Montagneux et enclavé, le Laos, connu aussi sous le nom de “batterie de l’Asie”, construit des dizaines de barrages à une vitesse vertigineuse afin de pouvoir vendre l’énergie aux pays voisins très consommateurs, pour sortir rapidement de la pauvreté. Mais les plans ambitieux du pays communiste restent controversés.
La majeure partie de l’énergie est exportée vers les pays voisins, le Vietnam, le Cambodge et la Chine, la plus grande part revient à la Thaïlande dont les gigantesques centres commerciaux de Bangkok aspirent à eux seuls d’énormes quantités d’énergie.
Mais les communautés locales ne tirent qu’un faible revenu de ces projets de barrages qui nécessitent généralement le déplacement et la réinstallation de centaines de villages, remodelant continuellement le pays et les systèmes fluviaux.
Cette semaine, le barrage qui s’est effondré dans le sud du Laos faisant au moins 27 morts et 130 disparus a mis en lumière les dangers du gros pari du pays sur l’hydroélectricité. Quelques questions clés :
Pourquoi tant de barrages ?
Avec un vaste réseau fluvial, des mines riches en minéraux et une population de seulement six millions d’habitants, le Laos est plus riche en ressources naturelles qu’en main-d’œuvre.
Avec la chute des revenus des exportations de bois et des mines d’or et de cuivre, le pays – et les investisseurs étrangers – ont investi des milliards de dollars dans le développement de l’hydroélectricité, considérée comme une source d’énergie propre pour électrifier le Laos et approvisionner ses voisins avides d’énergie.
Il y a actuellement 46 centrales hydroélectriques en exploitation d’une capacité de 6.400 mégawatts (MW). S’ajoutent à celles-ci, 54 autres centrales en construction qui devraient être opérationnelles d’ici 2020, selon l’agence de presse laotienne.
Si tout se passe comme prévu, le Laos génèrera 28.000 MW d'énergie en seulement deux ans – une quantité presque suffisante pour alimenter toute la Thaïlande pendant un an.
Le Laos espère ainsi faire évoluer son statut de pays à revenu moyen-inférieur d'ici 2020, selon la classification de la Banque mondiale, et augmenter son PIB annuel par habitant de 2.100 euros par rapport à son niveau actuel.
Où va l’énergie?
Environ 85% de toute l'énergie produite au Laos est exportée, principalement vers la Thaïlande, où les deux tiers sont aspirés dans et autour de la capitale de Bangkok, selon l'Agence internationale de l'énergie.
Près de 90% du Laos a accès à l'électricité, mais l'approvisionnement peut être irrégulier, en particulier dans les zones rurales.
"Même si cela peut suffire... pour alimenter toutes les maisons, il n'atteint pas toutes les habitations, tout du moins il y a un problème en termes d'accès", a déclaré Vanessa Lamb, professeur de géographie à l'université de Melbourne.
Alors, qui profite de l'argent?
Le gouvernement laotien tire des revenus de la vente de l'électricité à ses voisins. Bien que les chiffres ne soient pas publics, la Banque mondiale affirme que les investissements dans le secteur ne sont pas à la hauteur du montant du budget national.
Il faudra certainement encore attendre quelques décennies pour en ressentir les vrais bénéfices.
De nombreux contrats stipulent que les centrales hydroélectriques - souvent construites et exploitées par des entreprises étrangères, dont Chine ou encore Thaïlande - seront cédées au gouvernement du Laos dans 20 ou 30 ans, selon Keith Barney, conférencier à au département de l’Asie et du Pacifique de l'Université nationale australienne.
"Bien qu'il y ait eu beaucoup de construction de barrages, les redevances réelles et les recettes budgétaires - qui sont opaques - n'ont pas été si lucratives jusqu'à présent", a-t-il déclaré à l'AFP. "Elles commencent à arriver alors que ces projets avancent vers leur phase de maturité."
Les communautés locales en bénéficient-elles?
La plupart s’accordent à dire que jusqu'à présent, les revenus n'ont pas encore atteint lles communautés villageoises. Contrairement à d'autres pays, les résidents ne reçoivent pas un pourcentage du revenu d’exportation et peuvent souffrir de ces projets hydroélectriques.
En effet, les villageois sont régulièrement réinstallés pour laisser la place aux centrales et aux barrages. Les agriculteurs se sont plaints que le détournement de l'eau de la rivière détruit les terres agricoles, tandis que les barrages hydroélectriques coupent l’afflux de poissons.
Un rapport d'avril de la Commission du Mékong a prédit que jusqu'à 40% des espèces de poissons dans le bassin du Mékong pourraient être perturbées par la construction de barrages dans la région, un avertissement relayé par d'autres.
"La condition de la population pauvre dans ces zones de projets est pires à cause de ces barrages, pas meilleure", a déclaré Ian Baird, professeur adjoint de géographie à l'Université du Wisconsin-Madison.
"Les gens ne sont pas correctement rémunérés et quand les revenus arrivent, ils ne reviennent pas à ces personnes", a-t-il déclaré à l'AFP.