Propulsée candidate du Puea Thai il y a seulement un mois et demi par l'influence de son grand frère Thaksin Shinawatra, Yingluck n'avait alors aucune expérience politique. A la faveur de son nom mais aussi grâce à une campagne menée sans faux pas, elle a désormais la charge de mener la Thaïlande vers l'unité et la réconciliation. Sans doute au prix d'un sacrifice de son frère, dont le retour serait perçu comme une provocation par l'armée
Yingluck Shinawatra et le Puea Thai ont obtenu 265 sièges aux élections du 3 juillet, soit la majorité absolue (Photo Yann Fernandez)
En un mois et demi de campagne, Yingluck Shinawatra s'est transformée. Considérée seulement comme la petite s?ur de Thaksin et une novice en politique à l'annonce de sa candidature au mois de mai, elle est devenue au fil des jours une postulante forte, rassembleuse, victorieuse, et dorénavant chargée de devenir la première femme Premier ministre du pays. Vendredi pour son dernier grand meeting, Yingluck a pris la parole devant environ 25.000 supporters au stade national de Rajamangala. Sous des trombes d'eau, elle a galvanisé la foule par son discours populiste et passionnel ponctué à chaque phrase par des "Pi-Nong" (Mes frères et s?urs).
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Une communication parfaitement maîtrisée
La future Premier ministre a joué avec les images fortes pendant toute la campagne. Elle est apparue voilée dans le sud musulman, ou les pieds dans l'eau dans la province de Nan touchée par de fortes inondations, chaque étape de sa tournée électorale étant parfaitement maîtrisée par des experts en communication qui, au début, ne la laissaient que peu parler. Âgée de 44 ans, elle est mariée et a un fils, deux proches qu'elle a sporadiquement exposés à bon escient pour montrer qu'elle était capable de concilier son rôle de mère et d'épouse avec celui de femme active.
Grâce à des visioconférences hebdomadaires organisés avec des poids lourds du parti et Thaksin, Yingluck a vite appris, elle qui avait décroché un diplôme en sciences politiques à l'Université de Chulalongkorn à Bangkok, avant de changer de voie pour obtenir une maîtrise en administration des affaires aux Etats-Unis. A son retour en Thaïlande, elle avait notamment été dirigeante au sein de plusieurs firmes de Shin Corp, le conglomérat de télécommunication fondé par son frère, des expériences à responsabilité qu'elle a aimé rappeler durant la campagne.
"Alors, aimez sa s?ur comme vous l'aimez lui !"
Sur les conseils de son frère, Yingluck a annoncé hier qu'un accord avait été trouvé pour former une coalition avec quatre petits partis, le Chart Thai Pattana, le Chart Pattana Puea Pandin, le Phalang Chon et le Mahachon, alors que le Puea Thai aurait pu gouverner seul. Consciente de la popularité intacte, et même sans doute renforcée par le coup d'Etat de 2006, de Thaksin, notamment dans les régions pauvres du pays, elle n'a pas souhaité se défaire de l'étiquette de "s?ur préférée" ou encore de "clone" du fugitif Thaksin. "Aimez-vous mon frère ?", hurlait-elle au micro lors de ses meeting à l'assistance qui acquiesçait, rapportait Le Monde. "Alors, aimez sa s?ur comme vous l'aimez lui !"
Pour finir de séduire la base de son électorat, Yingluck a usé de promesses populistes comme un salaire minimum relevé d'environ 30% à 300 bahts par jour. Aujourd'hui, elle arrive au pouvoir avec des projets qu'elle souhaite mettre en place d'ici 2020, preuve que le Puea Thai pense pouvoir garder le pouvoir plusieurs mandats. Et des économistes l'alertent sur des mesures qu'ils jugent trop coûteuses pour le pays et les entrepreneurs.
Le chef de l'armée s'exprimera une fois le gouvernement en place
Mais la plus grande crainte de la Thaïlande est celle de replonger dans l'instabilité politique, récurrente ces dernières années dues aux interventions de l'armée et des tribunaux. "J'ai parlé aux dirigeants militaires, a expliqué hier matin à l'AFP, le ministre de la Défense du précédent gouvernement, le général Prawit Wongsuwan. Nous allons permettre aux politiciens de travailler. L'armée n'interviendra pas. Le peuple s'est clairement exprimé et nous l'acceptons." Le chef de l'armée, le général Prayuth Chanocha ne fera pas de commentaires jusqu'à la formation du nouveau cabinet. Du fait du raz-de-marée électoral en faveur du Puea Thai et de l'importance de la future coalition, forte de 299 représentants sur les 500 de la Chambre, une intervention des soldats semble désormais liée à d'hypothétiques provocations du clan Shinawatra. Pour le bien du pays, "il faudra que le pays observe une période de trêve de trois à six mois, durant laquelle les vainqueurs de l'élection devront garantir que le chef de l'armée et les hauts fonctionnaires ne seront pas changés, que les événements de l'année dernière seront examinés par le biais d'une procédure respectant la loi, que des personnes capables rejoindront le gouvernement , que les axes politiques ne dévieront pas de manière drastique, que le plan d'amnistie sera mis en veille et que Thaksin restera indéfiniment à l'écart de la politique," expliquait l'éditorialiste politique Thitinan Pongsudhirak dans le Bangkok Post une semaine avant le scrutin. Hier, Thaksin Shinawatra a confirmé que rentrer en Thaïlande n'était pas sa priorité. Un sacrifice personnel sans doute indispensable pour réaliser l'unité du pays.
Yann Fernandez (http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html) mardi 5 juillet 2011
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