Frappés par une sécheresse historique, les habitants des pays riverains du Mékong se retrouvent dans une situation de plus en plus difficile. Le poisson et l'eau potable se font rares, et l'écosystème tout entier est en danger. Certains accusent la Chine d'être en partie responsable du problème, à cause des barrages hydroélectriques construits sur le bassin supérieur du fleuve
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Plusieurs millions de personnes sont concernés par la sécheresse sans précédent qui frappe le Mékong, et s'inquiètent de ne plus pouvoir vivre de la pêche (Photo Pierre Queffélec)
AFP - Un pêcheur amène son bateau sur les bords sablonneux du Mékong au Laos, afin d'inspecter son maigre butin. "Nous ne pouvons même pas attraper assez pour nous nourrir", déclare-t-il avec lassitude. L'an passé, à la même époque, cet homme de 38 ans arrivait à attraper plus de 10 kilos de poisson en une journée. Mais il s'estime heureux, en ce moment, de n'en ramener que la moitié. Il blâme un niveau de l'eau exceptionnellement bas, qu'il n'a jamais vu depuis sa naissance.
"Nous voulons savoir pourquoi. C'est notre vie, attraper du poisson et le vendre au marché. C'est notre travail de nourrir nos familles", dit-il alors qu'il retourne à son village situé à la périphérie de Vientiane. "Nous n'avons pas de mer au Laos, nous avons seulement le Mékong pour l'eau et la nourriture, c'est donc très important pour nous", déclare une autre villageoise de 63 ans, alors qu'elle patauge dans l'eau jusqu'à la taille à la recherche de son diner. La situation a alarmé les millions de personnes qui dépendent de ce qui est la plus importante source de poisson intérieure au monde, avec la prise d'environ 3,9 millions de tonnes par an, selon la Commission du fleuve Mékong (MRC). Dans le bassin supérieur du Mékong situé au sud-ouest de la Chine, plus de 24 millions de personnes sont à court d'eau potable suite à l'une des pires sécheresses depuis un siècle. En amont, le nord de la Thaïlande souffre également d'un faible niveau de l'eau record depuis 50 ans. "Je connais beaucoup de gens qui sont passés à l'agriculture car ils ne peuvent plus vivre des revenus générés par la pêche", explique Niwat Roykaew, chef d'un groupe local de préservation dans la province de Chiang Rai.
Les barrages chinois jugés responsables
Les causes de la diminution de l'espace navigable sont encore sujettes à un débat houleux, avec des activistes pointant du doigt les barrages hydroélectriques chinois qui, selon eux, acheminent l'eau loin du bassin supérieur du Mékong. Selon Pianporn Deetes, de l'organisation militante International Rivers, non seulement le niveau de l'eau chute, mais il "fluctue anormalement", et les perturbations de l'écosystème ont commencé après que la Chine a construit son premier barrage il y a un peu plus de dix ans. "La population locale a connu la perte de ses poissons et la destruction des ressources aquatiques", a récemment déclaré cette environnementaliste lors d'un forum à Bangkok. Avec une douzaine de projets de barrages en aval ainsi qu'en Chine, elle précise que les locaux "s'inquiètent des menaces qui pèsent sur l'écosystème, les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire". Mais les autorités chinoises insistent sur le fait qu'aucune preuve n'étaye ces accusations, et qu'un tel manque d'eau provient de la sécheresse qui sévit sur toute la région.
Un problème aux répercussions multiples
Quelles qu'en soit les raisons, le problème concerne plus de 60 millions de personnes qui vivent le long du Mékong et qui mangent chacun entre 30 et 40 kilogrammes de poisson chaque année, selon un rapport du MRC publié samedi. Les gens du sud-Laos, par exemple, ont compté durant des générations sur la diversité de la vie aquatique avec des régimes riches en protéines et ont des styles de vie "étroitement imbriqués avec le rythme saisonnier du fleuve", explique le rapport. De plus, le niveau anormalement bas de l'eau est en train de perturber les zones de pêche, suscitant des craintes sur des espèces déjà en danger comme le poisson-chat géant du Mékong qui peut peser jusqu'à 350 kilos, a déclaré le porte-parole du MRC, Amian Kean.
(http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html avec AFP) mardi 6 avril 2010
Un premier sommet de la Commission du fleuve Mékong sous fond de crise écologique
La sécheresse et le débat sur les barrages chinois ont dominé le sommet de la Commission du fleuve Mékong (MRC) en Thaïlande consacré à la gestion du fleuve, durant lequel sont réunis depuis dimanche les dirigeants du Laos, du Cambodge, du Vietnam et de la Thaïlande, ainsi que des ministres de Chine et de Birmanie. "Le fleuve Mékong est menacé par de sérieux problèmes venant à la fois de l'utilisation non viable de l'eau et du changement climatique", a averti le Premier ministre thaïlandais Abhisit Vejjajiva dans son discours d'ouverture, affirmant que le fleuve ne "survivrait pas" à une mauvaise gestion de ses ressources. Plusieurs points sont ressortis de ces deux journées de débats. Le Premier ministre laotien, Bouasone Bouphavanh, estime que le développement technologique est essentiel pour mettre une ?uvre une stratégie viable sur le long terme. Pour le Premier ministre vietnamien, c'est avant tout une coopération plus étroite entre les quatre pays membres de la commission et ses partenaires qui pourra permettre de soutenir un développement sain du fleuve. Par ailleurs, le ministère des Ressources hydrauliques chinois a accepté de fournir ses données hydrologiques du fleuve, recueillies par deux stations de contrôle établies dans la province du Yunnan, afin d'aider les pays en aval à prévenir la sécheresse au cours de la saison sèche. Ce sommet organisé à Hua Hin était le premier depuis la fondation de la Commission régionale du fleuve Mékong (MRC) en 1995.
(http://www.lepetitjournal.com/bangkok.htlm avec AFP) mardi 6 avril 2010