La Pologne est connue pour sa verdure, ses paysages grandioses, sa nature parfois encore sauvage. Mais c'est aussi le pays du charbon, souvent montré du doigt en Europe pour sa politique en matière d'environnement, et qui souffre comme beaucoup de la pollution. On dit souvent que la Pologne est le mauvais élève de l'Union européenne en ce qui concerne l'écologie, mais qu'en est-il vraiment ? Comment la situation évolue-t-elle ? Lepetitjournal.com/Varsovie a mené l'enquête.
"Six des dix villes les plus polluées de l'Union européenne sont en Pologne", rappelle Pawe? Szypulski, attaché de presse du Polska Zielona Sie? (PZS), littéralement "Réseau vert polonais", un regroupement d'ONG polonaises. "Notre seul challenger dans le domaine de la pollution, c'est la Bulgarie", ironise-t-il. Varsovie ne fait pas partie de ces six heureuses élues, bien que la pollution de l'air y soit préoccupante. C'est à Cracovie que revient la triste palme d'or.
La pollution de l'air et l'agriculture intensive inquiètent les écologistes
Les trois principales sources de pollution de l'air sont le système de chauffage dans les habitations, l'industrie et le secteur de l'énergie, et enfin les transports. La pollution de l'air cause 45.000 morts prématurées par an dans le pays. Dès mars 2015, Varsovie avait dépassé le quota annuel autorisé dans l'Union Européenne (UE) de jours où le taux de particules fines pouvait dépasser un certain seuil.
Outre la pollution de l'air, le deuxième enjeu environnemental majeur en Pologne est l'agriculture intensive : "année après année, les agricultures augmentent leur consommation de pesticides. Cela détruit l'écosystème, diminue le nombre de pollinisateurs sauvages, et affaiblit le système immunitaire des abeilles. Le retour à l'agriculture traditionnelle polonaise se fait de plus en plus pressant", explique Katarzyna Guzek, militante à Greenpeace Pologne. L'ONG a d'ailleurs récemment lancé la campagne "Adopte une abeille" pour sauver ces pollinisateurs essentiels à l'agriculture.
L'absence de remise en cause de la dépendance au charbon
"Le changement climatique n'est pas sur l'agenda politique en Pologne" déplore Pawe? Szypulski. Le porte-parole du "Réseau vert polonais" est très sceptique quant aux déclarations officielles : "2015 a été décrétée "année de l'air pur" en Pologne : c'est un comble, quand on regarde les chiffres !" De même selon Greenpeace Pologne, "le gouvernement reste bloqué sur les mentalités du siècle dernier. Il ne veut pas prendre des mesures ambitieuses en faveur de l'environnement, mais maintenir le statu quo." La Pologne a un système économique dépendant au charbon, et il n'y a pas de volonté politique d'en changer. Cela s'explique par la taille du secteur minier : la Pologne possède les plus grandes mines industrielles d'Europe, qui emploient des centaines de milliers de personnes. Un vivier d'emploi, dans un pays qui souffre d'un taux de chômage encore élevé. Les syndicats de mineurs sont puissants et revendicatifs, et le gouvernement craint de devoir les affronter. Le PZS dénonce le "populisme" du discours des politiques polonais, qui réduisent le débat sur l'environnement à la question des difficultés de l'industrie minière.
La dégradation de l'environnement est en fait perçue comme le prix à payer pour le développement économique du pays. A cela s'ajoutent des enjeux géopolitiques : privée de son charbon et sans centrale nucléaire, la Pologne serait contrainte de dépendre du gaz russe. Les associations écologiques poussent au développement des énergies renouvelables, mais 90% de l'énergie provient toujours de la combustion du charbon dans le pays.
La Pologne tente de faire cavalier seul en Europe
Pawe? Szypulski résume : "Il n'y a aucune force politique forte en Pologne en faveur de la politique européenne sur le climat : les différents partis ne la présentent pas comme une opportunité, mais comme une menace." Plusieurs fois lors de négociations sur la politique environnementale de l'Union européenne, la Pologne a menacé les autres pays membres d'utiliser son droit de véto. Quand en 2013 Varsovie avait accueilli la conférence climat de l'ONU (COP19), le gouvernement polonais avait approuvé la tenue au même moment d'un sommet international du charbon. Un pied de nez qui en dit long sur les relations entre la Pologne et la politique environnementale européenne. Les politiques entendent protéger ce qu'ils considèrent comme les intérêts nationaux du pays, mais le gouvernement joue à un jeu dangereux. En effet, la Pologne a déjà été assignée devant la Cour de Justice de l'UE en 2013 (la plainte a ensuite été retirée en 2015) parce qu'elle ne respectait pas les directives concernant les énergies renouvelables. La Commission européenne lui a en outre envoyé cette année un avis motivé à propos de la qualité de l'air, afin qu'elle prenne des mesures pour réduire le taux de particules fines PM10. Si la Cour de justice condamne la Pologne, elle devra payer une lourde amende ? jusqu'à quatre milliards d'euros.
Un accord historique a été signé cette année
Après un débat mouvementé, une loi régulant le développement du marché des énergies renouvelables a finalement été votée début 2015 en Pologne à une courte majorité, malgré l'opposition de la Plateforme civique (PO). Cette loi répond à une directive européenne, et sera effective à partir du 1er janvier 2016. Pour les associations écologiques, c'est une victoire, même si certaines trouvent que la loi ne va pas assez loin. Le porte-parole du Réseau vert polonais avoue même avoir été surpris : "c'est un véritable tournant pour notre pays". La loi fixe un taux de rachat stable de l'énergie produite par des petites propriétés d'une capacité supérieure à 10 kilowatts. Elle incite donc les opérateurs privés à mettre en place de petites installations servant à produire l'énergie à partir de sources renouvelables pour leur propre consommation, avec la possibilité de revendre le surplus à des réseaux énergétiques. Mais la transition écologique est encore loin, et dépendra surtout des élections législatives de l'automne prochain. Le parti Droit et justice (PIS), qui a remporté les élections présidentielles de mai dernier, a poussé à l'adoption de cette loi, mais se montre de manière générale hostile à toute autre source d'énergie renouvelable, comme les éoliennes. De plus, les associations environnementales s'inquiètent du fait que le gouvernement actuel est en train de réfléchir pour amender la loi fraîchement votée, pendant qu'il en est encore temps.
Une opinion publique timidement favorable à l'écologie
Lors du débat sur les énergies renouvelables qui a précédé le vote de la loi, la mobilisation citoyenne a été importante, voire "décisive", selon les organisations environnementales polonaises. Lorsque le gouvernement polonais avait lancé il y a quelques années l'idée de la construction d'une autoroute reliant Varsovie à Helsinki, la "Via baltica", une grande mobilisation populaire s'était organisée pour faire annuler le projet. L'autoroute devait en effet traverser la vallée Rospuda, un site naturel protégé. Chaque année, le ministère de l'Environnement publie une étude sur le rapport des Polonais aux questions environnementales. En 2014, le sondage a montré qu'elles n'étaient pas la priorité des citoyens (loin derrière les préoccupations en termes de santé et économie par exemple), mais qu'en même temps 86% des Polonais pensent que le changement climatique est une question importante et 74% estiment que la Pologne devrait réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Selon Greenpeace Pologne, l'attente des citoyens en matière d'environnement est réelle : "Si le système change en profondeur, les Polonais suivront. Mais ils ne changeront pas leurs habitudes du jour au lendemain : il faut leur proposer des transports en commun rapides et économiques, un système de recyclage efficace,?".
Varsovie essaye de donner le bon exemple
La position des politiques au niveau national est inflexible : le modèle économique de la Pologne restera dépendant du charbon. Dans ce contexte, la marge de man?uvre des autorités locales est limitée. Mais les villes polonaises disposent tout de même d'une décentralisation qui leur permet d'agir séparément du gouvernement. A Varsovie par exemple, les autorités locales se montrent plus ouvertes à la question des énergies renouvelables.
Leszek Drogosz est directeur du Bureau des infrastructures de la ville de Varsovie. Selon lui, la municipalité a clairement conscience des efforts à fournir : "Varsovie va plus vite et plus loin que le gouvernement en matière d'environnement." La ville a par exemple investi 800 millions d'euros dans l'extension et la modernisation de l'usine de traitement des eaux usées Czajka. Cela permet d'améliorer la qualité de l'eau dans la mer Baltique et produire de l'énergie à partir de biogaz et des boues afin d'alimenter un quart des lampadaires de la ville.
Concernant le traitement des déchets, on peut s'étonner de voir que le système de tri sélectif est limité, voire inexistant dans la ville. Cependant, "cela ne fait que quelques années qu'il incombe aux municipalités de gérer les déchets en Pologne, il faut donc le temps que les choses se mettent en place, surtout pour une aussi grosse ville que Varsovie, qui génère 700.000 tonnes de déchets municipaux par an" justifie-t-il. La pollution de l'air est le deuxième objectif des autorités locales. "Il y a 600 voitures pour 1000 habitants à Varsovie, explique Leszek Drogosz, ce qui signifie deux fois plus qu'à Berlin par exemple. Mais nous avons un plan d'investissement pour développer les transports en commun, qui représentent déjà 60% des trajets urbains." La ville a en effet ouvert un réseau de vélos en partage (Veturilo), le 8e plus grand d'Europe, mais aussi construit une deuxième ligne de métro début 2015 (ce qui a couté plus d'un milliard d'euro), facilité la circulation des deux-roues et piétons grâce à des pistes cyclables, et acheté des bus électriques ou hybrides. Bientôt, un réseau de voitures en partage ouvrira également. La Pologne peine donc à se mettre au vert, mais les initiatives sont là. Gageons que les amours compliqués de la Pologne et de l'environnement finissent en happy end, car l'Europe a plus que besoin de la participation du sixième plus grand pays de l'UE pour préserver son environnement et sa qualité de vie.
Crédit photo : © Marie-Jeanne Delepaul
Marie-Jeanne Delepaul (lepetitjournal.com/Varsovie) - Mardi 28 juillet 2015
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