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LA GRAND-MERE POLONAISE - Une matriarche exploitée qui en redemande

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 2 mai 2012, mis à jour le 14 novembre 2012

 

Femme de ménage, nounou, cuisinière, blanchisseuse, couturière  infirmière, banquière, diseuse de bonne aventure, la babcia fait le bonheur des petits-enfants, de l'Église et du principal parti d'opposition. Plus que dans les champignons ou la production de charbon, la véritable richesse du pays se trouve sans doute dans ces industrieuses grands-mères polonaises ! [archive 2011]


(La préférée de grand-mère - Wikicommons)

En Pologne, comme ailleurs, les lois de la généalogie font que la plupart des parents soient nés d'une grand-mère. Un lien extrêmement fort, qui n'existe plus en Europe occidentale, unit encore ces dernières à leur descendance. C'est que la Babcia, Babusia ou Babunia, joue un rôle essentiel dans la société polonaise. Plus que le grand-père qui meurt beaucoup plus jeune (71 ans contre 80) et qui consacre comparativement plus de temps à la pêche et moins à la garde des enfants. Les Polonaises peuvent également prendre leur retraite à 60 ans, contre 65 ans pour un homme. Du temps ?gagné? qui sera généralement consacré aux petits-enfants.

Une institution
Dans certains pays, la mafia se substitue à un État faible. En Pologne, ce sont les grands-mères qui répondent aux carences de l'État-providence. Solidement implantées sur le territoire national, les 5 millions de babcie se reconnaissent facilement à leur absence de signes distinctifs. Les mauvaises langues évoqueront une garde-robe uniformément inspirée de leurs années PRL. Sous le communisme justement, elles faisaient la queue devant la boucherie du quartier à partir de 4h du matin, telles des lionnes partant à la chasse pour fournir à l'héritier de la famille des nutriments indispensables à sa bonne croissance. Avec la transition des années 90, la plupart des babcie ont perdu leurs repères. Et elles ont toujours tendance à se concentrer sur leur univers domestique.

Un dévouement à toute épreuve


Aujourd'hui encore, la grand-mère a le mérite de ne pas rechigner à la tâche et ne pas (trop) se plaindre. Sans rien coûter à ses enfants. Au contraire, on attend des grands-parents qu'ils fassent de leur mieux pour subvenir aux besoins de leur famille : Les « enfants » ont des fins de mois difficiles ? Il faut payer les études des petits-enfants ? La grand-mère se fera une joie de dénouer les cordons de la bourse. Mais avec une retraite moyenne d'environ 400 euros, beaucoup de grands-mères doivent faire contre mauvaise fortune bon c?ur. Et du c?ur, justement, elles en ont à revendre, et elles en mettent partout : dans leurs pierogi et leur szarlotka, dans leurs tricots démodés, dans leurs berceuses antédiluviennes, dans leurs conseils et remontrances, dans leur volonté farouche de se rendre indispensables.

Une pénurie de place
La politique familiale des gouvernements successifs y est pour beaucoup. Avant 6 ans l'école n'est pas obligatoire. Faute de place, le pourcentage d'enfants scolarisés en maternelle était de 60% en 2009. A la campagne, ce taux ne dépasse pas les 40%. On est bien loin de la moyenne européenne (90%). « Pire », seuls 2,3% des enfants polonais de moins de trois ans sont inscrits dans des crèches (contre 26% en moyenne en Europe). L'éducation des jeunes enfants repose donc forcément sur la famille - comprendre sur les grands-parents - et au final, sur la grand-mère plus souvent que sur les nounous.

(Babcia z wnuczka, Grand-mère et sa petite fille, Aleksander Mroczkowski)

Les

gardiennes du temple
Si vous approchez de la soixantaine, la Pologne est un paradis. Pas pour les soins hospitaliers ou les retraites, mais beaucoup plus symboliquement : même les pires voyous vous laisseront leur place dans le bus. Et s'ils n'y pensent pas, il y aura forcément une autre grand-mère pour rappeler à l'ordre le malotru.

En 2008, un sondage réalisé par Harald Euler pour la Journée des Grands-mères (célébrée le 21 janvier), indiquait que 60% des Polonais citaient leurs Babcie comme principale source d'affection mais aussi comme fondement de leur foi religieuse et de leurs principes moraux. Le patriotisme, la politesse, l'histoire familiale figurent aussi en bonne place. Au passage, la majorité des 2.000 personnes interrogées déclaraient avoir des relations plus fortes avec la grand-mère maternelle plutôt que paternelle.

De nombreux parents avouent sans détour que s'ils décident de baptiser, ou d'envoyer au catéchisme leurs enfants, c'est aussi pour éviter une scission avec la grand-mère et ses idées bien arrêtées sur la religion. L'importance qu'elles portent aux « valeurs » se traduit d'ailleurs dans leur vote pour des partis conservateurs. Leur poids politique est, de fait, très important. Elles sont nombreuses, on l'a vu, et mobilisées : leur taux d'abstention aux élections est moins fort que chez les plus jeunes.

La cuisine : un sacerdoce
Si vous n'avez jamais mangé chez une autochtone sexagénaire, vous n'avez pas encore goûté aux joies de la cuisine polonaise : on y mange beaucoup mieux que dans les restaurants. C'est que la gastronomie polonaise est une cuisine de grands-mères. Ici les secrets de fabrication, le tour de main, la quantité de beurre et d'huile de coude importent plus que l'originalité ou les propriétés diététiques. A ce propos, méfiez-vous si, comblée, une grand-mère vous dit que vous avez l'air en forme. Vous avez sans doute pris 3 kilos. La babcia est en effet en mission. Elle scrute sa famille comme un producteur de foie gras observe son troupeau d'oies : pour bien mesurer l'efficacité de son gavage. Et si elle s'inquiète pour son petit-fils « difficile », ce n'est pas que le petit Jakub prend de la drogue, c'est qu'il ne finit pas sa troisième assiette de bigos.

Tout se perd
Les grands-mères polonaises ne portent pas toutes des bérets en mohair. Le profil de la babcia évolue, surtout dans les grandes villes. Elle est toujours plus éduquée et a souvent travaillé de nombreuses années après la chute du communisme. Elle fait de la marche nordique et skype déjà avec ses petits-enfants. S'émancipant d'avantage, les grands-mères rebelles prévoient même ? et c'est le comble ? de profiter de leur retraite : cours de salsa ou d'internet, voyages ou jardinage, selon les moyens financiers et les préférences. Pilule dure à avaler pour certains « jeunes » qui, désorientés, demandent sur des forums de parents : est-ce normal, docteur ?

 

AR, AK, CQ (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) mardi 5 avril 2011

 

Un risque démographique ?


Avec l'allongement de l'espérance de vie, de nombreuses « mamies » travaillent encore alors que naissent leurs petits-enfants, et n'ont nullement l'intention de sacrifier leurs revenus et leur satisfaction professionnelle pour retomber dans les couches et les biberons. Et il n'est pas certain que les parents actuels, qui n'ont déjà pas l'envie ou les moyens de faire des enfants, aient plus tard envie de s'occuper de la descendance de leur progéniture.

Alors que le taux de natalité polonais est déjà un des plus faibles au monde, le « désengagement » des grands-mères est inquiétant. Heureusement la scolarisation des jeunes enfants est l'une des priorités du gouvernement et progresse rapidement (elle était de 60% en 2009 contre seulement 41% en 2006).

Pour en savoir plus, consultez nos articles sur le sujet :
NATALITE ? L'hiver démographique
NATALITE - Une priorité nationale bien comprise ?

8 MARS - Les féministes polonaises, un oxymore ?

8 MARS - Les inégalités hommes-femmes en Pologne




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Publié le 2 mai 2012, mis à jour le 14 novembre 2012