Le jeune et brillant député LREM des Français de Suisse n’a pas la langue dans sa poche. La politique de « l’ancien monde » ne l’intéresse pas. Etre député n’est pas une fin en soi mais il compte bien mettre son mandat à profit pour porter loin et haut les projets nationaux.
lepetitjournal.com : Vous avez présenté une liste pour intégrer le bureau exécutif de La République En Marche lors du congrès de Lyon qui a vu Christophe Castaner prendre la tête du parti. Comment avez-vous vécu ce moment ?
Joachim Son-Forget : Très bien ! Notre initiative de mener une liste a permis à la démocratie de vivre en interne. J’estime qu’il n’y a pas de soi sans altérité et qu’il faut, pour que la démocratie vive, qu’il y ait un autre, qui vous challenge, qui vous pousse dans vos retranchements, qui vous chatouille. Cette initiative a été globalement très bien perçue. L’essence d’En Marche, c’est la prise de risque, et non le suivisme dans la discipline la plus aveugle. Nous avons fait dans ces circonstances presque 18% des voix à main levée, c’est bien.
Que proposiez-vous de différent ?
J’avais mis l’Europe en argument premier, j’avais mis une représentation des statuts (élus/non élus) tirés au sort, une représentativité assez aigue des origines sociales et politiques. C’était me semble-t-il plus équilibré chez nous. Dans la liste, il y avait des gens qui avaient cette ouverture au monde. Je pense beaucoup à la prochaine échéance : les élections européennes. Il faut sur ce sujet des gens ouverts sur le monde, qui parlent plusieurs langues, qui savent ce que c’est que de vivre ailleurs qu’en France. Cela me semblait capital.
Vous doutiez de la légitimité de Richard Ferrand comme président de groupe LREM à l’Assemblée, vous avez défendu votre conception de la démocratie lors de l’élection de Christophe Castaner… Etes-vous devenu le poil à gratter de La République en Marche ?
J’ai attiré à dessein plusieurs fois l’attention sur la distinction entre éthique et morale, notamment dans l’Hémicycle. Ce sont des sujets de philosophie politique intéressants, proches de la démarche républicaine. J’ai dit qu’en Démocratie on doit avoir le choix. Juste avant le Congrès de Lyon Richard Ferrand a d’ailleurs dit que c’était très bien d’avoir plusieurs listes. Christophe Castaner non plus n’a rien dit de mal. Les reproches venaient peut-être plutôt de participants d’autres listes. Ce sont des réflexes de l’ancien monde ! Ce n’est pas la façon de penser du président de la République. Dans la pensée du philosophe Paul Ricœur que j’ai relu, ce qu’il faut c’est : une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes. La réussite individuelle, la relation privilégiée de l’un à l’autre et la réussite du groupe ne s’opposent pas mais peuvent coexister. C’est en cela que je le trouve très proche de la pensée républicaine. C’est tout à fait moderne. Je ne connaissais pas Ricœur avant, j’avais d’autres références, plutôt de philosophie positiviste, matérialiste, scientifique… Je repars des fondamentaux, il faut déjà penser les choses avant d’avoir des réflexes, des tics de langage…
Vous représentez à Paris les Français de Suisse, quels sont les contentieux entre nos deux pays ?
Une grande partie des contentieux sont réglés. Avant que Mme Leuthard ne vienne à Paris, un arrangement a été trouvé qui permet de continuer sur des bases saines, notamment autour d’un concept de respect du principe de spécialité dans le cadre de l’échange d’informations fiscales. On pourrait progresser sur le recouvrement de créances par exemple qui peuvent parfois poser des problèmes. Le suivi de recouvrement n’est pas toujours simple en l’absence d’accord précis. L’absence de convention sur la succession depuis la dénonciation de celle de 1953 entre la France et la Suisse impacte autant les Suisses que les Français. Il n’y a pas de double imposition déjà, ce qui tort le coup à des idées reçues. Il y a un devoir de participation à la solidarité nationale. Quand cela devient confiscatoire, il faut s’en alerter. Il y a des velléités aussi côté suisse d’aller vers plus d’échanges économiques, d’accéder de manière libérale au marché notamment dans le secteur bancaire. J’entends des demandes des deux côtés.
Quelles sont les bonnes pratiques suisses dont la France pourrait s’inspirer ?
Il faut s’inspirer de leur modèle sur la vivacité des petites entreprises et de leurs PME, sur la flexibilité du milieu du travail qu’on essaye d’insuffler par les ordonnances. Les questions d’innovation, de start-ups, d’éducation de haut niveau... J’ai fait les célébrations du 11 novembre avec trois jeunes polytechniciens en échange en Suisse pour validation d’un double master entre l’X et l’EPFL que je connais bien pour y avoir étudié. Je me réjouis de ce partenariat. La Suisse a de l’avance sur l’apprentissage, la formation professionnelle. La ministre du travail, Mme Pénicaud, est venue en Suisse pour étudier ces questions. Le travail pratique est capital, et en Suisse, c’est intégré dans les parcours de qualification. J’ai moi-même appris plus auprès de chirurgiens privés en train de faire leur assistant principal que ce que j’ai appris après, jeune interne en radiologie.
Les députés des Français de l’étranger doivent-ils apporter un regard différent à l’Assemblée nationale ?
Je tiens à ne jamais dire que le député doit être un super conseiller consulaire. C’est le rôle que certains veulent nous assigner. Il faut être au clair sur les missions de chacun. Quand vous êtes conseiller consulaire, vous avez une mission qui vous incombe, qui vous oblige, certains la prennent à cœur, d’autres pas assez et y voient comme une antichambre du sénat. On peut se poser des questions sur les motivations de certains d’avoir une voix à Paris, à l’AFE. Comme député ou sénateur, il est écrit dans la constitution que la nation est indivisible et que l’on est député de la nation. A ce titre, vous vous saisissez de tous les sujets de l’État, y compris les sujets régaliens. Je le martelle. Oui, je m’occupe aussi de la Corée du Sud en tant que président du groupe d’amitié tout autant que de mes dossiers suisses. Et on connait mon attachement à mon pays de résidence ! Mais ça n’est pas négociable. Il faut avoir le courage de le dire.
Comprenez-vous l’inquiétude des Français de l’étranger concernant l’école ?
Les écoles, c’est mon premier sujet à l’étranger. Je suis très inquiet des restrictions de budget à l’AEFE, elles vont augmenter les prélèvements sur les écoles, et le risque c’est qu’ils soient transférés sur les écolages au lieu d’être pris sur les réserves. Plusieurs missions vont être confiées aux parlementaires.
Une mission est en cours, sur la question fiscale notamment, qui va permettre d’adresser le problème de contributions sociales CSG-CRDS qui sont demandées aux non-résidents. Il me semble que le transfert sur le Fonds solidarité vieillesse est abusif par rapport à l’Arrêt Ruyter, qu’il veut contourner. Là, il y a un traitement injuste envers les non-résidents. Ce n’est pas ceux qui ont beaucoup de moyens qui sont impactés, mais ceux qui veulent conserver un bien familial, le seul bien qui leur permet de rentrer au pays s’ils doivent s’y s’installer.
La dématérialisation est un peu le nerf de la guerre tant pour la fiscalité que pour les questions de procédures consulaires. Par exemple, j’ai eu des entretiens avec Centre d’Imposition des non-résidents : la saisie électronique de déclarations doit être reprises à la main dans certaines situations spécifiques. La modernisation n’a pas été jusqu’au bout de la chaine ! Par ailleurs est-il normal qu’un Français de retour n’ait pas de numéro fiscal qui lui permette d’accéder à un compte en ligne ? Non ! Il y a beaucoup à faire. L’objectif du Président est que l’on ne se déplace au consulat que pour donner ses empreintes biométriques, il faut s’y atteler.
Et le vote électronique ?
J’y tiens beaucoup. Avec l’augmentation de l’accès aux moyens informatiques, la démocratisation de l’accès aux smartphones en 5 ans, je suis certain qu’on aurait eu beaucoup moins d’abstention. Qui sait si la participation n’aurait pas dépassé la participation nationale ? En réalité, on a fait 64% au premier tour, le plus haut score de toutes les circonscriptions. Il y a l’effet Macron, mais aussi du travail, sur le terrain, pendant un an, sans même avoir de velléité personnelle car je n’ai su qu’au dernier moment que j’avais l’investiture. Ce n’est pas une fin en soi de devenir parlementaire, pas un Graal. Cela va durer un ou deux mandats, il faut s’inventer une nouvelle vie après. Beaucoup de parlementaires qui pensent comme ça ne sont pas sensibles aux petites menaces sur leur avancement dans leur carrière politique et tant mieux ! C’est ça le nouveau monde !
Quels retours avez-vous des Français de Suisse ?
Je travaille encore une fois par semaine en Suisse comme médecin. Je croise des électeurs régulièrement dans les transports, c’est important de ne pas perdre pied avec la réalité. Les Français de Suisse sont d’une droite plutôt libérale, sur le plan sociétal également. Ce sont aussi de grands indépendants. Ils attendent de leur député qu’il soit à leur image, qu’il ne travaille pas pour les intérêts clientélistes de quelques-uns mais pour la nation et le plus grand nombre. Ils ont une exigence intellectuelle, ne veulent pas de quelqu’un qui soit dans un environnement peu productif pour juste lever des verres chez le Consul ou l’Ambassadeur. C’est un vrai travers de la communauté française qui s’intéresse à des postes électoraux à l’étranger ! Ils sont dans l’apparat et la représentation uniquement, cela en est presque honteux car c’est de la dépense publique. Ce monde-là a besoin de se dépoussiérer. Il faut donner une autre dimension plutôt que d’être juste une sorte de super conseiller consulaire.
Notre rôle dépasse la fonction d’assistance consulaire, sans négliger les sujets locaux. Cette fonction de député des Français de l’étranger est à réinventer, elle doit en imposer, incarner le rayonnement de la France. Dominique de Villepin qui m’a soutenu m’a conseillé de continuer d’écrire, de produire des choses d’intérêt général. Il a raison. Je suis très actif sur des sujets de conflits internationaux (Corée du nord, Syrie), je suis co-rapporteur avec Jean-Luc Mélenchon sur la mission « mer et Océans, quelle stratégie pour la France ? ». Je développe également un think tank sur des questions d’innovation lorsqu’elle joue un rôle dans les changements géostratégiques majeurs : crypto-monnaies, économie du lithium, télémédecine, économie comportementale, défense et objets connectés….
Avez-vous encore le temps de faire de la musique ?
Un peu moins, je comptais mettre une épinette, un petit clavecin, dans un coin du bureau pour le soir. Je n’en ai pas encore trouvé. Mais j’ai des projets, il y a un beau festival en mars au Liban avec Gautier Capuçon, j’ai été invité à venir jouer, il faut que je retravaille vite !