sobhraj. Ce sont eux qui nous ont raconté ce qu’ils ont vu : la falsification des passeports, comment Charles droguait ses victimes, la disparition des deux Hollandais (NDLR : Les corps d’Heinricus Bintanja et Cornelia Hemker ont été retrouvés brûlés à la périphérie de Bangkok le 16 décembre 1975). Le lendemain, Yannick et Dominique sont rentrés en France, nous leur avons payé le billet d’avion. Yannick devait nous envoyer Interpol une fois en France, il nous avait promis monts et merveilles. Nous avons attendu des mois sans qu’il ne se passe rien. Yannick a disparu dans la nature, ce n’est que des années plus tard que nous avons pu retrouver sa trace, il ne nous a jamais donné de nouvelles et ne nous a jamais remboursés.
Au moment où Dominique et Yannick sont partis, Charles était en voyage. À son retour, dans la série, on voit qu’il me retrouve au bureau de poste. En fait, j’attendais une amie dans le lobby d’un hôtel quand j’ai senti qu’on tapotait sur mon épaule et je me suis retrouvée face à face avec Charles et Marie-Andrée. Ils m’ont proposé de rentrer avec eux en voiture. Le pire a été dans l’ascenseur, nous étions tellement à l’étroit que j’avais l’impression qu’il pouvait entendre mon cœur battre la chamade, il n’arrêtait pas de me demander où étaient Dominique et Yannick. Je pensais qu’il aurait des doutes vis-à-vis de moi, mais finalement non. Jusqu’à la fin, il n’a rien soupçonné. Après cet épisode, pendant un mois, je les ai côtoyés tous les jours en sachant ce qu’ils avaient fait !
Comment décririez-vous Charles Sobhraj ?
Il a été notre voisin entre octobre 1975 et avril 1976. Quand on ne sait pas que c’est un assassin, c’est un homme agréable en société, il parle plusieurs langues, il est cultivé, c’était intéressant de l’avoir comme voisin, mais le jour où l’on a compris qu’il commettait des meurtres, cela a été difficile de garder la face devant lui, j’ai eu des moments d’angoisses terribles.
Mon ex-mari avait compris très tôt que ce gars n’était pas clair, mais de là à imaginer qu’il tuait des gens… C’est vrai que c’était bizarre, car toutes les personnes qui venaient chez lui tombaient malades. Un jour, je lui ai demandé : "mais qu’est-ce qu’il se passe chez toi Charles, tout le monde tombe malade?" Il m’a simplement répondu : “oh tu sais, ce sont des routards, ils mangent dans la rue, avalent et boivent n’importe quoi, c’est la tourista”.
Que pensez-vous du choix de Tahar Rahim pour interpréter le rôle de Charles Sobhraj, ainsi que des autres acteurs ?
Je suis allée un jour sur le tournage. Quand je suis arrivée, Tahar était de dos et quand il s’est retourné, j’ai eu un choc. J’ai vraiment eu l’impression de me retrouver devant l’assassin. Physiquement, c’est lui! Tahar m’a posé plein de questions sur comment Charles était, comment il rigolait, il voulait vraiment cerner le personnage.
Marie-Andrée, par contre, ils ont fait un mauvais choix. Physiquement, ça marche très bien mis à part que Jenna Coleman est trop sophistiquée et c’est une anglophone qui ne parle pas français, ils auraient pu choisir une Québécoise, comme Marie-Andrée, pour le rôle.
Angela, l’ex-femme d’Herman Knippenberg, est très fâchée qu’ils aient choisi Ellie Bamber pour jouer son rôle, une poupée blonde alors que ce n’était pas du tout son style.
Et pour votre personnage ?
Mathilde Warnier est vraiment très bien, je suis même très contente de ce choix et aussi de certaines scènes, je n’ai jamais nagé aussi bien qu’elle! Je trouve aussi, et d’autres personnes m’ont fait la remarque, qu’il y a comme un air de famille entre elle et moi.
Vous vous êtes rendue sur le tournage, avez-vous participé à d’autres niveaux à la création de la série ?
Il y a 5 ans, j’ai été invitée à Londres en même temps que Dominique, Herman et le colonel de police Sompol Suthimai. Nous étions tous à Londres pour une semaine et tous les jours nous répondions aux questions des scénaristes. Ils voulaient connaître l’ambiance, comment était l’atmosphère à Bangkok, etc. Ensuite, au fur et à mesure que le script avançait, ils m’envoyaient les épisodes pour que je les commente. Pour le tournage, ils ne m’ont pas spécialement invitée, ma présence n’était pas requise, mais j’ai demandé si je pouvais venir une journée.
Êtes-vous toujours en contact avec les personnes que vous avez rencontrées à cette époque ?
Avec Dominique, nous nous écrivons de temps en temps, il est revenu en Thaïlande pour la première fois il y a une quinzaine d’années. Herman habite en Nouvelle-Zélande, quand il rentre en Europe, il s’arrête toujours à Bangkok et il me propose à chaque fois qu’on se retrouve pour dîner ensemble ainsi qu’avec le colonel Sompol Suthimai.
Mon ex-mari vit toujours en Thaïlande, dans le nord du pays où il cultive des légumes. Il n’a pas voulu se rendre à Londres pour témoigner de son histoire auprès des réalisateurs de la série Le Serpent.
À la fin de la série, on vous voit, vous et votre mari Rémi, rentrer en France, qu’avez-vous fait ensuite ?
En effet, nous sommes rentrés en France en juin 1976, pour des raisons professionnelles. Mon mari avait terminé son contrat et puis, nous en avions ras le bol, nous venions de vivre une période très stressante.
Deux semaines après notre retour, Charles et Marie-Andrée furent arrêtés. Quand nous avons appris la nouvelle, nous avons appelé Dominique, il est venu nous rejoindre à Paris et nous avons ouvert une bouteille de champagne!
La nouvelle de leur arrestation a vraiment été un soulagement. Nous avons ensuite rencontré la police au 36 Quai des Orfèvres. Ils n’avaient rien compris à l’histoire et nous leur avons donc expliqué en détail et, à la fin, ils nous ont demandé : mais à quel titre vous êtes-vous occupés de cela? Je me souviens qu’avec mon mari nous nous sommes regardés, interloqués. Il fallait simplement que ces meurtres cessent ! Nous avions simplement agi pour des raisons humanitaires !
À quel moment avez-vous décidé de revenir en Thaïlande ?
Avec Rémi, nous sommes restés un an en France et puis nous sommes partis pour l’île de la Réunion pendant trois ans, et ensuite deux ans à Madagascar avant de revenir à la Réunion pendant 7 ans. Ce n’est que 12 ans après notre rencontre avec Charles Sobhraj que nous sommes retournés en Thaïlande pour des vacances et, tous les deux, on s’est dit que nous n’aurions jamais dû partir de ce pays! Nous avions retrouvé l’ambiance de la Thaïlande, mais sans l’assassin et les histoires autour !
Nous avons donc vendu notre restaurant à la Réunion et nous nous sommes installés à Phuket pendant 23 ans. En 2005, je me suis séparé de mon mari et là cela fait 8 ans que j’habite à Khanom où je tiens un petit hôtel, le Bamboo Resort. J’y ai retrouvé la même ambiance, la même mentalité et gentillesse des habitants que ce que j’ai connu à Bangkok il y a 45 ans.