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ISABELLE NAZARE-AGA – "Le harcèlement scolaire est l’affaire de tous!"

Écrit par Lepetitjournal Bangkok
Publié le 28 mars 2014, mis à jour le 1 avril 2014

Thérapeute comportementaliste et cognitiviste, conférencière et auteure de best-sellers, Isabelle Nazare-Aga déjoue les manipulateurs et autres harceleurs. Alors que son dernier ouvrage, "Les parents manipulateurs", vient de sortir en France, elle était invitée au début du mois par le Lycée Français International de Bangkok pour discuter avec les parents d'élèves du harcèlement scolaire et notamment du cyber-harcèlement. Elle répond aux questions du PetitJournal.com

Isabelle Nazare-Aga vient de publier, le 20 mars, son cinquième ouvrage "Les parents manipulateurs", qui complète les deux premiers, "Les manipulateurs sont parmi nous" (1997) et "Les manipulateurs et l'amour" (2000). Spécialiste de la thérapie comportementale et cognitive, elle propose des formations professionnelles sur l'affirmation et l'estime de soi, la recherche des valeurs personnelles, la communication et la gestion du stress, ainsi que des séminaires sur l'art de faire face aux manipulateurs. Que ce soit en tant que thérapeute ou en tant qu'auteur, elle se consacre à une quête double: aider ceux qui doutent d'eux-mêmes à retrouver confiance et neutraliser les manipulateurs et harceleurs qui anéantissent l'estime de soi. Ses livres, traduits en plusieurs langues, se vendent à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires.
Issue d'une famille de grands voyageurs, Isabelle Nazare-Aga dit avoir séjourné dans 38 pays, dont la Thaïlande. Elle en est tombée amoureuse juste avant d'ouvrir son cabinet à Paris en 1990. Depuis, elle vient régulièrement dans le royaume, d'autant que son frère, Arnaud Nazare-Aga y vit depuis 2006 avec son épouse et ses deux garçons scolarisés au Lycée Français International de Bangkok (LFIB). C'est à l'occasion d'une visite de sa s?ur que ce dernier a proposé au LFIB d'organiser une conférence pour les parents d'élèves sur la question du harcèlement scolaire. L'événement a eu lieu le 1er mars au lycée devant une trentaine de parents. Un autre du même type devrait avoir lieu avec la thérapeute française en octobre prochain à l'Alliance Française de Bangkok.

LEPETITJOURNAL.COM - Pouvez-vous revenir sur la conférence qui s'est tenue le 1er mars au Lycée Français International de Bangkok (LFIB)?
Isabelle NAZARE-AGA - Ce fut une conférence très intéressante sur deux plans. Les personnes présentes m'ont spécifiée à quel point c'était enrichissant, nouveau. En même temps c'est aussi nouveau pour moi. J'ai l'habitude de faire des conférences depuis 25 ans sur le harcèlement moral, et là je pense être dans mon métier, car j'ai des adultes qui ont souffert du "bullying" c'est à dire du harcèlement scolaire. Je trouve donc un lien à faire entre ce que je vis en tant que thérapeute pour aider les gens à remonter leur estime de soi, leur notion de valeurs personnelles et leur confiance dans la vie relationnelle, et, en amont, ce qui a pu se passer dans leur enfance. C'était donc une excellente occasion pour moi de pouvoir notamment aider les parents présents à comprendre comment ils peuvent aussi s'impliquer pour éviter de passer à côté d'un enfant qui souffre de harcèlement scolaire.

Comment reconnaître les enfants qui souffrent de harcèlement scolaire? Et comment y faire face?
Les enfants qui souffrent de harcèlement scolaire ont une seule plainte, une fois en général: "de toute façon les autres ne m'aiment pas" ou "ils m'embêtent". Et très souvent, soit les professeurs, soit les parents disent: "Oh, eh bien tu n'as qu'à te défendre!". En fait, il faut aller plus loin. Il ne faut pas répondre cela et il faut plutôt lui demander "Comment t'embêtent-ils?", "Depuis combien de temps?" et "Combien sont-ils?". Il y a des critères pour le harcèlement, mais j'ai ajouté autre chose, je suis allée plus loin que d'habitude. J'ai travaillé sur le harcèlement, ses conséquences et sa prévention, car je le fais aussi dans les entreprises, je suis allé voir ce qu'il se passe dans le nouveau harcèlement depuis moins de 10 ans, qui est le cyber-harcèlement.

Que pouvez-vous nous dire sur le cyber-harcèlement?
Le cyber-harcèlement a été l'objet numéro 2 de la conférence au Lycée français. Le cyber-harcèlement, que l'on appelle autrement le "cyber-bullying", n'a pas besoin de répétitions pour être violent. Il se fait par SMS, par la voie des sites de partage de vidéos et photos, et par Facebook, principalement. Actuellement chez les jeunes, twitter n'est pas concerné et les blogs sont passés en désuétude - seuls 15% des adolescents utilisent les blogs. Majoritairement, les SMS vont être le vecteur d'un phénomène qui sort de l'école. Cela est nouveau. Même si les établissements et les enseignants ne peuvent avoir un contrôle au-delà [de l'école], les parents peuvent prendre le relais de la surveillance, notamment l'âge auquel l'enfant va s'inscrire, souvent illégalement, sur Facebook. Facebook a prévu que les enfants de moins de 13 ans ne peuvent avoir accès à ce genre de réseau. Il y a des jeunes qui créent néanmoins des comptes avant l'âge de 11 ans. On s'est aperçu que ces jeunes là étaient des harcelés à plus de 12%. Et chose très intéressante, on a maintenant des chiffres du monde entier pour parler du cyber-harcèlement et de ses méfaits- c'est d'ailleurs quelque chose que j'ai étudié avec de nouvelles recherches publiées par Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette. Ce sont des enquêtes sur des milliers de jeunes et ces jeunes de moins de 11 ans qui ont déjà un compte facebook. On s'aperçoit que 19% d'entre eux deviennent des harceleurs, tellement ils manient l'outil. Ce qui est intéressant dans le cyber-harcèlement, c'est que le profil type n'existe plus ? le profil du manipulateur est le pervers agissant avec méchanceté et intention de nuire, ce qui fait partie de la définition du harcèlement. C'est-à-dire que beaucoup de relayeurs ont tellement l'habitude d'aller vite avec leurs pouces sur les téléphones et claviers - on les appelle pour cela les "petits Poucet" ? que quand ils ont des informations, des photos dénudées, ils les rediffusent très vite par réflexe à leur groupe d'amis. Et si cela passe par Facebook c'est carrément tous les fichiers des copains.

On a deux phénomènes dans le cyber-harcèlement.
Le morcèlement des rôles des harceleurs: le harceleur démarre une photo, il l'envoie, tout le monde a eu sa part, et il retourne dans l'anonymat. Alors que si on regarde dans une cour de récréation, on a bien un élève avec ses acolytes, car généralement ils sont plusieurs, et on peut les identifier. Dans le cyber-harcèlement parfois on sait même plus qui a commencé.
Un autre phénomène dans le cyber-harcèlement dont j'ai parlé [à la conférence], c'est le "sexting". C'est un des moyens du cyber-harcèlement que l'on appelle le "outing", qui consiste à diffuser une information confidentielle, une confidence, une photo à des personnes qui font partie de groupes que ne connaît pas la personne qui envoie ces informations. Là-dedans il y a les photos sexy - parce que c'est l'âge qui fait que l'on se prend en photo tout ou partiellement nu, on montre ses seins à travers la webcam, etc. Les ados commencent à être amoureux, la fille a des connexions avec son petit ami, elle soulève son pull elle montre sa poitrine, le gars garde la photo et voilà. Puis, plus tard, pour l'embêter il envoie la photo à des amis, toute l'école est au courant, cela se diffuse au-delà des villes, et voilà qu'il y a des cas de suicide. Cela a été un gros sujet abordé lors de la conférence.

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VOIR AUSSI

Le site Internet d'Isabelle Nazare-Aga http://isabellenazare-aga.com

La page Facebook d'Isabelle Nazare-Aga
https://fr-fr.facebook.com/pages/Isabelle-Nazare-Aga

Les 30 critères du manipulateur (extraits du livre "Les manipulateurs sont parmi nous")
http://pervers-narcissiques.fr

  
  
  
 

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Comment ont réagi les personnes qui ont assisté à cette conférence?
Très bien. Il y avait majoritairement des parents qui ont été non seulement intéressés mais qui se sentent encore plus impliqués et souhaitent pouvoir participer à des démarches de prévention sur ce thème et être plus impliqués au sein du lycée.

Quels types de questions vous ont posée les parents d'élèves du LFIB?
Il y a eu des questions du type "Une fois que l'on sait qu'il y a harcèlement, on fait quoi ?". Les parents doivent en informer l'établissement, la direction, les professeurs. D'après leurs questions et leurs commentaires après coup, ils m'ont dit que j'étais en totale correspondance et en lien avec ce que fait la psychologue du LFIB, Violaine Jourdan. Elle fait déjà depuis un an de la prévention au harcèlement scolaire et le fait de la bonne manière, au niveau des enfants, groupe par groupe, classe par classe. Mais elle est un peu seule. Et c'est la première fois que les parents étaient impliqués. Pour ma part, j'ai une expertise internationale sur le harcèlement moral. Sur la conférence, seulement 30 parents sont venus, sur 1.000 élèves donc très peu. Ceux qui sont présents s'aperçoivent que c'est un vrai sujet. C'est un sujet dont nous, les adultes, nous allons devoir nous préoccuper très sérieusement - il y a des suicides d'enfants qui se sont ratés et d'autres pas. Je n'ai pas parlé du harcèlement de professeurs envers un élève, mais cela arrive aussi. J'ai fait un lien entre le harcèlement dans le travail et celui qui peut se trouver au sein de l'école, qui est très proche.

Les parents présents ont envie d'être inclus dans la vie de l'école de leurs enfants. J'ai d'ailleurs reçu des e-mails de remerciements pour cette intervention. On a parlé de l'estime de soi, des enfants qui étaient des cibles, on a parlé également des profils des témoins. Généralement le harceleur a des acolytes qu'on appelle les pairs ou témoins. Il y a trois catégories de témoins. Les actifs, qui sont en fait passifs mais qui sont présents lorsque leur camarade tape, injurie. Dans le cyber-harcèlement c'est celui qui peut filmer une situation de harcèlement. Il y a celui qui est observateur mais aussi celui qui est défenseur. Il faudrait faire des groupes d'enfants pour amener les "outsiders", les observateurs, à devenir des défenseurs. Cela en distillant l'idée qu'il doit y avoir de la solidarité entre les humains, de l'empathie, de la courtoisie, du respect et toutes ses notions qui ont un vrai sens dans le quotidien de chacun d'entre-nous, et cela doit commencer par l'école. Les enfants doivent apprendre ces notions-là par leurs parents mais elles doivent être relayées par l'école. Pourquoi? Car il y a des parents qui ne savent pas parler de cela avec leurs enfants, qui n'ont pas de philosophie de la vie, et d'autres qui sont eux-mêmes des manipulateurs - et cela m'étonnerait que ceux-là donnent les bons conseils. L'école peut faire valoir cette philosophie de vie de la relation entre humains, car dans quelques années ces jeunes seront dans le milieu professionnel.

En quoi le harcèlement moral à l'école est-il différent dans le milieu expatrié par rapport à ce que l'on peut observer dans d'autres milieux?
Premièrement, il semblerait que la différence soit acceptable et tolérée ici. On est dans un milieu où il y a beaucoup d'enfants, pas seulement d'expatriés, mais de Français hommes qui sont mariés avec des Thaïlandaises. Donc les enfants sont déjà soit métis, soit bilingues, une taille par forcément de celle des Français, mais pas non plus de celle des Thaïlandais. Ce sont des enfants, ici à Bangkok, qui ont déjà l'habitude des voyages, de la différence. Une autre chose que j'ai apprise grâce à l'intervention des parents, c'est l'utilisation de skype. Les mômes se contactent entre eux le soir via skype. C'est un bon moyen d'empêcher le harcèlement car on voit le visage de l'autre, il est donc beaucoup moins facile de harceler. C'est intéressant car cela peut expliquer pourquoi il y a moins de "bullying". J'ai interviewé mes deux neveux [qui sont au LFIB, ndlr], ils ne constatent pas à leur niveau (seconde et première), le harcèlement. Par contre, il y a des histoires qui commencent jeune et des fois c'est à nous, adultes, d'intervenir en instaurant de vraies politiques "anti- bullying" à l'école, en mettant en place des jeux de rôles, des créations artistiques, banderoles et affichages. Maintenant, j'imagine que dans une province française, le taux de harcèlement est beaucoup plus élevé car les parents ne voyagent pas, parce qu'ils s'occupent peut-être moins de ce qui se passe dans la chambre des enfants qui ont leur ordinateur ou leur smartphone - 60% des enfants ont un smartphone. Actuellement, 83% des enfants ont un téléphone portable selon les chiffres de 2013. On pense que d'ici 2015, 100% d'entre eux en possèderont un. Mais l'outil n'est pas le problème, c'est la façon dont ils vont utiliser l'outil sans s'apercevoir qu'ils peuvent faire partie d'un processus démoniaque et amener un véritable traumatisme chez un enfant qui peut soit être amené à changer d'école, soit à entrer dans une dépression sévère, avoir des idées suicidaires et finir par passer à l'acte. Donc la prise de conscience que les parents peuvent commencer à faire doit arriver jusqu'aux oreilles des enfants.

Qu'est-ce qui déclenche un processus de harcèlement?
C'est toujours la même source: la différence, que le harceleur va considérer comme un handicap. Il va par exemple considérer qu'untel est trop gros, ou qu'il a un nom débile. Pourtant, ces différences ne sont pas un handicap. Avoir les cheveux roux n'est pas un handicap, c'est juste une différence. Un harceleur classique, est un type qui est plus grand que son harcelé, plus âgé d'environ 1 ou 2 ans, il aime les moqueries et il a de l'humour. Il va lancer une blague, et cela va être tellement drôle, brillant, que toute la classe rigole. Il peut même arriver que le prof lui aussi rigole! Il faut que les enseignants soient attentifs à cela. Quel que soit le type de "bullying", à la base, c'est toujours issu de quelqu'un qui a l'idée de jouer avec l'autre. Mais ce jeu peut être plus machiavélique qu'un autre. On s'aperçoit également qu'il y a une grosse partie d'entre eux qui sont des étourdis. En fait c'est par inadvertance qu'ils deviennent des harceleurs. Ils ne se rendent pas compte que ce qu'ils font est grave et que les données qu'ils vont rendre publiques vont aller sur tout le réseau et que cela va pourrir la réputation de la personne. En gros c'est quand même pas mal d'inconscience.

Comment est-il possible de stopper ce type de harcèlement?
Par la formation. Il faut des formations sur plusieurs années - professeurs, psychologues, etc. -, et une sorte d'ambition de la part de la direction de chaque établissement. Il faut organiser des opérations comme celle du 1er mars au LFIB - les parents ont dit qu'ils feraient un compte-rendu. L'implication et la formation des parents est quelque chose d'important. La plupart des parents qui ont assisté à la conférence ont entre 40 et 50 ans, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas de la génération numérique ? génération de ceux nés après 1995. Il y a une prise en main de l'aspect numérique, les parents peuvent être dépassés, ils doivent donc s'informer sur ces outils, prendre des cours sur le fonctionnement de Facebook. Il y a cette idée que les jeunes utilisent Facebook comme un journal intime mais? public. Et ils sont furieux que leurs parents ou professeurs aillent voir leur profil.

Lorsqu'il y a un cas déclaré comment fait-on pour protéger la personne harcelée ensuite ?
Il y a plusieurs auteurs dans le processus de protection. Il y a papa/maman, il y a le professeur, le directeur d'école, il y a les pairs - qui sont au courant de ce qu'il se passe-, il y a les harceleurs et même la police. Il y a beaucoup d'acteurs autour de ça. Selon la situation, la réaction ne va pas tout à fait être la même. Par exemple, si cela se passe dans la cour de récréation, les parents peuvent être informés mais ils doivent informer la direction de l'établissement, qui doit faire une réunion avec chacun des professeurs de l'enfant harcelé, pour qu'eux prennent des décisions. Parmi les décisions, il y a des sanctions, mais il y a aussi des programmes que ne connaissent pas suffisamment les Français. Ce sont des programmes de suivi des harceleurs, qui sont faits par des professeurs motivés et disponibles, pour proposer au harceleur, en plusieurs séances individuelles -dont des séances avec le harcelé - de réfléchir sur comment résoudre le problème du harcèlement sur untel. C'est lui [le harceleur] qui va trouver la solution. Ce sont actuellement les programmes les plus efficaces que l'on a trouvés. Il y a plusieurs programmes, en fait, qui existent, mais celui-ci semble être le plus efficace. On fait participer les élèves pour arrêter le "bullying" - on est dans le harcèlement avéré, pas la prévention. La direction doit avoir fait des réunions pour réfléchir sur la sanction. Or, une sanction se donne, en fonction de la gravité de la problématique, du mode de fonctionnement, de la durée, de la violence. La sanction va être prise par un directeur d'établissement associé à des professeurs qui connaissent les élèves. Les parents devraient être là, mais le problème en France, c'est que les parents peuvent ne pas être entendus par le directeur parce que c'est un sujet qui est encore un peu tabou. En Angleterre, c'est carrément une loi qui exige que, la deuxième et la dernière semaine de septembre, tous les établissements aient mis en place et fait des réunions avec les élèves pour montrer qu'il s'agit bien d'une politique "anti-bullying" dans ces établissements. En France, c'est nouveau, c'est Luc Chatel qui a initié cela en 2011, mais pas suffisamment sur le plan pratique (voir notre article). Vincent Peillon semble prendre le problème à c?ur et, depuis décembre 2013, il y a une idée de faire un plan de prévention contre le harcèlement moral. Ce sont des réunions qui cherchent avant tout à éveiller la conscience. Je pense que d'ici 10 ans, si l'on fait cela sérieusement, le commun des ados va finir par réaliser et se responsabiliser, et qu'il ne restera plus comme harceleurs que les vrais pervers.

Pouvez-vous nous parler de votre dernier livre, "Les parents manipulateurs" paru au Canada fin février et en France le 20 mars ?
Quand j'ai écrit le premier livre "Les manipulateurs sont parmi nous", j'ai pris énormément de temps pour travailler: deux ans et demi d'écriture, toutes mes vacances, tous mes temps-libres, etc. Et cela a été exactement la même chose pour celui-là. Il a fallu beaucoup de témoins, beaucoup de travail sur les témoignages que j'ai dû trier. Pour le premier livre, cela a été tellement puissant que je me suis dit que je n'en ferais jamais d'autres. Parmi les gens qui venaient me féliciter dans la rue au Canada, neuf personnes m'ont demandée de travailler sur la thématique de l'amour, sur le couple, le conjoint. J'estimais qu'ils avaient tout dans le premier livre, mais je me suis quand même lancée. Ce livre part donc un peu de la même idée que le précédent. J'ai refait une enquête de 7.500 témoignages (soupir) et en fait c'était bien. Parce que j'ai décrit le deuxième livre "Les manipulateurs et l'amour" sur la chronologie - contrairement au premier qui était juste descriptif et disait comment s'en protéger dans tous les milieux - et il concerne un certain milieu. Mon projet initial portait sur les familles, père, mère, oncle, etc. Mais tout ce que j'avais ne pouvait entrer dans le format imposé par l'éditeur (250 pages).
Comprendre ce qu'est un profil de manipulateur est fondamental, mais ici il s'agit de comprendre et percevoir que l'on a un manipulateur dans son monde familial ou conjugal. Je me suis aperçue que les gens ne faisaient pas le pont avec la description d'une personnalité narcissique, qu'on appelle manipulateur - ou "pervers narcissique" chez les Français ou les Belges. J'ai voulu plonger les lecteurs dans une famille avec un père ou une mère manipulateurs. Mais pas en tant qu'enfant, en tant qu'adulte! Et j'ai voulu répondre à la question: "est-ce que cela fait une différence d'avoir un père - ou une mère - manipulateur une fois que l'on a grandi?". Et la réponse est oui. Tous les adultes qui ont témoigné m'ont donné des exemples d'un vécu qu'ils n'ont jamais oublié. Et cela a des répercussions dans leur vie actuelle. Et pas seulement, car ils continuent à voir leur parent à 50 ans. Et ces derniers continuent à mettre de la tension, oublier votre anniversaire, vous offrir un cadeau minable pas du tout adapté à vos besoins ou à vos goûts, alors qu'à votre âge cela fait un bon moment que vos parents devraient vous connaître.

Quel message cherchez-vous à faire passer par ce livre ?
A travers ce livre je veux montrer que quel que soit votre âge, si vous avez un parent manipulateur, les mêmes situations vont se reproduire, 40 ans plus tard, 50 ans plus tard, etc. Il y a un premier chapitre où j'ai parlé de ce que j'ai observé depuis 20 ans sur les habitudes des victimes: comment font-elles pour rester aveugles si longtemps. Je commence par démontrer quelque chose de typique des manipulateurs qui s'observe depuis longtemps, et sur lequel j'ai insisté dans cet ouvrage, ce sont les aberrations. Il s'agit certes des phrases assassines, mais aussi des propos fous, dans lesquels on a des affirmations. Et si les enfants n'ont pas de discernement ils ne relèvent pas que c'est fou. Par exemple les phrases du genre "Tu ne rencontreras jamais quelqu'un de bien", "Tais-toi, tu ne sais pas ce que tu dis, comme d'habitude", "Tu veux me commander mais tu n'y arriveras pas", "Tu es responsable de la mort de ton père", "Dans la vie les amis ça ne sert à rien". Beaucoup de personnes ne parviennent pas à affirmer que c'est anormal, et je voudrais, à travers ce livre, déclencher un processus de déculpabilisation à ne plus vouloir voir ce parent manipulateur, ne plus s'obliger à l'aimer sous prétexte que c'est "traditionnel".

Vous parlez des manipulateurs comme une pathologie, cela signifie-t-il que l'on peut les soigner ?
Non, on ne peut pas, pas encore du moins. Pour les personnalités narcissiques, "borderline", paranoïaques, schizophréniques, on est en recherche. Il y a quelques médicaments, les neuroleptiques, qui vont permettre d'éviter les hallucinations - on a la même chose pour les paranoïaques. Pour les narcissiques, il n'y a pas d'hallucinations, on a des propos aberrants, des raisonnements fous, mais ils ne sont pas en transe. Dans le sens populaire du terme, le propos est délirant mais il n'y a pas de délire au sens psychiatrique du terme. Le manipulateur ne souffre pas, c'est une personnalité que l'on appelle narcissique, tout son système est bâti sur une idée de lui-même qu'il doit se refaire absolument tous les jours. L'idée de lui-même qu'il doit avoir doit être supérieure aux autres. Le manipulateur veut toujours faire croire qu'il sait tout mieux que les plus experts en leur domaine, qu'il connaît tout, qu'il s'intéresse à tout, et peut dire des sottises incroyables qu'il affirme haut et fort. La majorité des manipulateurs ne reste pas dans un milieu moyen. Ils se débrouillent pour être dans les hautes sphères de la société. On les retrouvera surtout dans les postes de direction. C'est une pathologie haut de gamme, en quelque sorte.

Pouvez-vous nous parler de votre relation avec la Thaïlande ?
Très bonne ! Cela fait 25 ans que je viens. Je suis gemmologue par plaisir, et j'ai monté [vers la fin des années 90, ndlr] une société de pierres précieuses, nous étions notamment les premiers importateurs, avec celui qui est devenu mon mari, des saphirs de Ceylan en France. Nous avions notre bureau sur Silom, je venais entre 4 et 6 fois par an. Puis, nous sommes allés passer quatre jours de vacances sur les iles Phi Phi, le deuxième plus beau jour de ma vie. Mettre les pieds dans cette eau turquoise et ce sable blanc, j'ai eu un vrai coup de foudre pour cette ile. Et je l'ai encore, même si elle a beaucoup changé.
J'aime beaucoup la liberté que me procure la présence des Thaïlandais. On ne sent pas de jugement ici. Je ne me sens pas libre partout. Quand je vais aux Etats-Unis, je ne me sens pas libre ? d'autant qu'il me faut une voiture pour faire la moindre chose! A Phi Phi ou à Krabi - peut-être pas à Bangkok - on peut se détendre en tongs et en short, on mange quand on veut, et on mange bien, avec un bon rapport qualité prix, on prend le temps, il y a la plage, les massages, il y a un vrai art de vivre et je crois les gens heureux. Ce n'est pas le cas au Vietnam, par exemple. Je connais bien le Vietnam et j'y sens le poids du communisme, je sens le poids de la non liberté, je le ressens profondément. Les vibrations ne sont pas les mêmes. Je me sens bien aussi en Indonésie, à Bali, mais il y a quelque chose de profondément vivant en Thaïlande. Les jeunes sont éclectiques, heureux. Je n'y travaille pas, donc je ne suis pas trop agacée par leur très réputé manque de constance, de fiabilité. Ce sont des grands enfants pour moi. Il faut dire que nous sommes très sérieux, trop peut-être? J'aimerais vivre une partie de ma retraite ici, entre Thaïlande, France, Canada, et d'autres pays occasionnels.

Propos recueillis par Pierre QUEFFELEC (http://www.lepetitjournal.com/bangkok) mercredi 26 mars 2014
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Publié le 28 mars 2014, mis à jour le 1 avril 2014

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