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Georges Diener, un nouveau visage à la coopération culturelle

Varsovie Conseiller culturel Georges DienerVarsovie Conseiller culturel Georges Diener
Écrit par Alexandra Levy
Publié le 11 avril 2019, mis à jour le 11 avril 2019

Voilà quelques mois que M. Diener occupe la place de conseiller culturel et directeur de l’Institut français de Pologne mettant sa longue expérience dans la diplomatie culturelle au service de la coopération culturelle franco-polonaise. Il partage avec nous son regard sur le rôle de ce service ô combien important pour tisser et resserrer les liens entre les sociétés ainsi que sur les actions entreprises pour remplir cette mission.

 

Lepetitjournal.com/Varsovie : Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?

Georges Diener: Je suis historien de formation et ai commencé mon expatriation tout jeune en Hongrie. J’ai obtenu une bourse du gouvernement français pour faire des recherches sur un sujet d’histoire culturelle franco-hongrois, et c’est comme ça que mon histoire avec la diplomatie culturelle a commencé. Ensuite Bernard Kouchner, m’a invité à fonder le bureau de Médecin du monde en Hongrie. C’était au moment des grands bouleversements dans les pays d’Europe centrale et orientale avec la chute du mur de Berlin, et c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai accepté cette mission. Un an après, en 1990, le ministère des Affaires étrangères m’a proposé de fonder un centre culturel français en Roumanie. J’y suis resté 6 ans comme directeur du centre culturel français de Iasi, où j’ai « grandi » avec un pays en refondation. Après cette expérience unique et très riche, j’ai occupé le poste d’attaché culturel et de directeur du centre culturel français en Russie. Cette période m’a notamment permis de monter la saison russe au Festival d’Avignon, avec son directeur Bernard Faivre d’Arcier, qui a eu un énorme retentissement à l’époque. Puis j’ai été nommé conseiller culturel en Moldavie, une ancienne république socialiste soviétique. En parallèle de cela, j’ai continué mes recherches et ai finalisé ma thèse de doctorat. J’ai poursuivi mon parcours professionnel dans la diplomatie culturelle à Paris, pour garder un contact direct avec la France et éviter que mon pays ne devienne exotique pour moi (rires). J’ai travaillé à la coordination géographique pour les PECO (pays d’Europe centrale et orientale) et la CEI (communauté des Etats indépendants), c’est à dire l’ancien espace soviétique au sens large du terme. Ensuite j’ai pris la responsabilité du Bureau des solidarités francophones au ministère des Affaires étrangères. Puis, désirant diversifier mes connaissances, je suis parti au Kenya. Ce fut là une tranche de vie passionnante. J’ai renoué avec mes premières amours humanitaires parce que j’endossais aussi la casquette de correspondant humanitaire pour le Kenya et la Somalie. Il y avait énormément à faire. Ensuite, après un passage très enrichissant de quelques années en Finlande, je suis revenu en France, à l’administration centrale où j’ai complètement changé de domaine et ai occupé le poste de délégué adjoint aux fonctionnaires internationaux (promotion de l’expertise française dans les organisations internationales telles que l’ONU, l’OTAN, la Commission européenne, gestion des ressources humaines, communication, formation, réseautage…). Enfin, il y a quelques mois j’ai été nommé, conseiller de coopération et d’action culturelle-directeur de l’Institut français de Pologne à Varsovie. J’en suis très heureux car cette nomination correspondait à mon premier vœu. 

Même si je reste dans la diplomatie culturelle, chaque changement de pays me permet de découvrir une nouvelle facette de mon métier, de vivre une nouvelle vie.

 

Qu’est-ce qui vous a amené en Pologne ?

Je ressentais l’envie de revenir à la culture et le choix de la Pologne s’est fait tout naturellement parce que je voulais approfondir mes connaissances de ce pays que je connaissais un peu dans cet espace géopolitique qui m’est familier. J’étais très impressionné aussi par les liens historiques entre la France et la Pologne, dont les relations diplomatiques épousent le centenaire de l’indépendance. Le Lycée français a été ouvert à l'occasion de la reconnaissance diplomatique de la Pologne indépendante par la France et de la création, à la demande des autorités locales, d'une mission militaire française pour accompagner la construction d'une armée polonaise moderne. Les autorités françaises, pour accompagner la création de cette mission, ont décidé de proposer à Monsieur Abel Mansuy d'ouvrir une école française à Varsovie à la rentrée scolaire 1919. Spécialiste de Napoléon, auteur d'un livre "Josef Napoléon et la Pologne en 1812", Abel Mansuy était à ce moment-là, interprète à l'Etat-major Polonais. Son épouse, Suzanne, elle-même professeur de français, enseigna dans le même établissement. Le Lycée fonctionna sans discontinuer jusqu'en juin 1939. Face à la situation trouvée à Varsovie, le second proviseur, Jean Delobel (lui-même mobilisé), informa le ministère français de l'Instruction publique qu'il était impossible d'assurer la rentrée scolaire en septembre 1939. Certains des élèves de cette époque-là ont marqué leurs temps, comme Déborha Lifchitz, Tadeusz Lutoborski,Krystuna Felinska...

Cette formidable histoire de la Pologne, tourmentée et très dense, m’attirait beaucoup. Je dois dire que je ne suis pas déçu du voyage ! Et je suis par ailleurs très agréablement surpris par la vitalité et la bonne tenue des infrastructures culturelles polonaises.

 

Concrètement comment fonctionne l’action culturelle française en Pologne ?

Nous avons beaucoup de chance parce que nous bénéficions d’une très grande liberté de programmation dans le cadre du plan d’action de notre ambassade. Nous agissons en nous inspirant de la demande locale, en nous efforçant de rapprocher les sociétés civiles françaises et polonaises. Nous travaillons beaucoup avec nos partenaires des scènes théâtrales et musicales, les galeries, les musées, les cinémas, les établissements scolaires, les établissements d’enseignement supérieurs, les centres de recherche, les éditeurs, les libraires, les artistes, les créateurs, les collectivités locales, les associations... Nous sommes à leur écoute ; notre programmation n’est pas arbitraire. Elle se veut une réponse et une proposition à la vie culturelle locale, tout en dialogue avec la Pologne. Le général de Gaulle n’a-t-il pas dit que « si la France voulait être entendue sur la scène internationale, elle devait écouter le monde » ? Il est évident par exemple que l’actualité polonaise inspire notre agenda. Ainsi, dans le cadre de l’Année scientifique franco-polonaise, des manifestations labellisées sont établies (déjà près de quarante). Dans le domaine culturel, quand on est contacté par un théâtre polonais qui veut monter une pièce de Krystian Lupa, on examine comment on peut trouver une belle et cohérente articulation avec la France. Ou quand l’Opéra national nous annonce qu’il va accueillir les Folles journées de Nantes, on essaie de trouver des partenariats privés pour soutenir cette opération. 

 

Et sur la forme comment êtes-vous organisé ?

Notre dispositif de coopération et d’action culturelle comprend différents pôles : culturel et artistique ; linguistique et éducatif ; scientifique et universitaire ; gouvernance et coopération décentralisée. Pour développer ces secteurs il s’appuie sur  l’Institut français de Pologne avec ses deux antennes de Varsovie et Cracovie, les deux centres Campus France (promotion de l’enseignement supérieur en France), le Lycée français de Varsovie, le Service de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France, les réseaux partenaires des huit alliances françaises de Pologne, des trois centres issus de la coopération décentralisée, du Centre de civilisation et d’études francophones sis à l’Université de Varsovie, du réseau France Alumni (diplômés polonais de l’enseignement supérieur français) qui, avec ses 3000 membres et en association avec la Chambre de commerce et d’industrie franco-polonaise, est le plus actif d’Europe.  

Concrètement, nous diffusons la culture et la langue françaises en valorisant l’apprentissage du français au travers de nos cours de langue à l’Institut français et en renforçant le Lycée René Goscinny de Varsovie (homologué par notre ministère de l’Education nationale). Nous développons le français comme langue de l’emploi, promouvons l’utilisation de ressources numériques novatrices, appuyons les établissements scolaires polonais en faveur de l’enseignement précoce du français et de l’enseignement bilingue (polono-français), participons activement aux actions menées dans le cadre de la francophonie aux côtés de nos partenaires... Nous diffusons l’offre artistique française et les coréalisations franco-polonaises, favorisons le débat d’idées, l’expertise et le savoir-faire français dans toutes les disciplines – des industries culturelles et créatives à la gastronomie française en passant par le développement durable, appuyons la coopération décentralisée particulièrement grâce à notre opération phare en faveur des villes durables dénommée Eco-Miasto. Et nous développons aussi des actions pour l’égalité des genres, la diplomatie sportive, la promotion de l’Etat de droit.

 

Les Alliances françaises font-elles parties du dispositif ?  

L’Alliance française est un partenaire, et non un opérateur. Ces alliances jouent un grand rôle  dans la promotion de la coopération franco-polonaise en région, tout  comme les trois centres issus de la coopération décentralisée, avec lesquels on collabore beaucoup, que sont la maison de Saint Etienne à Katowice, la maison de la Bretagne à Poznan et le centre franco-polonais côte d’Armor Warmie Mazureie à Olsztyn. Ces trois organismes sont très actifs. 

 

Je suis convaincu de l’intérêt à rééquilibrer notre dispositif de coopération et d’action culturelle vers les régions. Nous pouvons  pour ce faire nous appuyer sur ce très beau réseau partenaire ainsi que, naturellement, sur notre antenne cracovienne de l’Institut français de Pologne. Ce rééquilibrage porte ses fruits comme le démontre la très belle installation  Sarkis-Kantor à Cracovie. Sarkis a obtenu carte blanche de la Crikoteka  pour revisiter l’œuvre  de Kantor. C’est la première fois dans l’histoire qu’un artiste est autorisé à « toucher » à ce monstre sacré polonais. Et nous sommes très fiers d’avoir contribué à ce tournant.

Ma visite des huit Alliances françaises et des centres issus de la coopération décentralisée m’a permis de confirmer ce que j’imaginais, c’est à dire un très fort ancrage local, une connexion directe avec les acteurs publics et privés et ça c’est fondamental. A l’occasion du mois de la Francophonie j’ai comptabilisé 75 événements qui ont été organisés, même si en réalité il y en a eu beaucoup plus mais on ne les connaît pas tous. De magnifiques  artistes se sont produits à Lublin comme Justyna Bacz, et Richard Galliano, accordéoniste de renommée internationale ;  le groupe français Bergam a quant à lui joué à Wroclaw. Ces quelques exemples en disent long sur l’intérêt d’accompagner les alliances françaises et les centres issus de la coopération décentralisée.

Dans la capitale, il y a évidemment plein de choses à faire et je souhaite qu’on décloisonne au maximum nos différents secteurs en travaillant en collaboration avec tous nos partenaires. Le Centre de civilisation français et d’études francophones, qui a une programmation extrêmement ambitieuse, a prouvé avec un beau succès qu’il peut travailler en étroite collaboration avec l’Institut français et la Chambre de commerce et d’industrie franco-polonaise en participant à l’organisation d’événements sur l’intelligence artificielle au musée Copernic et à l’Université de Varsovie. 

 

Les liens historiques et culturels entre la France et la Pologne sont, ou du moins étaient, particulièrement forts. Comment faire vivre un tel héritage ?

Vous avez raison, les liens sont très forts et alors que les relations politiques connaissent le sort que l’on sait, la coopération culturelle, artistique, scientifique, décentralisée prend tout son sens. Notre histoire nous oblige : on estime qu’on a une mission et même un devoir de renouer avec cette belle tradition. Dans ce pays très dynamique qui compte (5ème puissance de l’UE), la France a perdu du terrain ces trente dernières années. Mais elle conserve un réel potentiel d’influence que l’on s’emploie à développer. D'où l'importance d'un travail de reconquête et réinvestissement des esprits ainsi que des marchés afin de rétablir des échanges bilatéraux davantage en conformité avec ce que la proximité culturelle entre les deux sociétés civiles peut légitimement laisser espérer. La bonne réputation de notre dispositif de coopération et d’action culturelle en Pologne offre un terrain particulièrement propice à ce développement.

Les co-réalisations entre équipes française et polonaise à travers des résidences d’artistes par exemple, comme on l’a fait avec Daniel Buren qui est resté 15 jours ici l’automne dernier et a travaillé avec des plasticiens en participant à des ateliers, permettent de « labourer » en profondeur. Des actions en format Weimar (coopération France-Pologne-Allemagne) sont également proposées lorsqu’elles sont pertinentes.

 

Vous essayez également de promouvoir le développement de la scène culturelle locale ?

Tout à fait ! A travers des coopérations franco-polonaises, on soutient aussi le développement de la culture polonaise. Mais l’inverse est vrai aussi comme en témoigne par exemple l’exposition Une avant-garde polonaise qui a eu lieu au Centre Pompidou. La coopération doit aller dans les deux sens. Si elle est à sens unique, c’est de l’export, une sorte d’avatar colonial, qui n’a de justification nulle part dans le monde et n’a d’ailleurs jamais existé entre la France et la Pologne. 

Les médiateurs culturels de la coopération bilatérale sèment des graines et on espère qu’à travers le rapprochement des sociétés civiles, elles vont éclore, grandir et nous dépasser. 

Ce sont de belles réussites quand on sait qu’on est source d’inspiration et qu’ensuite la coopération vit  sa propre vie. 

 

Y a-t-il des choses qui vous touchent particulièrement dans la culture polonaise ?

Toutes ces magnifiques philharmonies à Katowice, Wroclaw, Szczecin et dans bien d’autres villes, tous ces efforts épaulés par l’Union européenne qui a mis beaucoup de moyens mais à parité avec les Polonais qui ont donc fait le choix d’investir dans la culture ! Et puis la qualité justement de la scène musicale et théâtrale. C’est prodigieux, il y a des musiciens extraordinairement doués en Pologne qui s’inscrivent dans une longue lignée prestigieuse et qui nourrissent cette appétence française pour la Pologne. Sans parler du théâtre et ses grands noms comme Lupa,  Warlikowski et Seweryn le directeur du théâtre Polski qui a été le professeur de l’administrateur  de la Comédie française. D’ailleurs, on travaille toujours avec la Comédie française à travers tous ces précieux liens franco-polonais qui ont été tissés. Ainsi, dans le cadre du mois de la Francophonie, la plus célèbre et prestigieuse institution théâtrale française s’est associée à Drameducation* pour revisiter Molière et le remettre au goût du jour !

 

Quelles sont les manifestations prévues dans le cadre du centenaire de l’indépendance polonaise et des relations bilatérales ?

On a prévu  une importante exposition intitulée A l’Est la guerre sans fin, 1918-1923. Ce titre parce que on apprend dans nos manuels d’Histoire que la grande guerre cesse le 11 novembre  en 1918. Mais en Pologne, les conflits se poursuivent jusqu’en 1923... L’exposition sera exposée sur les grilles de l’Ambassade et un deuxième jeu va tourner partout en Pologne. Elle sera inaugurée en avril avec la participation  de Jean-Noël Jeanneney, éminent   historien français qui a été également président de Radio France, président de la Mission du Bicentenaire de la Révolution française et de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, par deux fois ministre au début des années 1990, président de la Bibliothèque nationale de France de 2002 à 2007. Il est actuellement producteur d'une émission de radio hebdomadaire sur France Culture, Concordance des temps. On va également, tout au long de l’année, labelliser des grandes manifestations artistiques qui se feront sous l’office du centenaire. Et le 28 septembre sera consacré à la célébration officielle du centenaire du Lycée français de Varsovie.

 

Après quelques mois, quelles sont vos premières impressions sur Varsovie ?

Mon épouse et moi-même sommes ravis d’être ici. On était volontaires pour venir et nous sommes partis dans de très bonnes dispositions d’esprit mais on ne s’attendait pas à une telle qualité de vie, notamment après avoir vécu en Finlande où nous avons trouvé dans ce pays nordique une très belle articulation entre culture et nature. Mais en Pologne aussi ! A Varsovie, par exemple, je circule partout à vélo. Il y a de plus en plus de pistes cyclables, les parcs sont magnifiques et très bien aménagés ce qui m’offre l’embarras du choix pour courir le week-end. La Pologne c’est aussi ses forêts et ses milliers de lacs. Je suis amateur de ski de fond et le pays regorge d’endroits magnifiques pour pratiquer ce sport… Je suis totalement séduit par la beauté des paysages. 

 

 

* Drameducation - Centre International de Théâtre Francophone en Pologne est un organisme qui conçoit, produit et réalise simultanément plusieurs projets autour du théâtre et de la langue française en Pologne, et plus largement dans le monde. Il a pour mission la promotion de l'apprentissage du français à travers le théâtre et le développement du théâtre contemporain francophone. 

 

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Alexandra Levy
Publié le 11 avril 2019, mis à jour le 11 avril 2019