Dans l’une des plus importantes vagues de mobilisation agricole qu’ait connue le pays ces dernières années, plus de 5 000 tracteurs ont été stationnés sur les autoroutes et aux postes-frontières, coupant les liaisons entre les villes grecques ainsi que des axes de transport stratégiques vers les pays voisins — et le reste de l’Europe.


Les manifestants ont bloqué des ports, fermé le pont Rio-Antirrio, principal lien entre le Péloponnèse (sud de la Grèce) et la Grèce continentale, et sont même allés jusqu’à envahir un aéroport en Crète, provoquant l’annulation de vols. Plusieurs rassemblements ont dégénéré en affrontements violents, la police ayant eu recours aux gaz lacrymogènes pour lever certains barrages.
Les agriculteurs grecs ont ainsi poursuivi leur mobilisation pour une semaine supplémentaire, malgré l’annonce par Kyriakos Mitsotakis d’un plan de soutien de 160 millions d’euros lors du vote du budget 2026. Les blocages de routes, d’axes secondaires et de postes-frontières se sont intensifiés après une réunion panhellénique tenue vendredi.
Sur le plan politique, cette crise commence à peser sur le parti au pouvoir, Nouvelle Démocratie, dont les intentions de vote auraient reculé d’un point, à 23,5 %.
600 millions d’euros de subventions agricoles européennes impayées, au cœur de la colère
Les versements destinés aux agriculteurs grecs ont été fortement retardés en raison d’enquêtes liées à un vaste scandale de corruption autour de la Politique agricole commune (PAC), révélé plus tôt cette année. Des centaines de faux agriculteurs auraient déclaré de manière frauduleuse des terres et du bétail afin de percevoir des fonds européens. Selon une enquête préliminaire du Parquet européen, 324 personnes auraient ainsi perçu indûment près de 19,6 millions d’euros.
Des victimes collatérales par dizaines de milliers
En réaction, le gouvernement grec a démantelé l’agence chargée de distribuer les subventions et transféré cette mission à l’administration fiscale. Mais cette transition a laissé plus de 40 000 véritables agriculteurs sans paiement — des aides pourtant essentielles à leur survie. Dans un pays qui compte l’un des plus forts taux d’agriculteurs en Europe, mais une production agricole relativement faible, ces subventions servent souvent à couvrir des dépenses de base : carburant, alimentation animale ou semences.
Un système foncier à bout de souffle
L’une des causes structurelles de cette faille majeure réside dans l’extrême fragmentation de la propriété foncière en Grèce, conséquence d’un relief montagneux et de générations d’héritages successifs. Les parcelles sont souvent dispersées, et pendant des décennies les agriculteurs se sont échangé des terres de manière informelle, parfois par de simples accords oraux, tout en restant éligibles aux aides européennes.
Aujourd’hui, la donne a changé : les documents officiels sont devenus indispensables. Faute de contrats formels — et alors que la Grèce ne dispose toujours pas d’un cadastre complet, pourtant exigé par l’UE depuis 2010 — nombre d’agriculteurs se retrouvent exclus des subventions, incapables de prouver légalement l’usage de leurs terres.
Éleveurs étranglés et colère sociale
Les éleveurs ont également été durement touchés par des épidémies de variole ovine et caprine, l’État imposant des abattages massifs sans compensation financière. À cela s’ajoutent la hausse des coûts de l’énergie et de la production, qui a mis de nombreuses exploitations au bord de la faillite. Parmi les revendications figurent le versement immédiat des subventions, des indemnisations pour les animaux abattus et l’abandon des poursuites contre les manifestants.
En Grèce comme ailleurs en Europe, les tracteurs sont désormais devenus les symboles d’un malaise agricole profond — et d’un avertissement lancé aux décideurs politiques : sans réponses rapides, la colère continuera de bloquer routes, ports… et agendas européens.

























