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SOUVENIRS DU COMMUNISME - "Quand j'ai vu des gens acheter des yaourts par packs de six ou douze, je n'en revenais pas"

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 10 juin 2014, mis à jour le 11 juin 2014

A l'occasion des vingt-cinq ans des premières élections libres en Pologne, LePetitjournal.com/Varsovie a donné la parole à des Polonais pour qu'ils nous racontent leurs souvenirs de la période communiste. Aujourd'hui, Kasia R. …

Née en 1975, Kasia R. avait quatorze ans lors des premières élections libres. Elle revient pour nous sur son adolescence dans les dernières années du communisme en Pologne.

Pouvez-vous nous parler des magasins ?
Il n'y avait pas beaucoup de vêtements, on portait tous à peu près la même chose. Concernant l'alimentation, il y avait beaucoup de petits magasins, comme des petites cabanes en bois, ou alors des supérettes, où globalement il n'y avait rien. On avait des coupons. Par exemple, c'était un kilo de sucre par personne et par mois. C'est simple, en passant dans la rue, s'il y avait la queue devant n'importe quel magasin, les gens se mettaient dans la queue parce que cela voulait dire qu'il y avait quelque chose. 

Et des programmes scolaires ?
On parlait beaucoup de l'Union Soviétique qui nous a sauvé. On commençait l'histoire à onze ans, je me rappelle que sur mon livre, il y avait des photos de soldats soviétiques et polonais avec des fleurs rouges dans les mains. J'avais une professeure d'histoire au lycée, qui a fait de la prison parce qu'elle n'enseignait pas le programme officiel, elle a brûlé des manuels. Sinon, la langue apprise à l'école c'était le russe, on n'avait pas le choix. Moi je voulais apprendre le français depuis que j'avais entendu Mireille Matthieu chanter dans une émission à la télévision. 

Vous souvenez-vous du jour de l'annonce de la mise en place de la loi martiale ?
Quand Jaruzelski a parlé à la télévision, ma mère a pleuré et dit que ça allait être la guerre. Après je me souviens des changements qui ont suivi. On partait tous les ans en Basse-Silésie en voiture pour aller voir ma grand-mère. On empruntait une petite Maluch*, les voitures qui ressemblaient à des boites d'allumettes. Mes parents ont attendu longtemps pour avoir les domiciliations de mes grand-parents et prouver qu'on allait bien voir de la famille. A la frontière de chaque ville, il y avait plein de soldats, il fallait comme des mini passeports pour en sortir. Ils étaient armés et fouillaient les voitures. Sinon, le soir aussi était très différent, c'était comme une ville morte, c'était pesant. Après, comme toujours, tout le monde s'est habitué, il y avait des plans pour savoir dans quelles rues il n'y avait pas de milicien, et donc mes parents sortaient après le couvre-feu. 

Pouvez-vous me parler de la milice ?
La milice pouvait venir fouiller les maisons à n'importe quelle heure, sur dénonciation, souvent à tort, des voisins. Elle était très corrompue. Une de mes voisines faisait de la contre-bande d'alcool, mais comme ses plus gros clients étaient les miliciens eux-mêmes, elle n'a jamais eu de problème. 

Et des manifestations publiques ?
Pour le 1er mai, on était tous habillés avec des beaux vêtements, des robes blanches en dentelle, et on défilait avec des fleurs à la main ou des ballons. Il y avait du monde partout, c'était comme la Coupe du Monde 1998 en France. Moi je ne savais pas pourquoi je défilais, j'adorais, on voyait les copines et on mangeait des glaces. 

Quelle image aviez-vous des États-Unis et de l'Europe de l'Ouest ?
Ma première image des États-Unis, c'était par une amie dont le père était parti en 1981, et elle avait des super trucs. Il lui envoyait des Barbies, une trousse rose, des gros chewing-gums, des vêtements super, des chocolats, et nous on en n'avait pas ici. Il y avait des magasins, où l'on pouvait acheter toutes ces choses, qui venaient de l'Ouest, mais seulement avec des dollars. Ce qui était drôle, c'est que c'était interdit d'avoir des dollars. Plus âgée, j'étais jalouse du fait que les européens de l'Ouest pouvaient voyager autant qu'ils voulaient et où ils voulaient, alors que nous on ne pouvait pas. 

Et de Solidarnosc et de Lech Walesa à l'époque ?
Pour ma mère il était ''celui qui a foutu la merde'', parce qu'avant tout le monde avait un appartement, un frigidaire, … et donc elle ne comprenait pas. Il a fallu du temps pour qu'elle comprenne que le plus important c'est le sentiment de liberté. Même si je n'ai pas ressenti vraiment de changement dans ma vie de tous les jours, j'étais fière de cette transition. Quand le mur de Berlin est tombé, mon père a dit: ''Ce sont les emmerdements qui commencent'', alors que moi j'étais super contente parce que je pourrais un jour aller en France. Aujourd'hui, si je croisais Walesa dans la rue, je lui dirais: ''Merci !''. 

Votre premier voyage à l'étranger ?
Je suis partie en Italie et le truc qui m'a le plus impressionnée, c'était de voir un hypermarché. J'ai appelé ma mère pour lui dire: ''On peut acheter des yaourts, des vêtements et des voitures dans le même magasin, et il est énorme !'', et elle m'a répondu: ''Mais non ce n'est pas le même magasin, ça n'existe pas !''. En Pologne, le yaourt c'était un peu exceptionnel, ça coûtait cher, quand j'ai vu des gens acheter des yaourts par packs de six ou douze, je n'en revenais pas. 

Vos premiers chocs en Pologne ?
Les supermarchés, pas encore avec les grandes marques françaises, mais ce qui m'a le plus marquée ce sont les petites cabanes qui fermaient. Sinon, il y avait plein de bars et de restaurants qui ouvraient. Il y a eu une première pizzeria à côté de mon lycée, la pizza était dégueulasse, mais à l'époque pour moi c'était très bon. Et on a eu plus de films étrangers, les deux films dont je me souviens c'était La Mouche (David Cronenberg) et surtout Dirty Dancing. Sinon, j'ai travaillé au premier Leclerc à Ursynow, je faisais faire des dégustations et je ne comprenais pas pourquoi il n'y avait pas de prix sur les produits, mais juste des codes barres. 

Des regrets ?
Non aucun, mais les changements ont été trop rapides et les gens n'étaient pas prêts. Je peux comprendre les gens qui ont des regrets, parce que cela a changé leurs habitudes. Pour ma part, je n'ai pas beaucoup souffert pendant cette période, parce que ma mère faisait partie du marché noir. Je ne manquais de rien. C'était une grande débrouillarde. Par exemple, elle achetait des t-shirts en Pologne, parce qu'elle avait un contact dans une usine. Ensuite, elle partait en Hongrie pour les vendre, puis achetait des déodorants qu'elle revendait en Pologne. Tout était comme ça ! Je ne sais pas comment elle se débrouillait parce qu'elle avait un travail. La fin du communisme a signifié la fin de tout ce petit trafic. Aussi, avant on avait de tout, des choses qu'elle ramenait du boulot, parce que quand ça appartient à l'État, c'est à personne comme à tout le monde, donc elle n'a jamais acheté de cahiers, de stylos… Des gens ont regretté cela. Mais pour moi, j'allais pouvoir voyager, m'exprimer comme je le souhaitais. 

*Fiat Polski 126P

Un grand merci à Kasia Renou pour son témoignage.

Mathilde TÊTE (www.lepetitjournal.com/varsovie) – Mercredi 11 juin 2014

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Publié le 10 juin 2014, mis à jour le 11 juin 2014
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