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INTERVIEW – Chiranuch Premchaiporn, accusée de lèse-majesté

Écrit par Lepetitjournal Bangkok
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 5 janvier 2018

Chiranuch Premchaiporn, rédactrice en chef du site d'informations Prachatai, risque jusqu'à 20 ans de prison, accusée d'avoir tardé à retirer des commentaires d'internautes perçus comme des critiques de la monarchie. Elle avait répondu à nos questions la semaine passée et a réagi hier au décès en prison d'Ampon Tangnoppakul, qui avait été incarcéré pour crime de lèse-majesté

Chiranuch Premchaiporn dénonce la sévérité de la législation sur le lèse-majesté (photo CLC)

Chiranuch Premchaiporn, accusée de crime de lèse-majesté, attend le 30 mai pour savoir si elle devra être incarcérée. La rédactrice en chef du site d'informations en ligne Prachatai, qui risque jusqu'à 20 ans de prison, réfute les allégations selon lesquelles elle aurait tardé à retirer dix commentaires perçus comme des critiques de la monarchie en 2008. La mort en prison d'Ampon Tangnoppakul a relancé hier la controverse sur la législation concernant le lèse-majesté. Chiranuch, apparemment très touchée, a déclaré hier par téléphone au PetitJournal.com Bangkok que cette nouvelle montrait bien "l'absurdité et le caractère injuste de cette loi appliquée sans discernement". Selon elle, Ampon aurait dû bénéficier d'une remise en liberté en raison de son état de santé. "Cette loi est appliquée de façon trop mécanique, même pour des gens malades ou qui ne représentent aucun danger", a-t-elle ajouté. La semaine dernière, cette militante pour la liberté d'expression avait déjà répondu aux questions du PetitJournal.com Bangkok sur sa situation et sur la loi contre le crime de lèse-majesté.

Pouvez-vous nous présenter brièvement votre site d'informations Prachatai ?
Ce site d'informations en langue thaïe et en anglais est un site indépendant qui a été fondé en 2004 par une équipe de journalistes thaïlandais. Le but était de proposer une autre approche des problèmes de la société thaïlandaise, différente de celle présentée par la télévision et les grands médias qui sont souvent sous le contrôle des pouvoirs politique et économique. Nous voulons aérer le monde des médias, en couvrant des sujets qui ne sont généralement pas traités : l'impact des politiques publiques et de l'industrialisation, les droits de l'homme au quotidien et les violations commises par les autorités, les règles de démocratie participative, le respect des cultures et de l'environnement, les problèmes sociaux et syndicaux, la politique du gouvernement dans le Sud musulman et vis-à-vis des minorités et des immigrants etc. L'actualité en Thaïlande (coup d'état de 2006, lutte entre les Jaunes et les Rouges, situation dans le Sud) s'est chargée rendre ces questions encore plus essentielles et au c?ur des préoccupations des gens. L'équipe de Prachatai est constituée d'une quinzaine de personnes, dont 10 journalistes, souvent jeunes, qui vont sur le terrain et suivent une « autre » actualité et donnent la parole à ceux qui la prennent rarement. C'est aussi un site participatif en ce sens que des contributeurs extérieurs (universitaires, experts, militants associatifs) s'y expriment à travers des articles. Notre site est financé par de la publicité, des dons individuels et par des dons d'institutions ou d'ONG thaïlandaises ou étrangères. La réussite est au rendez-vous : le site est fréquenté par 10.000 personnes par jour en moyenne. Il a contribué à renforcer la conscience politique (au sens noble du terme) de beaucoup de gens et à pousser des jeunes à s'engager sur les questions sociales, économiques, de politiques publiques, de droits de l'homme.

Mais le forum de discussions de site Prachatai est désormais fermé : n'est-ce pas un échec ?
La décision de le fermer en juillet 2010 a été murement réfléchie, après les poursuites judiciaires engagées à mon encontre. On n'a pas voulu donner l'occasion à nos adversaires d'exploiter une nouvelle fois ce forum pour nuire au site mais aussi aux personnes qui y participent. On n'a pas non plus voulu que le forum puisse être utilisé contre moi dans le cadre des deux affaires dans lesquelles je suis mise en cause. Enfin, la fermeture était également un moyen de montrer que la liberté d'expression était bien menacée en Thaïlande. Bien sûr, cette fermeture peut être vue comme une victoire de ceux qui souhaitent limiter cette liberté d'expression. Mais sur un plan pratique, ce n'est pas une victoire, car au moins quatre nouveaux forums organisés par des personnes qui visitent le site mais qui ne travaillent pas pour nous ont été aussitôt créés de manière anonyme. Nous avons mentionné aussitôt sur notre site que ces forums n'étaient pas le nôtre et que nous ne les soutenions pas. Il n'empêche que de nombreux internautes s'y sont connectés et y ont débattus. Donc finalement, la situation est là même, si ce n'est que cette fois-ci, il y a moins de contrôles puisque le site n'est plus « modéré » par prachatai.com. Cela illustre bien l'impossibilité de tout contrôler sur internet et aussi le fait qu'en limitant la liberté d'expression, finalement on la renforce.

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Quelles sont les infractions qui vous sont reprochées ?
Il y a actuellement deux procédures à mon encontre. La première affaire fait suite à une plainte déposée le 11 août 2008 par Mom Luang Panadda Diskul, un proche de la famille royale, actuel gouverneur de Chiang Mai. Le 6 mars 2009, la Crime Suppression Division a effectué une perquisition dans les locaux du site de Prachatai et j'ai été arrêtée. Un ami, professeur de l'Université de Chulalongkorn, a dû payer une caution de 75.000 bahts pour que je puisse rester libre. C'est dans le cadre de cette affaire que j'ai été poursuivie devant la Cour criminelle de Bangkok de 10 charges d'accusation (dont chacune entraine une peine maximale de cinq ans de prison), correspondant à 10 commentaires effectués sur le forum de discussion de Prachatai entre avril et novembre 2008. Les poursuites ont été engagées par le bureau du procureur général (en charge de ce type d'affaires) sur le fondement des articles 14 et 15 du Computer Crimes Act (une loi adoptée en 2007 par le gouvernement issu du coup d'état de 2006). J'ai dû, par la suite, payer 300.000 bahts de caution (somme payée par ma s?ur) à la Cour pour pouvoir rester en liberté. Le procès a eu lieu avec différentes audiences en 2011 et 2012. J'attends maintenant le verdict pour cette première affaire, verdict qui sera rendu le 30 mai 2012. Je risque 20 ans de prison. La seconde affaire fait suite à 5 commentaires publiés en avril 2008 par des internautes en réaction à une interview de Chotisak Onsoong, un citoyen thaïlandais qui avait refusé en 2007 de se lever au cinéma de Central World à Bangkok durant l'hymne royal qui précède le film. Dès le lendemain, Sunimit Jirasuk, un homme d'affaires de Khon Kaen que je ne connais pas, a porté plainte auprès de la police locale. Alors que je revenais d'une conférence sur la liberté d'Internet en Hongrie, j'ai été arrêtée lors de mon arrivée le 24 septembre 2010 à l'aéroport de Suvarnabhumi par la police de l'immigration et emmenée au commissariat de Khon Kaen. Là aussi, j'ai été relâchée après avoir payé moi-même une caution de 200.000 baths. Les charges sont établies sur le fondement du Computer Crimes Act mais également des articles 112 et 116 du code pénal (crime de lèse-majesté et appel public à commettre une infraction). L'affaire est toujours dans les mains du procureur général qui n'a pas encore décidé si des poursuites judiciaires allaient être engagées devant une Cour criminelle.

Quelle est votre position sur cette double accusation portée contre vous ?
Je ne pense pas être coupable pour au moins deux raisons. Je ne suis pas l'auteur des écrits incriminés et j'ai fait ce qui était mon devoir comme rédactrice en chef du site Prachatai.
Les commentaires sont, pour certains d'entre eux, des extraits de discours de personnalités, discours qui ont été considérés comme antimonarchistes : par exemple, un discours de Da Torpedo, une leader des ?Chemises rouges?, condamnée à 18 ans de prison pour crime de lèse-majesté. Les internautes avaient mis des liens renvoyant à ces discours dans leurs commentaires. Il s'agissait naturellement de liens vers d'autres sites internet que le nôtre. Je n'en suis donc pas responsable. J'observe d'ailleurs que les personnes qui ont écrit ces commentaires n'ont pas été poursuivies pénalement, à l'exception d'une, qui a finalement été acquittée par la Cour criminelle, faute de preuve. Et en ma qualité de rédactrice en chef, j'ai immédiatement bloqué tous les commentaires considérés comme ?inappropriés? par le ministère de l'Information et des Technologies de Communication dès que j'en ai eu connaissance. Plus de 30.000 internautes visitaient chaque jour le site Prachatai entre 2007 et 2008. Le site avait volontairement retiré près de 3% des commentaires durant cette période. Mais il n'était pas possible de tout contrôler en temps réel. L'effacement des commentaires a toujours été effectué soit dans la journée, soit le lendemain, soit plusieurs jours après, mais jamais plus de 20 jours après leur apparition. L'intention criminelle s'apprécie aussi par rapport aux moyens humains et techniques dont un individu dispose. Nos moyens chez Prachatai sont limités. Un contrôle en temps réel est impossible. Compte tenu de nos moyens limités, nous avons fait le maximum pour effacer les commentaires en question, ce qui prouve ma bonne foi.

Quel soutien international avez-vous reçu ?
De nombreuses ONG se sont mobilisées : Human Rights Watch, Amnesty international, International Commission of Jurists et d'autres. J'ai reçu aussi le soutien actif de deux ONG françaises, la Fédération Internationale des droits de l'homme et Reporters Sans Frontières. Par ailleurs, j'ai reçu des prix qui ont tant contribué à ma protection qu'à nous aider financièrement : de la Fondation Heinrich Böll, d'International Women's Media Foundation, de Human Rights Watch, du réseau Ashoka. Les médias internationaux se sont fait l'écho de mon combat. S'agissant des médias français, j'ai été interviewée par l'AFP, Le Figaro, France 24, Elle, Le Monde, RFI, Le Nouvel observateur. J'ai aussi reçu le soutien de nombreux Etats, notamment par le biais de leur ambassade à Bangkok. Les ambassades les plus actives sont celles des quatre pays scandinaves et aussi celle de l'Union européenne. Mais les ambassades de la France, de la Suisse, de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne, de la Belgique, des Pays-Bas, du Canada et des Etats-Unis me manifestent aussi régulièrement leur soutien et envoient des observateurs à mon procès. J'ai rencontré l'ancien ambassadeur de France Laurent Bili et son épouse, magistrate. Ils m'ont fait savoir qu'ils soutenaient mon combat pour la liberté d'expression. Enfin, le coût de ma défense en justice est pris en charge par Media Legal Defense Initiative. De mon point de vue, cette mobilisation est positive, car elle va pousser la Cour de Bangkok à prendre sa décision en toute connaissance de cause. Il ne s'agit pas d'une forme de pression sur les juges. Il s'agit de leur faire prendre conscience qu'une liberté fondamentale est en jeu, que leur décision sera examinée de près et servira d'exemple dans le bon ou le mauvais sens. C'est une manière de les inciter à rendre une justice de qualité, dans le respect de la procédure. C'est qu'au-delà de ma situation personnelle, mon cas est emblématique en ce sens qu'il concerne tous les responsables de web sites ou de blogs. C'est la question de principe du contrôle de l'internet, qui est un espace de liberté : jusqu'où un Etat peut-il aller ? Et c'est aussi un problème nouveau. Les décisions qui seront rendues dans les prochaines années sur le sujet risquent de faire jurisprudence. Tout cela est à l'origine de cette mobilisation autour de moi.

Quelle est votre vision de la législation actuelle sur la lèse-majesté ?
Je n'ai rien contre le principe d'une loi qui protège le roi et qui permettre de poursuivre pénalement ceux qui l'insultent. C'est certes une limitation de la liberté d'expression, mais cette liberté n'est pas absolue et des limitations peuvent être posées pour éviter les abus. Toutefois, on voit bien aujourd'hui que cette loi est utilisée à mauvais escient. Il y a de plus en plus de poursuites pénales et elles sont dirigées contre des personnes à des fins politiques. Et les peines prononcées sont de plus en plus lourdes. C'est pourquoi il me semble légitime de débattre de la question de savoir s'il faut réformer ou non l'article 112 du code pénal. Or, aujourd'hui, en Thaïlande, les gens n'osent pas s'exprimer sur le sujet, parce qu'ils ont peur d'être poursuivis pénalement. Cette situation n'est pas normale. Sur le fond, je partage l'analyse du groupe Nitirat (ndlr: composé de sept universitaires de Thammasat, ce groupe a commencé fin janvier à collecter des signatures afin de déposer une demande d'assouplissement de la législation protégeant la monarchie). Il faut 10.000 noms pour qu'une pétition puisse être soumise au Parlement. J'espère que cette pétition va réunir les signatures nécessaires. Tout d'abord, il me paraît anormal que l'article 112 soit dans le chapitre du code pénal consacré à la sécurité nationale. Il devrait figurer dans le chapitre du code pénal relatif à l'insulte et à la diffamation. Ensuite, les peines prévues sont disproportionnées. Elles devraient être réduites. Par ailleurs, seul le roi, sa famille ou son entourage direct devraient pouvoir porter plainte et non toute personne comme en ce moment. C'est ce système d'ailleurs qui prévaut en Norvège. Enfin, des cas de dispense de condamnation devraient être prévus : par exemple, lorsque l'auteur des propos dit la vérité ou lorsque les propos en question contribuent à un débat d'intérêt général.
Propos recueillis par Ghislain POISSONNIER (http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html) mercredi 9 mai 2012

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Composé de sept universitaires de Thammasat, le groupe Nitirat a commencé fin janvier à collecter des signatures afin de déposer une demande d'assouplissement de la législation protégeant la monarchie.
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Publié le 9 mai 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

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