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ETAT DE DROIT – De l’arrivée du PiS au blocage de la Cour suprême

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Écrit par Alexandra Levy
Publié le 5 juillet 2018, mis à jour le 5 juillet 2018

L’arrivée du PiS au pouvoir a ébranlé le système judiciaire polonais et déclenché un conflit avec l’Europe. Réforme du tribunal Constitutionnel –la plus haute instance judiciaire du pays- de la Cour suprême (SN), du Conseil national de la magistrature (KRS) ou encore des tribunaux de droit commun, là où le gouvernement déclare vouloir se séparer d’une « caste » de juges héritiers de l’époque communiste, l’opposition dénonce « une purge massive ». L’Europe de son côté constate une atteinte sérieuse à l’Etat de droit.

 

L’Etat de droit est un système institutionnel basé sur le respect de la hiérarchie des normes (avec à son sommet la Constitution), l’égalité des sujets de droit et la séparation des pouvoirs impliquant l’indépendance de la justice. C’est ce dernier principe que l’Union européenne reproche à la Pologne de bafouer, en subordonnant le pouvoir judiciaire aux pouvoirs exécutif et législatif.

 

Actions de l’Union européenne

 

La Commission a lancé lundi une procédure d’infraction de toute urgence contre la Pologne pour sa loi controversée réformant la Cour suprême qui est rentrée en vigueur ce mardi 3 juillet.  Cette législation prévoit le départ de 27 des 63 juges, dont la présidente de la cour, en les poussant à une retraite forcée. D’après la Commission, ces mesures « portent atteinte au principe de l'indépendance judiciaire et de l’inamovibilité des juges". Cette procédure d’infraction, qui n’empêche pas la loi d’entrer en vigueur, peut à terme déboucher sur des sanctions financières. La Pologne dispose d’un mois pour répondre à la lettre de mise en demeure de la Commisssion. Si elle ne suit pas les recommandations de celle-ci, l'affaire sera ensuite portée devant la Cour de justice de l’Union européenne qui siège à Luxembourg.

 

Cette loi est la dernière d’une série de réformes du système judiciaire entamées par le PiS dès son arrivée au pouvoir  en 2015 qui, selon Bruxelles, a entrainé une politisation du système judiciaire polonais. Après deux années de dialogue sans résultat, la Commission a pris la décision en décembre 2017 de déclencher l’article 7 du TUE contre la Pologne estimant qu’ « il y avait un risque clair d’une violation grave de l’Etat de droit ». Cette procédure peut mener à une suspension du droit de vote de l’Etat membre mais a peu de chances d’aboutir car elle requiert l’unanimité des Etats membres. Or Varsovie dispose du soutien indéfectible de la Hongrie. L’audition de la Pologne fin juin n’a rien changé à la situation, Frans Timmermans ayant déclaré que la Commission restait sur sa position et constatait qu’il existait une menace systémique envers l'Etat de droit en Pologne. 

 

Réformes controversées

Les réformes touchent plusieurs instances judiciaires

 

Concernant le Tribunal Constitutionnel, chargé de statuer sur la conformité des lois à la Constitution, le gouvernement a introduit de nombreuses réformes concernant notamment la nomination de nouveaux juges ou l’introduction de la règle de la majorité qualifiée des deux tiers pour les décisions du tribunal, ainsi que des mesures menant à la paralysie du Tribunal.

 

Une seconde loi porte sur le KRS et prévoit notamment que les quinze juges membres de cette institution, qui intervient dans la désignation des juges dans les juridictions de l’ensemble du pays, doivent être élus par la chambre basse du parlement (la Diète). Jusqu'à présent, ils étaient choisis par les milieux judiciaires. Cette réforme met en danger l’indépendance de cette institution, qui se voit désormais fortement politisée.

 

La réforme du régime des tribunaux de droit commun, qui octroie des compétences considérablement accrues au ministre de la justice, a notamment entraîné le remplacement de près de deux cents présidents et vice-présidents de tribunaux par des juges plus proches du pouvoir en place.

 

En ce qui concerne la Cour Suprême (l’équivalent de la cour de cassation française), la loi institue un «recours extraordinaire» qui permet à ceux qui s'estiment victimes de jugements injustes au cours des vingt dernières années de s’adresser à diverses instances, dont le Ministre de la Justice, afin que celles-ci demandent une révision de ces décisions. Elle instaure également une chambre disciplinaire, pour juger les magistrats ayant violé la loi. Cette réforme qui est entrée en vigueur mardi entraîne aussi le départ à la retraite des juges de la Cour suprême âgés de 65 ans - contre 70 ans jusqu'à présent -, sauf dérogation accordée par le chef de l'État, alors même que la Constitution polonaise garantit l’irrévocabilité de ces juges.

 

Situation de Mme Gersdorf, et réactions de la presse polonaise

 

Mardi après-midi, le Président Andrzej Duda a accueilli au Palais présidentiel la présidente de la Cour suprême (SN) Małgorzata Gersdorf, le président de la Cour suprême d’administration (NSA) Marek Zirk-Sadowski et le président de la Chambre du travail de la SN Józef Iwulski. A l’issue de la rencontre, il a été annoncé que les fonctions de président de la SN seront assurées par le juge Józef Iwulski que Mme Gersdorf avait désigné comme remplaçant juste avant la rencontre au Palais présidentiel. Selon le porte-parole d’Andrzej Duda, Mme Gersdorf a désigné elle-même son remplaçant et le Président l’a accepté. « Le Président a constaté de manière univoque que la loi sur la Cour suprême est en vigueur », a-t-il déclaré. 

Il en résulte que selon le chef de l’Etat, Małgorzata Gersdorf ne préside plus la SN. 

 

En revanche, l’interprétation de ces faits est différente du côté du porte-parole de la SN. Michał Laskowski précise que Mme Gersdorf a indiqué seulement que le juge Józef Iwulski la remplacerait quand elle serait en congé et assure que la présidente de la SN poursuivra sa mission. Et en effet, Małgorzata Gersdorf est venue au travail mercredi remerciant les milliers de manifestants réunis depuis mardi soir devant le siège de la SN pour le soutien et la défense des valeurs démocratiques. 

 

D’après le député de la PO Borys Budka, engagé dans la défense de la SN, cette manœuvre habile de Mme Gerdorf « protège la Cour suprême contre une reprise de force de cette institution par un juge qui autrement aurait été désigné président par Andrzej Duda ». Or, M. Duda aurait accepté Józef Iwulski en tant que juge le plus expérimenté de la SN. M. Iwulski est par ailleurs un combattant émérite de Solidarność. Sa situation au sein de la Cour suprême est cependant délicate. Il a 66 ans et de ce fait devrait partir à la retraite en vertu de la nouvelle loi sur la SN. Il ne s’est pas adressé au Président Duda pour qu’il proroge son mandat, il a juste notifié à M. Duda être prêt à poursuivre sa mission « en vertu du principe de l’inamovibilité des juges garantie par la Constitution » (Rzeczpospolita et Gazeta Wyborcza en une ). 

 

Rzeczpospolita observe que la manœuvre de Mme Gersdorf consistant à désigner son remplaçant et la suggestion qu’elle aimerait prendre bientôt ses congés laisse les défenseurs de la juridiction indépendante en Pologne dans une situation perplexe. « C’est incompréhensible dans le contexte où Mme Gerdorf déclarait il n’y a pas longtemps qu’elle resterait en fonction jusqu’à la fin de son mandat en 2020 […] Cette situation laisse penser qu’elle pourrait devenir présidente "spirituelle" de la SN et se soumettre en effet à la nouvelle loi, évitant un conflit ouvert avec le pouvoir politique […] Cela affaiblit le mouvement d’opposition civile à la réforme de la SN », écrit le journal. 

 

Alexandra Levy
Publié le 5 juillet 2018, mis à jour le 5 juillet 2018

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